(C) Sabrina Mariez

Disparu voilà presque trois ans, Nicolas Ker laisse derrière lui une discographie pléthorique et parfois inégale, disséminée entre plusieurs projets, comme autant de membres de son corps disloqué dans le cyberespace. Plutôt que d’attendre en vain une compilation en tête de gondole Carrefour pour des ménagères affolées, voici donc un best-of subjectif dessinant en 20 titres une image assez précise de ces battements de Ker.

« Nicolas Ker, dernière étoile filante du rock français, est mort ». C’était le titre de notre avis de décès du 17 mai 2021, quand le leader de Poni Hoax fut retrouvé chez lui avec 21 grammes en moins. Le corps était là, l’esprit s’était envolé et comme nous l’écrivions alors, il vécut comme une cigarette : arrivé au filtre, il s’éteignit.

Plutôt que de refaire l’histoire (disponible dans les grandes largeurs ici), voici donc une playlist commentée permettant de réunir en un seul endroit tous les Nicolas Ker qu’on a aimé, de Poni Hoax à Paris en passant par Diplomatic Shit et Aladdin, son énième projet parallèle avec Gilbert Cohen, sans oublier son escapade en solitaire dans la dernière ligne droite avec « Les faubourgs de l’exil », et à côté duquel on était connement un peu passé.

Longtemps décrit, ici même, comme l’ultime chanteur post-punk à cheval entre Taxi Girl et Jim Morrison, le brailleur satanique aura finalement été au bout de la logique : qu’y avait-il après le punk, si ce n’est la mort ? En l’attendant, il y a cette espèce de best-of schizophrène à s’injecter comme une élégie à paillettes. « Avec une PLUUUUME dans le cul ! », aurait-il surement rajouté avec ce rire sardonique hésitant entre la crise de folie et la quinte de toux.

Lonely Hearts de Joakim (2007) : On ne disait pas encore banger pour qualifier un tube dans cette ère sarkozyste, mais le featuring de Ker sur le premier album de son patron de label (Joakim chez Tigersushi) rappelle à quel point la voix de Nicolas savait être taillée pour la radio. En ce qui me concerne, quand je repense à 2007, je pense inévitablement à Lonely Hearts.

Antibodies de Poni Hoax (2008) : « Tiens, et si on s’amusait à imaginer une version disco de La groupie du pianiste de Michel Berger ? ». Pour son deuxième album, Poni Hoax livre une massue avec Antibodies, un titre inspiré à Ker par ces femmes et hommes à qui l’on peut faire l’amour sans se souvenir de leurs visages. Le résultat : un refrain imparable donnant envie de foutre le feu à l’appartement à coup de napalm. Seize ans plus tard, on se demande encore si France Gall aurait aimé.

There’s nothing left for you here de Poni Hoax (2013) : Sur le premier album de Poni Hoax chez Pan European, « State of War », il y a à boire est à manger. Au frigo, on trouve néanmoins ce tube mid-tempo imaginé par Laurent Bardainne, et à écouter comme une réponse à l’Antibodies précité, mais chanté façon Jim Morrison de disco club.

Yes Arthur certainly de Paris (2010) : Extrait du premier EP de Paris chez Ekler’O’Shock, ce titre mutant électronique dévoile un Ker parfaitement mixé sur ses parties vocales et un refrain spatial dont il nous parlait dans cette interview glaçante et toujours aussi hypnotisante. Peut-être le meilleur morceau de Paris ever, by the way.

Carrie Ann de Poni Hoax (2006) : La légende raconte que Ker fut engagé chez Poni Hoax pour remplacer la chanteuse Olga Kouklaki (qu’on peut entendre sur le démoniaque Budapest). En réécoutant ce titre d’enterrement, Carrie Ann, on peut dire que c’était le meilleur CV imaginable si tant est qu’on aime chialer dans sa bière tiède en regardant le soleil se coucher sur une ville en ruines. C’est un hobby douteux, je vous l’accorde.

Holdings & VAT de Nicolas Ker (2016) : A propos de Ker, on évoque souvent la filiation avec le chanteur des Doors. Mais on oublie de dire à quel point, dans la dernière ligne droite, le fou malade flirta avec le Wicked Games d’un Chris Isaak exilé en Bretagne avec le ciré de marin niqué par les trous de cigarette. C’est le cas sur cette chanson dont le titre est à traduire par « Avoirs et TVA ». Tout un poème.

Hypercommunication de Poni Hoax (remix by Joakim, 2008) : Bien avant la domination des réseaux sociaux et l’obnubilation de l’Humanité pour des petits écrans, Poni Hoax évoquait le problème et refilait ses bandes à Joakim pour un remix dur comme un coup de matraque de Darmanin.

