Dans le cadre du festival Warhol Remix à la cité de la musique, Dean & Britta sont invités à jouer leur album de reprises 13 most beautiful : songs for andy warhol’s screen test sur les vidéos biographiques de Warhol cadrant les hommes (et femmes) de sa vie. Timide et maladroit, le couple de la pop underground brooklynienne transforme un moment a priori anodin en une ode amoureuse d’une rare justesse.

L’idée est d’une banalité extrême, sa réalisation d’un esthétisme bluffant. Dean Wareham présente dans un franglais hésitant les jeunes gens filmés en statique dans les screen tests d’Andy Warhol, avant de proposer sa vision musicale de ces beautés charismatiques derrière lui. Que ce soit Dennis Hopper ou Nico, la jeune inconnue de dix-huit ans (Susan Bottomly) ou les lunettes noires de Lou Reed, les portraits marquent la fragilité d’une existence souvent détruite par les déviances droguées de l’époque. «Elle était partie acheter un paquet de cigarettes. Elle n’est jamais revenue» (Ingrid Superstar). «Nu et heureux, dansant proche de sa fenêtre, il tomba de son cinquième étage à Greenwich Village pour une performance suicide» (Freddie). Les bribes de biographie succèdent aux visages graves et pénétrants pour se marier idéalement avec la limpidité des interprétations.

L’entrée du duo sous le visage de The girl with a tear s’illustre par le magnifique Singer Sing (Ann Buchanan Theme) en instrumental. Britta éteint sa voix. L’ambiance est installée, mes yeux fixés ne daigneront plus en bouger.  Par la suite, les titres ne me sont pas familiers mais sont interprétés avec justesse, tout en réserve. La gravité de Dean, sa maladresse touchante, contrastent avec l’élégance naturelle de Britta Philips. Et quand cette dernière utilise pour la première fois son micro, c’est de terre que l’on décolle (I’ll keep it with mine). Si court instant, si intense moment, écrit par Warhol après sa première rencontre avec Nico, c’est l’amour oedipien de cet illustre fou qui résonne contre les murs de la cité. Je suis agrippé à chacun des mots, chacun des accords car, je le sais pertinemment, les instants de grâce sont rares, et mieux vaut en profiter pleinement. La reprise de Lou Reed (I’m not a young man anymore) sous la vidéo où on le voit buvant sa bouteille de Coca en verre, est magique ; la voix grisonnante de Dean donne cette impression de rupture éminente, si proche du vide, jouant sur le rebord d’une falaise, le vent dans le dos et le regard ému, scrutant un horizon rosé par une pluie d’été.

Le public ne s’y trompe pas et rappelle au plus vite le groupe déjà parti. Comme un clin d’œil pour m’en foutre plein les dents, Dean & Britta reprennent l’un des plus beaux titres des débuts des 90’s : Tugboat de Galaxie 500. Une conclusion idéale, la larme qui navigue et un sourire satisfait, heureux d’être là, anonyme et esseulé sur un balcon déserté. L’instant est unique et personne ne souhaite sa fin. Un second rappel encore plus fort avec un titre de leur premier album I deserve it [je n’en suis pas certain, NDR]. Se dire que cette date est quasi unique en France procure un vicieux sentiment de plénitude, mais aussi le déchirement de voir partir là des songwriters de génie sous-estimés, sous-médiatisés.

Inattendu, volatile moment de bonheur égoïste, longtemps je me rappellerai ce mardi soir,  Dean & Britta, l’un des plus beaux concerts de ma jeune carrière.

Dean & Britta // 13 most beautiful : songs for andy warhol’s screen test // Differ-ant
http://www.deanandbritta.com/

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