Au départ, c’est à dire à l’époque où vous n’étiez certainement pas né, le projet de Stoney était d’enregistrer ses réponses en se projetant dans l’avenir, alors qu’il serait devenu une star. Pendant des années, pensant que sa vie n’était pas à la hauteur de ses rêves de gosse, il a évité la confrontation et n’a jamais osé répondre. Aujourd’hui, à 56 ans, il assume enfin, aux yeux du monde, et renvoie un écho tardif, désabusé et drôle au gamin qui vit encore en lui. Dorian Gray 70’s : le buzz le plus puissant de 2015.
Pour financer un film d’une heure trente, il monte alors une video de quelques minutes qu’il poste sur Internet, en mettant en scène ses questions posés à l’âge à 18 ans, ainsi que ses réponses à 56. Un million de vues plus tard, son objectif est atteint à 330%.
Stoney, tu as enchainé les interviews pour la presse du monde entier. Tu as présenté ton projet 1000 fois. Tu es capable de le pitcher comme personne, peux-tu nous le présenter encore ?
Stoney : En 1977, à l’âge de 18 ans, j’ai interviewé mon Moi futur. En utilisant le top du matériel de l’époque, j’ai filmé la première partie d’un voyage dans le temps qui aurait pris la forme d’un talkshow. J’étais assis dans un fauteuil, dans un studio tout noir, et comme un Johnny Carson adolescent, j’ai discuté avec un Moi plus âgé imaginaire. J’étais anxieux à propos de mon avenir, des choix que je devais faire. A qui je peux demander ça ? Personne n’a vraiment la réponse à ces questions. J’ai alors réalisé que la solution ne pouvait se trouver que quelque part en moi, mais dans le futur. Quelle bonne idée ! Je devais enregistrer une auto-interview entre moi aujourd’hui et moi demain.
Pendant cette conversation à sens unique, je me suis posé des tonnes de questions : sur l’avenir, ma carrière, ma famille, l’art, le sexe. Puis j’ai filmé plein de réactions différentes à chaque réponse que j’attendais, allant du hochement de tête poli, à la joie, la tristesse, l’ennui, la surprise, et même l’effroi. Ces heures de tournage sont cool juste comme elles sont. Mon père tenait la caméra et a varié les effets de caméra, avec des plans larges, serrés, champ-contre-champ, etc. Aujourd’hui, j’ai 56 ans et je me sens enfin prêt à faire face à Moi à 18 ans et à tourner l’autre moitié de la conversation. Ensuite, je vais monter l’ensemble. L’illusion finale devrait être humoristique, touchante, révélatrice, entre un gamin aux yeux qui brillent et lui-même entre deux âges. Ça peut être un beau bordel.
Ta démarche est cohérente avec tes origines, non ?
Stoney : Avec une mère qui est un auteur de SF reconnu et un père qui a eu du succès en tant qu’illustrateur de SF, je pense que tu peux dire que la science-fiction coule dans mes veines. En grandissant, toute ma famille allait régulièrement à des séances de dédicace tous les ans, à Milford, Pennsylvanie. Les enfants jouaient, pendant que les parents parlaient boutique. Mes sœurs et moi on a du grimper sur les genoux et tirer les barbes de tous les grands auteurs de SF de l’époque, sans même s’en rendre compte. On habitait un quartier coincé de Long Island, on détonait dans le voisinage. Ma sœur Susan fait maintenant des films, des pièces de théâtre, et des scénarios (elle a écrit le scénario de ‘Pollock’ de et avec Ed Harris). Donc c’est complètement dans notre sang. Je n’aurais jamais pensé avoir du succès ou être aussi brillant que mon père, mais c’est super de marcher dans ses traces, même un petit peu. C’est très gratifiant de finir ce projet que j’ai commencé il y a si longtemps. Je pense que tu peux dire que je m’inscris dans la tradition familiale.
Ce que je préférais, c’était de me vieillir.
Que (et qui) voulais-tu devenir à l’époque ?
