Vingt kilogrammes de muscles sous chaque bras et un magnum 44 armé dans la pupille, Lisa Kekaula, la voix des BellRays, répond brièvement aux questions. Le soir, les BellRays joueront Black Lightning, leur nouvel album à La Machine du Moulin Rouge. Son attention est polie, mais quand même. Il ne vaudrait mieux ne pas la faire chier.
Et si ceux qui avaient botté les bacs en 2006 avec Have A Little Faith avaient perdu la foi ? Les yeux d’Lisa, si profonds, en ont ras-les-cernes du mauvais docteur en face d’elle qui cherche le pourquoi de la baisse de tension. « C’est quoi la recette de votre rock, Diva Lisa ? » Je ne vois ni drogue, ni arme, juste une bouteille de Jack Daniel’s attablée à nos côtés et qui tait son goulot durant les vingt minutes de notre entretien. Quelques heures plus tard, sur scène, la justesse de sa jupe soutiendra en haleine un public tiède alors que le rauque de sa voix me happera vers sa gorge. Bob le guitariste, un morphing de Jimi Tenor et de Gai-Luron, cherchera à combler l’espace jusqu’au plafond puisque plus souvent jambes en l’air que Vans au sol. C’est bon Bob, on t’a vu, arrête tes bêtises. C’était un vendredi soir et une flopée de connards avaient dû gagner les places sur internet puisqu’ ils n’écoutaient même pas. Mince, The BellRays c’est quand même mieux sur scène que sur disque. Heureusement, au premier rang quelques abrutis, certainement des puristes, jouaient à la bagarre.
Notre entrevue fut courte. Brute de décoffrage, Lisa n’ouvre sa boîte à propos que pour l’essentiel.
Vous changez de crédo sur Black Lightning, non ? C’est plus punk-rock ?
Oui.
C’est positif ?
Oui. C’est l’énergie, c’est positif.
J’ai entendu dire que vous n’écriviez pas les paroles…
C’est faux. Je n’écris pas toutes les paroles.
C’est dur de s’approprier les chansons de quelqu’un d’autre, pour vous ?
Non. Si tu es une bonne chanteuse, c’est ton métier.
C’était une obligation, avec Fargo, de sortir un disque cette année ?
On avait un disque prêt, qu’on voulait sortir. Alors on a demandé à Fargo de sortir le disque cette année, et pas l’inverse.
Pourquoi avez-vous quitté Poptones ?
Nous n’avons pas quitté Poptones, ça a disparu. Ils ont coulé
Pourquoi ?
Vous n’avez qu’à le leur demander.
La brute de femme me donnait une leçon d’élocution sans finasserie. Flashback : sept ans en arrière dans une interview donnée à Clermont-Ferrand, Lisa faisait office de prêtresse et prônait l’avènement imminent d’une révolution soul-punk. Aujourd’hui, désenchantée, elle abandonne ses idéaux : « Je ne pense plus que cela va arriver. Je ne pense pas que les gens sont assez ouverts pour ce genre de choses. La révolution se passe tous les jours mais les gens préfèrent regarder la télévision ». Le boulevard de Clichy est ordinairement calme ce soir devant le Moulin Rouge alors que l’expression voudrait que les quidams y transitent. A l’entrée, une liste d’invités longue comme une rubrique nécrologique un mois de canicule. Je me demande encore qui y met de sa poche pour les BellRays, cette machine à vapeur soul-rock. S’il y a bien une chose qui énerve Lisa, me confie-t-elle, c’est les gens qui sont ailleurs pendant le show, qui consomment un concert comme une émission en léger différé, qui bougent moins que leur mobile. Pas de bol, à la Machine, il y avait une putain de wi-fi et les smartphones surfaient sur les ondes. Nous sommes donc un vendredi soir à la Machine et la nonrevolution.com est en marche. Sans les dix bras cassés qui révisaient leurs placages front of the band, je pense que les BellRays auraient été déçus. Ce n’est pas pour rejouer le couplet du « Paris s’endort » mais ça fait chier. Focus on the show, les BellRays, ignorent ceux qui les ignorent. Paris mort ou pas, la lionne rugit encore. « Si tu mets de la nourriture en face de quelqu’un qui n’a pas faim, il ne va pas manger. Mon champ d’action est limité à ici et maintenant, sur la scène. Le reste, je m’en fous ». Une femme qui ne fait qu’une seule chose à la fois est une femme d’exception. Il faudra un rappel pour que le public s’en rende compte.
Le folklore de ces anciens ados désabusés rappelle deux heures durant une époque où le punk un peu pop valait quelque chose. Ma Californie. Enfin dans les années 90 ça suffisait pour être heureux. Je n’ai pas dansé non plus, la nostalgie pour excuse.
The BellRays // Black Lightning // Fargo
http://www.thebellrays.com/
1 commentaire
Votre franchise force l’admiration. J’ai eu la chance d’interviewer Lisa le 18 Novembre et je dois avouer que les six minutes vécues en loge avec elle se sont avérées très semblables à ce que vous exprimez au début de l’article.
Il semblerait qu’obtenir une interview développée des Bellrays ne soit pas chose facile. Je vous tire mon chapeau quant à la sincérité avec laquelle vous retracez ce moment.