Malgré leur look tout droit sorti de films d’horreur, les Venom n’ont jamais assassiné personne, mais tout de même mis le feu à l’Hammersmith Odeon (littéralement, un incendie s’est déclenché le soir où ils jouaient). Et si leurs disciples n’ont pas non plus commis de meurtres, ils ont tout de même brûlé quelques églises. Un coffret revient sur leur courte carrière.

Venom est le parfait exemple de groupe qui horripile les voisins et fait fuir les demoiselles, mais ce n’est pas pour ça qu’on les aime. Si on les apprécie et les respecte, c’est parce qu’ils ont inventé le black metal. Un genre qui fera fureur dans les années 1980, aussi bien sous le soleil Californien, où il deviendra thrash, qu’en Scandinavie ou il donnera naissance à une scène apocalyptique.

« C’était encore plus fort que Mötörhead … » voici comment Necrobutcher du groupe Mayhem résume sa découverte de Venom, et par là-même sa totale conversion à ce son dont les principales caractéristiques se définissent par : une guitare stridente, une basse distordue, un double pied de batterie, et surtout (surtout) une voix d’outre tombe, gutturale à souhait, en l’occurrence, celle de Cronos.

Munich, Allemagne, 1984.

Ce dernier, Conrad Lant à la ville, est le meneur. En cette fin de décennie, les années 1970, il cherche un moyen de se distinguer des autres groupes de hard-rock anglais. La New Wave Of British Heavy Metal fait fureur, avec des groupes comme Budgie, Judas Priest, Saxon, Iron Maiden ou Def Leppard, mais Cronos les trouve ennuyeux et surtout prévisibles. Il va donc saupoudrer ses paroles de références satanistes pour choquer, une publicité gratuite et non une profession de foi. C’est l’un des enseignements du punk, toujours marquer son territoire et n jamais hésiter à se faire remarquer.

Une fois le groupe assemblé, Cronos joue de la basse et chante, Jeffrey Dunn dit Mantas qui jouait avec lui précédemment dans Guillotine le rejoint à la guitare, Anthony Bray dit Abaddon est à la batterie. Cronos qui travaille par intermittence dans le studio d’enregistrement Impulse à Newcastle, se débrouille pour organiser une première séance. Une maquette trois titres en résulte. Envoyée à divers labels elle se verra récompensée par une lettre à l’enseigne d’EMI où le mot FUCK apparaît en pleine page, habilement dessinée par des combinaisons de la lettre F à la machine à écrire (elle est reproduite dans le livret). Mieux qu’un diplôme ! Elle sera une clé d’entrée vers tous les possibles. La musique de Venom ne peut passer inaperçue, la preuve, elle horripile des directeurs artistiques.

https://www.youtube.com/watch?v=MROyGsNszcw

Le label Neat Records, qui vient de sortir un single de Tygers Of Pan Tang et de Fist, commercialise alors un premier single « In League With Satan » / « Live Like An Angel » qui retient l’intention. A tel point, qu’un premier album doit immédiatement être assemblé pour répondre à la soudaine demande d’un public attiré par le bruit et le macabre. Les morceaux de la démo à peine retravaillés feront l’affaire.

L’album « Welcome To Hell » est dans les bas en août 1981. Et si la pochette propose une tête de bouc dans un pentagramme, c’est autant en référence aux pochettes de Roger Dean dont Cronos est fan (oui celui qui dessine les trucs futuristes hédonistes pour Yes) qu’en hommage à Ozzy Osbourne. L’une des idoles de tous les amateurs de gros son et de cette fascination qu’il a su développer pour l’occultisme.

Sur la pochette du premier album de Black Sabbath (son premier groupe) il y a cette sorcière qui pose devant un manoir, et surtout à l’intérieur du disque, une croix renversée… Même si Black Sabbath se foutait de l’occultisme comme de ses premiers acides, ils ont immédiatement compris qu’ils avaient touché des doigts un sujet important, aussi emprunt de mystère que de magie. Ozzy aime ce décor de carton pâte. Sur son premier album « Blizzard Of Oz » il tient une croix de la main droite comme pour se défendre de toute attaque diabolique. Venom emprunte le même chemin.

Les cinq branches du pentagramme symbolisent les cinq plaies du Christ lorsqu’il fut crucifié, (on peut imaginer la tête en haut, les deux bras et les deux jambes), mais détournée (et retournée, dans l’occultisme, la tête est dirigée vers le sol) elles deviennent le signe de l’ésotérisme. Surtout lorsqu’on les associe avec une tête de bouc, la représentation la plus universelle de Satan. Le genre de pochette (dessinée par Cronos) qui ne passe pas inaperçue.