Stoney : J’ai voulu être acteur aussi loin que je me souvienne. Une part de cette passion était liée à une fascination pour me transformer. Devenir quelqu’un d’autre. Bien sûr, très jeune, j’ai commencé à expérimenter les drogues hallucinogènes… non, je déconne. Ce que je préférais, c’était de me vieillir. Je passais des heures à me faire des mèches de cheveux gris, me cribler de tâches de vieillesse, faire reculer la limite de mes cheveux, et même me rider, simuler l’affaissement des chairs à coups de latex. Ironiquement, tout ce que je m’infligeais, je le suis devenu. Et ça me gonfle. Parfois je me regarde dans le miroir, je retrouve mes yeux d’enfants et je me dis « c’est cool ! Des pattes d’oies ! Des cheveux gris ! De la peau grumeleuse ! ». Par contre, je n’ai jamais validé la pousse des poils d’oreille. C’est nul.
Je suis sûr que mes parents ont été déçus que je ne sois pas gay. Sans déconner. Des hippies artistes, qui m’ont élevés loin des lignes ennemies des masses banlieusardes. En grandissant, mes parents ont réalisé que je n’étais pas sportif, que j’adorais les comédies musicales, que j’étais timide avec les filles, que j’aimais écrire, peindre, faire l’acteur, et que j’avais un meilleur ami qui lui était gay. Je suis sûr qu’ils anticipaient ce jour inévitable ou j’allais sortir du placard. Maman, papa : désolé, je ne suis pas gay.
Quand mon premier roman de SF a été publié, il y a de ça des années, j’étais invité à une convention pour prendre la parole en public. J’ai vidé mon armoire, cherchant désespérément une tenue qui fasse « écrivain ». Je voulais un déguisement d’auteur. Mais je n’avais rien qui y ressemble: pas de veste en tweed avec des pièces aux coudes. J’ai trouvé une seule tenue habillée : un smoking. Yep. Finalement, j’ai cartonné à la convention, avec mon look complètement décalé, qui tenait plus du tueur à gages haut de gamme que de l’écrivain. J’ai même eu un compliment cool de Harlan Ellison sur ma tenue. J’ai adoré.
L’un des trucs les plus cools dans ma famille, c’est que la créativité, les expériences de vie, ont toujours été la top priorité. C’était toujours : « Non tu n’auras pas ce jouet hors de prix que tous tes amis ont, mais on va réunir suffisamment d’argent pour acheter ce kit de peinture à l’huile que tu voulais ». Ou : « Désolé, pas de fringues branchées pour toi, mais tu peux avoir la caméra que tu voulais, et même peut être une machine à écrire d’occasion ». Et tout ça combiné avec le fait que mon père était aussi peintre et cinéaste, et qu’on a toujours eu autour de nous du matériel plein la maison : des caméras super-8, des appareils photos, des instruments de musique. D’une certaine façon, l’art était une façon de gérer nos problèmes, individuels ou familiaux : tu as rompu avec ta copine ? Écrit un poème. Tu as des problèmes de peau ? Peint un autoportrait. Tu t’es embrouillé avec ton meilleur pote? Compose une chanson. Donc c’était naturel, dans ce contexte, que ma trouille de l’avenir au moment de quitter la maison et d’entrer dans la vie adulte me conduit à chercher des réponses en faisant un film.
Je m’adressais à un visage dessiné sur une assiette en carton collée sur une chaise en face de moi,
Comment s’est passé le tournage à l’époque ?
Stoney : En 1977, j’avais enregistré près de 4 heures de rushes. Il y a des tonnes de matériel à exploiter, heureusement. A l’époque, j’ai juste écrit tout ce que je voulais savoir sur moi dans l’avenir sur un tableau pour ne rien oublier. Tout. De « as-tu finalement appris à faire des claquettes ? » à « vois-tu toujours le type qui est ton meilleur pote aujourd’hui? ». Je m’adressais à un visage dessiné sur une assiette en carton collée sur une chaise en face de moi; je ne regardais pas vraiment un véritable être humain quand j’ai enregistré ce film. Pas plus que quand j’ai commencé la seconde partie il y a quelques semaines. J’avais en face de moi un morceau de scotch bleu collé au mur.
