Après tout, Michael Cimino est-il autre chose qu’un romancier qui aurait tourné quelques films avant de revenir à ses premières amours ?… Et que dire de Charles Laughton, cet a

Après tout, Michael Cimino est-il autre chose qu’un romancier qui aurait tourné quelques films avant de revenir à ses premières amours ?… Et que dire de Charles Laughton, cet acteur/producteur passé derrière la caméra pour shooter La nuit du chasseur ? Quant à Barbara Loden, la réalisatrice de Wanda, elle ne pouvait guère prétendre qu’au titre de « femme de », avant d’engager sa première pellicule 16 mm dans le magasin de son Arriflex, par une belle matinée froide de l’hiver 1970…

Il y a comme ça quelques films dans l’histoire du cinéma, mi-ratés mi-géniaux, qui entrent directement dans notre Top five intime. Leur point commun est d’être l’œuvre de réalisateurs qui ne sont pas considérés comme « professionnels ». Dans le même ordre d’idée que les trois films cités plus haut, je viens de découvrir ce Portrait de Marianne, réalisé et écrit par Daniel Goldenberg, en 1970. Un film qui connut un échec cuisant à sa sortie, et qui n’est plus montré aujourd’hui qu’au cours de projections privées, organisées par son auteur. L’œuvre est pourtant originale et moderne. Elle annonce ce qui va suivre dans le cinéma d’auteur des années 1970.

Le portrait de Marianne repose sur le tandem Claude Brasseur/Bernard Fresson. En les observant faire leur brillant numéro, on ne peut s’empêcher de faire la comparaison avec le film qui allait rendre célèbre Bertrand Blier quelque temps plus tard : Les valseuses. Mais force est de constater que le duo Dewaere/Depardieu est un peu faible, comparé à celui que forment Brasseur et Fresson.
Il y a quatre personnages importants dans ce Portrait de Marianne : deux hommes plutôt oisifs (l’un écrit vaguement, l’autre peint de loin en loin), une femme (absente) et la ville. En matière d’emploi du temps, on sent très vite que la véritable préoccupation de messieurs Fresson et Brasseur n’est pas leur art, mais la gente féminine.
La ville, en l’occurrence, c’est Paris. Un Paris d’avant les ravalements, qui ne connaît ni la tour Montparnasse ni le Forum des Halles. La place de la République regorge de 2 CV, d’AMI 8 et de 404… La gare de Lyon est méconnaissable : personne n’a encore songé à construire cette autoroute qui traverse son sous-sol…

La principale différence entre Le portrait de Marianne et ce qui allait constituer le succès majeur du nouveau cinéma des années 1970, Les Valseuses, réside dans le fait que Goldenberg ne tombe jamais dans la facilité. Là où Blier flatte son public, lui offrant un miroir dans lequel mirer sa propre médiocrité, Goldenberg offre à Brasseur et Fresson des dialogues qui frisent la virtuosité.
Etonnantes sont ces similitudes scénaristiques entre les deux films… Cependant, je ne parlerai pas de plagiat, le principe du duo d’acteurs qui part en roue libre, à la suite d’un incident déclencheur, étant aussi vieux que le cinéma parlant.

Le film n’a pas marché et Goldenberg avait de jeunes enfants à nourrir. Il s’est donc tourné vers la télévision et a gagné sa vie en écrivant des scénarios de séries à succès. Accessoirement, il a aussi publié une poignée de livres teintés d’humour yiddish, disponibles chez Calmann–Lévy, dont Le grand rôle (des acteurs juifs qui enlèvent Spielberg, de passage à Paris, pour lui arracher un rôle dans son prochain film) ou John Lemsky (un réalisateur vieillissant qui prépare son dernier film, entre le Nouveau Mexique et Jérusalem…). A lire en attendant qu’un éditeur de DVD ait la bonne idée d’exhumer Le portrait de Marianne.

Le dernier ouvrage de Daniel Goldenberg s’appelle Le Juif de la Révolution et vient de paraître chez Calmann–Lévy.

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