Mystérieusement téléporté au XXe siècle à quarante années de distance, notre rock critic attire chaque semaine notre attention sur une nouveauté tout juste sortie des presses.

Mystérieusement téléporté au XXe siècle à quarante années de distance, notre rock critic attire chaque semaine notre attention sur une nouveauté tout juste sortie des presses. Pour lui, Richard Nixon est toujours président et les Chambers Brothers ne se sont jamais séparés, c’est dire… Cette semaine, il découvre dans sa boîte aux lettres KICK OUT THE JAMS, le premier album d’un nouveau groupe de Detroit.

Elektra a encore frappé. Après les Doors et Love, la compagnie de Jac Holzman vient d’enrôler une bande de réjouissants terroristes appelée MC5. Ces gamins viennent de Detroit, la capitale de l’industrie automobile (d’où leur nom « Motor City Five »). Lorsque j’ai découvert leur album parmi mon courrier du matin, il s’est passé un truc bizarre… J’ai ressenti la violence de ce disque avant même de l’écouter. J’ai repris un Bud au frigo et examiné de plus près ces cinq freaks : le chanteur, Rob Tyner, dans sa tunique satinée à manches bouffante, ressemble à un gourou venu de l’espace, les guitaristes, à des délinquants juvéniles, le bassiste, à un Captain America psychédélique, tandis que le batteur se contente d’afficher un torse glabre ruisselant de sueur…

Le communiqué de presse m’apprend que le « Five » est un peu plus qu’un groupe. Ils sont liés aux White Panthers de John Sinclair, crédité sur la pochette en tant que « guide » – les White Panthers étant la déclinaison blanche des Black Panthers.

Sinclair part de l’excellent principe que si le prolétariat blanc s’allie au prolétariat noir, les objectifs révolutionnaires seront plus vite atteints. Mais le MC5 ne s’intéresse pas qu’à la révolution. Le groupe a également créé sa propre religion : Zenta. Le « brother J.C. Crawford » est d’ailleurs crédité en tant que « religious leader », pas moins. Et l’album a été enregistré le soir du nouvel an du calendrier Zenta, soit le soir d’Halloween pour le commun des mortels.

Tout cela est de bon augure. Ne reste plus qu’à poser leur putain d’album sur ma platine Lenco…

Enregistré live au Grande Ballroom de Detroit, Kick out the Jams commence par une harangue au cours de laquelle il est demandé au public s’il veut être le problème ou la solution… Tout est dit. Suivent quarante minutes d’éruption volcanique. A l’avenir, il faudra inventer de nouveaux termes pour décrire la musique du MC5. Ils poussent le rock’n’roll de 1969 dans ses derniers retranchements. Même les Who ou les Stones ne parviennent pas, même dans leurs moments les plus inspirés, à approcher un tel degré de sauvagerie.

Pas de longs solos ici. Les membres du MC5 se sont trop souvent endormis en assistant aux prestations complaisantes des techniciens fatigués de la scène rock.

Le « brother » qui achètera Kick out hte Jams en aura pour son argent. Fred « Sonic » Smith et Wayne Kramer, les guitaristes, ne jouent jamais une note inutile.

MC5 propose un retour aux fondamentaux pour sortir la pop music de l’ornière mercantile dans laquelle elle s’est embourbée. Le dernier morceau, cosigné MC5/Sun Ra, ouvre une voix pleine de promesses à notre chère défonce électrique.

La fronde parisienne de l’année dernière s’est dégonflée, mais gageons que les nouveaux mots d’ordre venus de Detroit sauront enflammer de nouvelles barricades. D’autant qu’il semblerait que le « Five » ait exigé qu’Elektra signe un autre groupe du cru, un obscur combo qui répondrait au nom de The Stooges. Affaire à suivre…

Pierre Mikaïloff, mars 1969

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