Mon père m’a énormément aidé pour ce projet. Je n’aurais pas pu le faire sans lui. On a filmé ça dans un mini studio que mon père avait construit des années avant dans le grenier de notre petite maison à Long Island. Mon père a réalisé les éclairages, la prise de son, et il a filmé aussi. Par chance, la station locale de PBS lui avait prêté une caméra pour peu de temps. Il a fallu tout faire en une journée, c’était maintenant ou jamais. Il a été très fort, très réactif, pour me dire quand il fallait refaire la prise.
Sans doute le seul inconvénient à la présence de mon père face à l’adolescent que j’étais, était que ça devenait difficile de parler à mon Moi futur de choses liées aux filles, au sexe, tout ce qu’un ado ne veut surtout pas dire à son père. D’une certaine façon, même si mon père est mort depuis longtemps, je le sens regarder par-dessus mon épaule quand je travaille sur la seconde partie. J’espère qu’il aurait été fier. Presqu’autant que si j’avais été gay.
[Ce projet] c’est comme un tour de magie. Complètement truqué. Et pourtant basé sur la vérité.
Pourquoi te lancer aujourd’hui dans cette confrontation avec un gamin que tu as peur de décevoir ?
Stoney : Je me suis lancé dans ce projet parce que j’ai eu des ennuis de santé. Heureusement c’était une fausse alerte. Lors d’un contrôle de routine, il y a quelques mois, mon médecin a trouvé quelque chose d’étrange aux battements de mon cœur. Je me suis retrouvé aux urgences en observation pour la nuit. Il s’est avéré que c’était juste une réaction à un nouveau médicament que je prenais pour l’hypertension. Quel soulagement ! Mais quel épisode effrayant !
Ce qui est remarquable dans ton travail, c’est que tout est vrai, et tout est faux. Il y a une grande sincérité, mais toujours dans une représentation fictionnalisée. La vision d’un professionnel sur un contenu intime.
Stoney : Parfois les gens me demandent s’il s’agit d’un documentaire. Je ne sais pas trop quoi répondre. Autofiction ou documentaire ne sont pas les bons termes. Bien sûr c’est bien moi à 18 ans, et c’est bien moi à 56 ans, et on parle de vrais trucs, mais ce n’est pas du tout réel. C’est même complètement fictionnel, en un sens. On n’est évidemment pas dans la même pièce. Il ne peut pas m’entendre. C’est comme un tour de magie. Complètement truqué. Et pourtant basé sur la vérité. Et j’espère, aussi honnête que possible. Je me suis juré d’être le plus véridique et authentique possible, en dépit du côté artificiel du dispositif. Et pour l’angle comique, c’est juste un aspect de l’ensemble. Le film, j’espère, traite également de vérités universelles profondes, parfois douloureuses. Il y aura des moments drôles, doux, combatifs, et profonds. Un arc narratif qui finit, j’espère, par une réconciliation. Je pense aussi que, même en fiction, les choses qui sont véridiques ont tendance à entrer en résonnance avec les gens. Même avec un matériel totalement inventé, plus tu es honnête, plus ça fonctionne. Je n’essaye pas de faire une fiction avec ma vie. Au point que ma femme va jouer son propre rôle, mon meilleur pote de l’époque va apparaitre, d’anciennes petites amies, etc. Je me souviens que c’est ma femme qui a eu l’idée qu’à un moment je m’emporte et quitte l’interview, et c’est elle qui reprend la discussion avec moi à 18 ans. Fou, non ? À la fois pour l’adolescent qui discute avec sa future femme plus âgée et pour ma femme qui papote avec son futur mari 10 ans avant leur rencontre dans la vie réelle. Dingue.
Maintenant que tu as l’argent, tu peux faire le film. Il semble prévu pour 2016.
