Quatre ans après son troisième album, Ventre de Biche reprend du service. Avec « Vaniel », sorti ce 2 juin chez Teenage Menopause Records, Luca Retraite signe son œuvre la plus originale et la plus aboutie : un album mi-synth mi-rap, qui est en fait la bande originale du feuilleton réalisé pour l’occasion, rappelant avec un certain sens de la farce les grandes heures du film noir à la française.

C’est toujours le même décor, toujours les mêmes rues, toujours les mêmes rades et toujours la même zone grise que Luca, alias Ventre de Biche, raconte dans sa musique : « sous les sunlights du Grand-Est, dont d’autres ont parlé mieux que moi » (Bitume Mouillé). Ces sunlights monochromes dont il est pourtant devenu l’une des plumes les plus acérées, érigeant la déprime et la crasse au rang d’art, pensionnaire solitaire et erratique d’une galaxie aux contours flous, tracés au cutter par Burroughs dans les colonnes du Nouveau Détective. De ce paysage, Ventre de Biche est aussi bien le protagoniste que l’architecte, prêt à s’engager un cran plus loin dans son voyage au bout de l’ennui avec un nouvel album plus solide et chirurgical que jamais, présenté par son équipe comme une « joyeuse tranche de vie, de merde ».

« Vaniel », c’est l’hommage à Vannier et à De Roubaix, mais c’est aussi le rap et la trap, récurrents dans l’univers musical de Luca et omniprésents dans ce nouvel album. Si le glissement vers les fameuses « musiques urbaines » était déjà bien présent sur « III » (et depuis toujours, en fait), il est l’essence même de ce quatrième album, dont les textes sont écrits, hachés et scandés façon rap plutôt que punk. Luca ralentit aussi son tempo, peaufine sa musique, la simplifie, à l’image du très efficace Armure en Shit ou du lent et douloureux Du Sang sur les Mains. À bien des égards, « Vaniel » est minimaliste, les mots prennent toute la place comme sur un cut-up géant, profondément touchant et toujours teinté d’humour (« qui n’a pas déjà chié dans la rue je vous demande vraiment / ah bon pas toi, ah bon pas toi non plus », sur Je Suis Lent). Et même si c’est noir, même si c’est sombre, ça transpire la vie, aussi crade et désabusée soit-elle. Au bord du gouffre, elle explose dans un sursaut bestial dont Luca énonce les animaux-totems : il se fait d’abord rat dans Les Rues de La Street (« je suis un rat, à la scène comme à la ville, j’arpente les rues de la street »), avant d’hurler en italien « je suis un chien perdu », sur le messianique Cane Perso.

Si le présent album est peut-être le meilleur de sa discographie, c’est que Ventre de Biche montre qu’il a plusieurs cordes à son arc. En affinant le son et en affutant la plume, mais aussi en explorant une autre de ses influences majeures : plus que la musique de film, le film en lui-même. « Vaniel » se présente comme une « bande-originale de feuilleton », de ceux racontés par Hondelatte, qui tiennent en haleine les familles silencieuses à l’heure du repas et qui poussent les grand-mères à fermer leurs portes à double tour en regardant suspicieusement la vie passer à travers le rideau.
L’album s’agrémente donc du feuilleton éponyme, une mini-série en six épisodes lorgnant dans le film noir franchouillard façon Série Noire ou Poulet au Vinaigre, un univers de France dégénérée fait de pavillons de banlieue, de villes de moins de 4000 habitants et de Citroën grises aux intérieurs boisés. Pour l’occasion, le fameux Vaniel (interprété par Zad Kokar, qui se rapproche finalement plus du François Pignon de Pierre Richard que du Franck Poupart de Patrick Dewaere) a enfilé son plus bel imper beige, entouré de sombres filous prêts à fomenter quelque magouille. Entre les principaux morceaux-épisodes de l’album, quelques interludes font épaissir le brouillard de cette étrange nuit lynchienne (on trouvera certains échos de Twin Peaks dans les quelques instrumentaux du disque).

Sans vous en dire plus, on vous laisse découvrir l’insoutenable intrigue par vous-même pour replonger dans ce long fleuve de merde que Ventre de Biche ne cesse de sublimer.

Ventre de Biche // Vaniel // Teenage Menopause Records, paru le 2 juin 2023
https://teenagemenopause.bandcamp.com/album/vaniel

6 commentaires

  1. hi les disquaires losers de minimal conceptuel abstract post ? on n’st notre cul @ 3m de profondeur en rivière, bierres tres fraiches girls hispanos……

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