« On ne supportait pas les groupes surproduits de style Journey ou Foreigner, alors on faisait tout pour prendre le chemin inverse. On préférait foncer dans l’tas plutôt que réfléchir… » (Cronos)

Ce disque fait office de cataclysme, certains critiques le considèrent comme une vielle pizza qui aurait atterri par mégarde sur leur platine, d’autres y voient une suite logique au punk. Disque enregistré avec peu de moyens, 50 £ le tout, ce n’est qu’éructation et gargouillement. Abaddon se rappelle qu’il voulait « jouer le plus rapidement possible, et surtout, de la façon la plus démoniaque possible… », alors que Cronos avoue : « on ne supportait pas les groupes surproduits de style Journey ou Foreigner, alors on faisait tout pour prendre le chemin inverse. On préférait foncer dans l’tas plutôt que réfléchir… » Mais le pire reste à venir.

Cronos raconte qu’en studio il apporta de la boue, du gravier et des morceaux de bois pour ressentir une union avec mère nature.

Le deuxième album intitulé « Black Metal » (commercialisé le 1 er novembre 1982) est un summum absolu de mauvais goût. Un mètre étalon même en matière de débits sonores et d’avalanche de décibels, ce qui ne l’empêchera de donner son nom à un genre qui fera florès.

Car ce disque va s ‘avérera un vrai classique du metal extrême, d’ailleurs tous les groupes importants du genre iront de leur reprise : Mayhem, Cradle Of FIlth, Obituary, Dimmu Borgir… C’est encore plus cru et primitif que le premier, pourtant le disque a été enregistré en six jours au lieu de trois. Et à part le mix qui se fera le septième jour, dans la Bible aussi ce dernier jour de la semaine est d’une importance capitale, l’enregistrement de Black Metal ne ressemble absolument pas à une messe noire avec ses rituels macabres mais plutôt à une fête païenne. Cronos raconte qu’en studio il apporta de la boue, du gravier et des morceaux de bois pour ressentir une union avec mère nature. Il laissa son enthousiasme faire le reste, un peu comme lorsque Brian Wilson avait besoin de jouer pieds nus dans le sable au beau milieu de son salon, pour ressentir les forces de l’océan.

To Hell And Back, Buried Alive, Raise The Dead, Leave Me In Hell, Countess Bathory; (oui du nom de cette princesse hongroise devenue meurtrière réputée), Don’t Burn The Witch; chacun des titres est une promesse de frissons façon films d’horreur de série Z, avec une musique qui emmène tout droit au cimetière. C’est d’ailleurs l’envie du groupe, parvenir à saisir sur bande magnétique la bande son du repos éternel.

L’objectif sera réussit car ce disque deviendra la pierre angulaire du metal extrême. Mais revanche du bien sur le mal, il n’y aura pas de suite idyllique. « At War With Satan », le troisième opus qui tente la narration du paradis contre l’enfer connaît beaucoup moins de succès et la fin n’est pas loin. Après un dernier disque intitulé « Possessed » le groupe se dissout, il aura tout de même résisté six ans.

Pour quelle raison au fait ? Parce que personne ne peut être prophète en son pays. L’Angleterre alors en pleine folie new wave snobe complètement ces chevaliers de l’apocalypse, et si Venom est plébiscité aux quatre coins la planète, en Angleterre ils ne tournent pas assez pour pouvoir survivre et n’ont bien évidemment pas les moyens de répondre à la demande étrangère. Ils s’éteignent à petit feu car aucune aide extérieure ne vient alimenter la flamme de leur enfer. Bon, pour être tout à fait honnête, il faut ajouter à cette ambiance un peu compliquée d’une grosse prise de tête entre les trois acteurs du groupe qui n’arrange rien à propos d’une éventuelle répartition des gains.

Bien sur il y aura des come back et des tentatives de retour mais la messe est dite. Venom est pourtant le groupe qui amena le metal extreme en haut de l’affiche, qu’il soit appelé thrash (Metallica, Slayer, Anthrax…), black (Mercyful Fate, Celtic Frost, Burzum, Mayhem…) ou death. Mantas est le premier à plier bagage, bientôt suivi d’Abaddon.

Cronos après une tentative solo, reprend les rênes de Renom mais cela n‘a plus la même saveur. Et si quarante ans après leur acte de naissance, on se rend compte que Venom fut aussi important, c’est aussi parce que malgré leur côté grand guignolesque, il se dégageait de leur musique une vraie anxiété par rapport à une époque, une décennie marquée par la guerre froide. S’adresser à Satan pour oublier la menace du bloc de l’est s’avérait alors une solution comme une autre. Woodstock avait la guerre du Viêt-Nam, les hard-rockers des années 1980 l’angoisse de se recevoir des SS 20 sur le coin de la tignasse. Leurs nombreuses imprécations envers Satan les ont sauvé de la guerre mais pas de la dissolution.

Coffret Venom : 40 Years In Sodom / In Nomine Satanas // (BMG) 6 LP + Livre

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