Stoney : Je ne sais pas encore quand le film sortira. Je viens de démarrer la pré-production, je suis en train de voir tous les aspects budgétaires et j’établis le planning avec mon producteur. J’espère entrer en production au début de l’année prochaine. J’avais en fait participé à un concours organisé par Ovation [une station de télé spécialisée dans les arts] et RocketHub, le site de crowdfunding. J’ai présenté le projet et j’ai estimé le budget à 50000$, ce qui me semblait plutôt bas, et raisonnable pour un film à très, très, très petit budget, dont l’auto-interview serait le cœur d’une histoire plus large. Les organisateurs ont adoré l’idée, mais m’ont demandé de baisser l’objectif à 10000$. Donc, ironiquement, j’ai rempli 300% de l’objectif officiel, mais je ne suis qu’au deux-tiers de la somme dont j’ai besoin. Mais ça va le faire. Je suis très reconnaissant envers tous ceux qui ont donné, et je vais consacrer chaque dollar à en faire le meilleur film possible. Une équipe de premier plan, un matériel professionnel, un vrai studio de tournage, des effets spéciaux, de la musique, de la post-production, du montage, et tous les frais sans intérêt mais obligatoires, comme la nourriture, les assurances…
J’aimerais aussi pouvoir restaurer les films de l’époque, mais c’est incroyablement cher et en dehors de mon budget. Donc si j’ai de la chance et qu’une chaine de télé veut le film, peut être pourront ils injecter les fonds nécessaires. On peut toujours rêver.
J’espère aussi pouvoir faire la tournée des festivals autour du monde, et le ticket d’entrée pour certains d’entre eux est très élevé. Les coûts liés aux voyages sont aussi très élevés. Pour ceux qui veulent continuer à contribuer, j’ai créé ce nouveau site : http://www.laterthatsamelife.com
Je suis l’inventeur d’une forme de machine à voyager dans le temps
Tu as trouvé ce que cherchent tous les auteurs. Tu arrives à atteindre le cœur des gens avec un gigantesque ego-trip. L’universalité en ne parlant que de toi…
Stoney : L’un des aspects les plus excitants de ce projet est sa capacité d’émotion sur les gens, le fait qu’ils se reconnectent à leur Moi à 18 ans. Dans le tournage de l’époque, à un moment je demande doucement à mon futur Moi : « est-ce que tu m’aimes ? ». Ça me brise le cœur encore aujourd’hui. Un tas de retours que j’ai eu tourne autour de l’idée du retour sur sa propre adolescence, du jugement que porterait le gamin encore en nous sur nos vies actuelles. J’ai suscité des sentiments forts. Voici le témoignage d’un type de Tampa, Floride, qui a contribué pour 50$ :
Stoney,
J’ai vu ton projet aujourd’hui. J’aimerais pouvoir donner plus. Quand tu as dit au toi à 18 ans sur le fait de passer plus de temps avec son père, ça m’a touché. Je me suis marié samedi. Ma mère a quitté ce monde il y a 13 ans, et j’ai réalisé à quel point j’aurais souhaité qu’elle soit là, à quel point j’aurais voulu avoir encore une minute avec elle, à quel point j’aurais voulu cette première danse, que nous n’aurons jamais.
Ce que j’ai pu voir dans tes yeux à ce moment, c’est que ce sentiment tu le connais trop bien.
Merci, j’ai du mal à traduire ma reconnaissance en mots ou en argent. Je voulais juste que tu saches que, si petite soit ma contribution, elle montre quand même que tu es apprécié. Bonne chance Stoney.
Le voyage dans le temps, thème SF ultra classique devient, de fait, complètement réel : il suffisait de patienter 38 ans. Je suis l’inventeur d’une forme de machine à voyager dans le temps, si tu veux. J’aurais juste aimé que ça fonctionne dans les deux sens ? Est-ce que ça ne serait pas génial ? Mais bizarrement, ça marche. Depuis que je travaille au projet, je plonge profondément en moi-même, et je m’applique à ressentir à nouveau ces émotions. Je me connecte avec cette part de lui encore en moi. Donc d’une certaine façon, j’ai l’impression de retourner dans le passé pour de brèves périodes. Récemment, comme je suis concentré toute la journée sur le film, j’ai même commencé à rêver que j’avais à nouveau 18 ans. Tu vois, j’utilise réellement cette machine dans mon sommeil.
