Eux, bien entendu, n’en diront rien. La ramener trop alors qu’autour de leurs nombrils des tas de gens s’activent à monter des groupes, des concerts, des fanzines… L’acte fondateur du label Teenage Menopause ressemble à un pari hippique réalisé sous acide. Frous et Elzo traînent alors leurs vestes en jean au comptoir du disquaire Born Bad. Ils forment une joyeuse bande avec la clique des Cavaliers, de Frustration ; vont aux concerts, s’imbibent de toutes sortes d’alcool, vivent leur révolte à grands coups de dessins hallucinants (pour Elzo) ou de camaraderie (pour Frous). Puis le temps passe, les générations aussi, et une bande de sales chiards fraichement démoulés débarquent à la capitale pour bouffer, eux aussi, leur part du gâteau.
La bande en question, c’est celle de Cyprien Lapalus de la future clique Inch Allah Records, du groupe Catholic Spray et de toute cette jeunesse qui nous a sauvés l’année 2009 avec ses soirées à La Cantine de Belleville. Pas vraiment pote, et même méfiant envers les morveux, Frous chérit en secret le split K7 Catholic Spray/Zyklon Beach. Jusqu’à ce concert où il finit par craquer. Alors que l’apocalypse sonore opère sur scène, Frous & Elzo gueulent « comme des gogols » à qui n’est pas encore sourd : « ON SORT VOTRE DISQUE, ON SORT LES CATHOLIC SPRAY ! » La gueule de bois passée, Antoine Quincerot, bassiste et homme conscient du groupe, rappelle alors la promesse au couple infernal : « C’est vrai ce que vous avez dit hier soir ? » Sans pouvoir faire machine arrière et « parce qu’ils se croient peut-être encore en after », Teenage Menopause signe alors son premier groupe.
« Quand je me prends une beigne, je me sens putain de vivre. »
Acte inconscient et donc romantique, le mécanicien de jet et l’illustrateur bruxellois barzingue créent leur label en apprenant leur métier sur le tard. D’abord partie sur un single, la production du LP « Amazone Hunt » de Catholic Spray leur demande six mois. Ce qu’il en ressort ? Un attentat sonore d’échos et de larsens, croûte agressive masquant un surf rock composé quelque part là où la mer se serait retirée. Extrême ? Pourtant, Frous dit avoir légèrement freiné le groupe : « je leur disais : les gars, j’adore votre musique, je la trouve mortelle mais on est cinq à la comprendre. Vous jouez tous dans les mêmes groupes, vous vous écoutez tous entre vous… Là, on en presse 500. » Résultat des courses : ils inventent un son reconnaissable du premier coup. Et puis les titres des chansons se suffisent à eux-mêmes : Les Crevettes homosexuelles, La Lamentation du chevalier, Tu ne seras jamais un vrai Hell’s Angel… Teenage Menopause, hein !
L’éthique du label est d’une simplicité alarmante : Frous et Elzo signent les groupes dont ils se sentent proches. « Mes groupes ? Mais ce sont mes potes ! Ils dorment chez moi. Mon but c’est pas de les enfermer dans mon label. On possède même pas les droits des morceaux. S’ils veulent sortir sur un autre label, génial. Mon but, c’est que ceux qui jouent aujourd’hui pour 500 euros jouent demain pour 2000. Voilà. » Voici ce qui pourrait arriver de mieux à l’écurie en devenir. Parce que « le retour du vinyle, c’est bien beau mais ça fait bouffer personne. C’est pas parce que Daphné Bürki écoute des vinyles que… Et puis va en province un coup, essaye juste d’y trouver un diamant pour ta platine ».
En un an et demi, Teenage Menopause a sorti cinq albums de cinq groupes : les Jack Of Heart, Catholic Spray, Le Prince Harry, JC Satan et, le mois dernier, Scorpion Violente. « J’aime ce qui est vicieux. Scorpion Violente l’est encore plus que tout le reste ; c’est un tunnel en pente douce, un dénivelé où tu te retrouves avec de l’eau jusqu’à mi-mollet, un peu comme quand tu visites un ancien blockhaus. Tu sais, là où tu trouves toujours une culotte Hello Kitty écrasée dans le sable… » Pas à proprement parler un label de garage, Teenage Menopause fait le lien entre l’électricité et l’électronique, la génération Born Bad et Inch Allah Records, le tout en préservant l’esthétique du danger à tout prix. « Je ne peux pas me cantonner à un style. Ça m’emmerde, ça m’étouffe. Quand on allait aux soirées Automatik du Rex, on était les seuls types en veste en jean. Et alors ? Regarde : sur le papier, pour des puristes, JC Satan et Le Prince Harry n’ont rien à foutre sur le même label. Pourtant, les deux groupes prennent un pied d’enfer à jouer ensemble. Point. » Le danger comme lien musical, voilà l’immense bouffée d’air qu’insuffle Teenage Menopause dans une ville où la musique n’est que trop souvent chiante à mourir. « Ce qui me plaît, c’est la violence. Quand je me prends une beigne, que je suis malheureux ou en descente, je me sens putain de vivre. Alors cette mise en danger, je la risque toujours consciemment. Car il n’y a pas de plus beau bordel qu’un bordel organisé. » Se sentir vivant dans la peine et la souffrance, le tout en dynamitant la chienlit ambiante, voilà bien une profession de foi nécessaire et pleine d’un certain romantisme ; rien de moins qu’un acte salvateur pour toute les personnes qui ont encore quelque chose à foutre de la musique.
Voici pourquoi nous tenions à vous présenter Teenage Menopause, pourquoi nous avons programmé Le Prince Harry à la Maroquinerie ce samedi, pourquoi il faudrait que vous achetiez l’une des 500 copie en circulation de chacun des albums sortis par ce label. Juste un moyen simple de dire aux mous en tout genre : « allez vous faire foutre. »
4 commentaires
« Et puis va en province un coup, essaye juste d’y trouver un diamant pour ta platine »
No comment…