Hypercommunication (Feat. Alter Ego Remix + Digital-only Bonus Instrumental)” álbum de Poni Hoax en Apple Music

Motherfucker de Diplomatic Shit (2008) : Fin des années 2000, Ker commençait déjà à en faire trop, porté par le rêve démoniaque de squatter les classements avec un nouveau projet tous les mois. Le single réalisé avec Diplomatic Shit et son best buddy Mike Theis est le résultat de cette envie déraisonnable de succès tardif, et les paroles sont un beau résumé de ce chant de bataille : « Are you my mother ? Are you my liar ? No, you’re my fucking doll !”

Oh Oriane d’Aladdin (2012) : En 2011, le petit Nicolas toujours pas calmé revient avec encore un nouveau projet ; cette fois avec le patron de Versatile, Gilbert Cohen. On y retrouve cette très belle chanson d’ouverture en hommage à son amour de l’époque. L’autre fois, je suis tombé sur un catalogue promotionnel où j’ai cru reconnaitre la muse en question, désormais associée d’une agence immobilière avec pignon sur rue. La vie, c’est clairement comme une boite de chocolats.

She’s on the radio de Poni Hoax (2006) : Premier titre d’une longue série qui aurait dû être matraqué sur NRJ et CNN, She’s on the radio aurait été écrit par Ker en souvenir d’un amour avec une actrice dont j’ai oublié le nom. Bon, on s’en fout hein ; la vérité c’est qu’au-delà du périphérique le titre n’est clairement pas beaucoup passé à la radio. On comprend mieux la hargne tenace du groupe à vouloir percer, par la suite, à tout prix.

The suburbs of Exil de Nicolas Ker (2016) : La deuxième grande ballade pour alcoolique du premier album solo de Ker, et cette fois avec une partie de piano faisant directement et clairement écho à l’album « Morrison Hotel » des Doors.

All the girls de Poni Hoax (2017) : Vous avez demandé un Nicolas Ker de western vietnamien chantant comme sur une bande originale égarée par Ennio Morricone pour Tarantino ? Ne quittez pas, un conseiller va répondre à votre appel.

The Cross Over de Paris (2015) : Les plus complotistes d’entre nous ont une théorie tenace sur le premier album de Paris, « There is a storm ». Publié en 2015, année des attentats, il aurait à sa manière « prophétisé » les événements dramatiques avec notamment ce titre annonçant un terrible éclair sur la capitale. Bon, ça vaut ce que ça vaut mais ce titre slow est une nouvelle occasion d’écouter les éternelles obsessions de Ker sur une mélodie clairement pas simple et funky.

Life in a new motion de Poni Hoax (2013) : Une intro à la Roxy Music, puis cette voix douce de berceuse telle que Ker savait parfois la prendre au réveil entre deux delirium tremens. Une vraie beauté avec un refrain de papa chanteur qui rappelle que Jean-Luc Lahaye n’a hélas jamais écouté Ian Curtis.

Petty Tall Girls de Poni Hoax (2008) : Si vous êtes arrivé.e jusque-là, vous aurez bien compris que notre vampire était obsédé philosophiquement par la Femme (pas le groupe, hein). Ici, il est question de dames de deux mètres, un peu comme l’orchestration XXL du titre. Souvenir de cette session à regarder ci-dessous, avec l’horrible Manu Katché scotché par l’efficacité du groupe compact autour de son chanteur.

Letom Redrum de Principles of Geometry (2010) : En retournant ce titre de Principles of Geometry, on peut lire « Murder motel ». Une bonne blague entre cinéphiles ayant usé Shining, et qui aboutit à un grand featuring synthétique long de six minutes partant lentement en sucettes. Un bon résumé de la vie de Ker dans les années 2010.

Héra de Sir Alice (2012) : Un autre hommage à Jim Morrison, décidément omniprésent, avec une comptine de piano bar en mineur.

Antarctica is your secret name de Nicolas Ker (2016) : Il faut être complètement tapé du cerveau ou s’appeler Nicolas Ker pour imaginer un titre de chanson comme celui-là, et non, il ne s’agit pas vraiment d’un hommage au commandant Cousteau. Tempo minimum, voix au centre et éclaircie sur le refrain au violoncelle, sublime visite du paradis blanc (pas celui de Michel Berger, pour le coup).

La mémoire perdue à nouveau de Nicolas Ker (2022) : Titre post-mortem publié par Pan European, La mémoire perdue à nouveau s’écoute comme un lent testament en talk-over, long de dix minutes. Et alors qu’on aurait pu craindre une démo terminée à la bière, le morceau entre directement dans le top 10 des chansons les plus émouvantes jamais écrites par notre Nosferatu imbibé à l’alcool et Rimbaud. Y’aurait-il d’autres chutes du même acabit planquées quelque part sous le matelas ?

Ker P.O.G. Itw (2020) : Une blague pour finir, un rire enregistré et reconnaissable entre mille mixé par Principles of Geometry pour une compilation de démos publiée par Tigersushi, et qui aurait parfaitement pu trouver sa place dans un film de Dario Argento. Grande gargouille d’un monde trop obscur pour lui, Ker était semblable au Double-Face de Batman : trop grand pour Gotham City.

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