J’ai du mal avec le plan du film, et je suis hanté par le fait que bien que la conversation avec le jeune Moi semble être tellement réelle sur certains points, il ne peut pas vraiment m’entendre. Evidemment, je ne peux pas vraiment changer l’histoire. Je ne peux pas lui dire quoi faire ou ne pas faire (il n’écouterait pas de toutes façons). Je ne peux pas le l’alerter sur les crises dans le monde qui vont arriver. Ou lui indiquer des chemins à prendre pour les éviter. C’est un sentiment étrange que celui d’être piégé dans un cycle sans fin, dans la mesure où ce voyage dans le temps semble être si réel, et pourtant je ne peux rien changer.
Tu as dit à propos de la vidéo : « Mon double menton est devenu viral ». Tu prends toutes les réactions, les encouragements, et la bave des trolls avec toujours un regard sur la vie et sur toi même désarmant d’humanité et d’auto-dérision.
Stoney : Bon, maintenant quelqu’un veut traduire ma video YouTube en Arabe. La plupart des retours que j’ai eu sont formidablement encourageants et positifs, mais il y a aussi quelques Trolls pour écrire à quel point je suis horrible, ou que le projet est stupide. Ça fait mal mais je commence à m’y habituer après quelques semaines. Quelqu’un a écrit qu’il pensait que ce que j’avais fait était un fake, et que j’avai embauché un acteur pour jouer le jeune Moi. Un d’autre est persuadé que ça a déjà été fait il y a longtemps. Et que je suis nul. Et que ce que je fais est nul. Le crowdfunding n’est pas fait pour nous les introvertis au cuir tendre. Si tu es anormalement timide par rapport aux interactions sociales, mal à l’aise pour demander de l’aide aux autres, et content d’être anonyme sur les réseaux sociaux, alors le crowdfunding peut te faire souffrir. Sérieusement. Mais il peut aussi être une belle aventure. Si tu cherches “solitaire casanier qui garde tout pour lui” dans le dictionnaire, tu vas trouver une photo de moi (à côté de celles de tous les serial killers).
La plus grande leçon que je retire de tout cela c’est de faire en sorte que le film soit aussi honnête que la bande annonce. Parce que les réactions des gens ont montré que c’est ce qu’ils attendaient. C’est le cœur du projet. À un moment, j’ai joué avec l’idée de créer une fiction autour de l’interview, avec un “vrai” voyage dans le temps, des méchants, des intrigues compliquées, des tic-tacs d’horloge, etc. A la vue des retours, j’ai complètement balayé tout ça. Grâce à tous ces signaux reçus, qui m’ont réchauffé le cœur, j’ai décidé de rester très près de la réalité, fidèle, et d’être aussi douloureusement honnête que possible.
Les questions les plus dures à traiter aujourd’hui sont celles qui tournent autour de mes échecs.
Stoney, tes livres ont été optionnés par Jerry Bruckheimer sans qu’aucun film n’en soit tiré. Bon je n’ai pas envie d’être cruel, mais je vais utiliser l’anecdote pour montrer que tu es resté aux portes d’une certaine forme de succès. Pendant toutes ces années tu as évité de répondre aux questions du gamin de 18 ans, à cause de ce que tu voyais comme un manque de réussite. Aujourd’hui tu assumes et tu passes à l’acte.
Stoney : C’est sûr que les questions les plus dures à traiter aujourd’hui sont celles qui tournent autour de mes échecs : est-ce que tu es riche ? Célèbre ? Une star de cinéma ? Sur quelle couverture de magazine as-tu figuré ? C’était dur d’y répondre, parce que je savais que j’allais le décevoir. Les plus simples étaient celles qui parlaient de mariage parce que je suis heureux.
Avec le recul, si j’étais devenu célèbre jeune, je n’aurais pas bien géré. De bien des façons, j’étais très fragile émotionnellement, et devenir le centre de l’attention d’un seul coup aurait pu vraiment me foutre en l’air. Même maintenant à 56 ans, avoir cette petite notoriété avec ce projet a été délicat. C’est à la fois exaltant et terrifiant. Je ne peux pas imaginer ce que ça aurait été à 18 ans.
Bien sûr, être face à ce gamin, qui était sûr qu’il allait décrocher la lune, a contribué à décaler le projet. Le concept d’origine c’était moi tout au long de ma vie. Moi à 18 ans, qui interrogeait Moi à 25 ans, puis Moi à 35 ans entrait dans la conversation, puis à 45 ans, etc. finalement, ça devait commencer avec 2 personnes qui discutent et finir par une pièce pleine de Stoney de tous les âges, bavardant entre eux. Mais à chaque fois que j’atteignais l’un de ces âges, j’envoyais tout balancer. Ma vie ne me semblait pas suffisamment parfaite pour m’adresser à ce gamin aux étoiles dans les yeux. J’ai continué de l’éviter et encore l’éviter. Je pensais que finalement un jour j’aurais une vie assez grandiose pour ne pas décevoir le gosse.
Quand j’ai emménagé à L.A. et que j’ai signé avec mon premier agent, j’étais prêt à tout. Je passais des auditions pour des pubs, et dans ce type d’audition, seule l’apparence est importante. J’ai d’ailleurs un souvenir très net de ma première audition pour une pub : je m’étais frayé un chemin vers la salle d’attente, et là j’étais entré dans la quatrième dimension. Chaque individu dans cette pièce était grand, légèrement bedonnant, au visage avenant avec un nez épais. Le blanc inoffensif, avec un sourire chaleureux, et un début de calvitie. Le casting parfait pour le meilleur pote gay, le voisin sympa, le père débordé, le mari dominé, le médecin de famille, ou même, si on pousse un peu, le chef de service un peu décalé. Ça m’a scotché.
Regarde-nous, comme on est vieux et sages… Je vais essayer de faire comme toi, me reconnecter à celui que j’étais en 1977. Retrouver la candeur et l’absence de confiance en soi. Donc là j’ai 14 ans et je suis en troisième : Stoney, je viens juste de voir La Guerre Des Etoiles, c’est super mais déjà-vu non? Comme les films de cape et d’épée des années 50 qui passent tout le temps à la télé.
Stoney (qui répond lui aussi comme s’il avait encore 18 ans) : C’est surement fun et visuellement c’est révolutionnaire. Des effets spéciaux stupéfiants. Vraiment génial. Et j’aime bien certaines scènes, comme quand les deux robots marchent à côté du squelette géant. Ça me rappelle les premières peintures SF de mon père. Mais c’est sûr que c’est un assemblage de trucs qu’on a vu un milliard de fois. En tant que fan de SF je range plutôt ça du côté de la Fantasy. Bien sûr il y a des aliens, des robots, mais les sabres, les chevaliers, le seigneur du mal, le héros en quête, la Force, pour moi c’est de la Fantasy. Et franchement, je suis plus un fan de Star Trek que de Star Wars. Trek c’est plus astucieux et humaniste. Hey, le bruit circule qu’ils vont réunir le casting de la série pour faire une série de films un de ces jours, sans doute dès 1979 ! Ça ce serait sensationnel.
Evelyne Bigay, c’est la star dans ma classe. Elle est superbe, elle s’habille comme une femme. Mais rien, je suis complètement invisible pour elle. Comme les autres, elle ne s’intéresse qu’à des mecs en première ou même en terminale.
Stoney : Je voudrais pouvoir te donner des conseils. Je suis moi-même nul avec les filles. Ça peut aller avec celles qui ne m’attirent pas, mais je deviens super timide avec celles que j’apprécie. Il a fallu tout mon courage pour inviter la fille que je convoitais au bal de fin d’année. Je flippais à mort, mais finalement j’ai pu le faire. Et elle a dit oui ! Je pense que c’est ça le truc. Peut-être que ce je peux te dire c’est ce que je dis aujourd’hui : tente ta chance. Si tu laisses ta peur d’être rejeté t’empêcher de demander à une fille de sortir avec toi, en fait tu te rejettes toi-même. Essaye. Il vaut mieux se planter en tentant le coup que de ne rien faire. Maintenant je me demande si j’en suis moi-même toujours capable…
D’où vient ton surnom « Stoney » ?
Stoney : Quand j’étais plus jeune, je racontais aux gens toute sorte de salades sur l’origine du surnom Stoney. Je disais par exemple qu’il datait de l’école primaire quand mes camarades ont découvert que le prénom Peter venait du mot Grec ‘Pierre’ (Stone). Ils ont commencé à jouer avec. Ou je disais que, puisque je n’avais jamais fumé de ‘pot’ au lycée, le surnom était ironique (comme quand on appelle un géant ‘Shorty’), parce que j’étais aux antipodes du ‘stoner’. Ou encore je disais que c’était le diminutif de ‘Stonewall’ (évasif), et j’inventais que c’était mon deuxième prénom. Ou même parfois, si c’était une jolie fille qui me posait la question, je haussais les sourcils d’un air entendu et j’invoquais une connotation sexuelle, sans être plus précis.
Mais rien de tout ça n’est la vérité. En 1972, j’ai vu un téléfilm expérimental bizarre sur PBS (la chaine publique américaine) appelé Between Time and Timbuktu. Il était basé sur les bouquins de Kurt Vonnegut. Il y avait l’acteur William Hickey, qui jouait un personnage appelé Stony Stevenson (le hasard a fait que j’ai étudié le jeu d’acteur avec ce même William Hickey). J’ai adoré ce programme étrange, et le personnage de Stony, quand je l’ai vu à l’âge de 13 ans; un vrai nerd et un minable, avec des côtés parfois héroïque. J’ai décidé, puisque je n’avais jamais aimé mon prénom, d’utiliser Stoney comme un nom de scène. J’ai commencé à jouer professionnellement à 7 ans. J’ai eu un peu de mal à décider mon entourage à m’appeler ainsi, mais quand on a déménagé à Manhattan, j’ai commencé à me présenter sous ce nom. Ça a collé tout de suite. Même ma propre famille a commencé à m’appeler ainsi. Suivie bientôt de tout le monde. À ce moment donné, si quelqu’un appelait ‘Peter!’ je ne tournais même plus la tête.
Dans mon tournage originel de 1977 de Later That Same Life, il y a même un moment ou Moi à 18 ans demande au plus vieux si le nom ‘Stoney’ a eu le succès attendu. Je suis sûr qu’il serait heureux d’entendre la réponse. J’étais plein de contradictions à l’époque, sans doute encore aujourd’hui. Je voulais être le Capitaine Kirk, j’ai même tourné un épisode entier vers l’âge de 10 ans appelé Junior Star Trek. Mais je me sentais surtout dégingandé, ringard, fade. Donc le personnage de Stony Stevenson qui était maladroit et innocent, et en même temps héroïque et noble d’une certaine façon, me convenait parfaitement. En fait, j’ai même voulu prendre comme nom de scène Stoney Peterson. Pas seulement parce que ça sonnait comme le nom du personnage, mais aussi parce j’aimais l’idée que « Peterson » suggérait que j’étais mon propre fils. Je suis sûr qu’un psy tiendrait une journée entière là-dessus. Hahaha.
Tu as des enfants ?
Stoney : Tristement, ma femme et moi n’avons jamais eu d’enfants. On aime les enfants, et on avait prévu d’en avoir, mais quand on s’est mariés, il y a 25 ans, on a fait une erreur stupide. On s’est jurés de ne pas faire d’enfants avant que deux conditions soient remplies : la première, qu’on soit à l’abri du besoin, et la deuxième, qu’on se considère des adultes nous-mêmes. Je n’ai pas besoin de te dire qu’aucune des deux n’arriva jamais.