Chaque année, la belle revient à moi, éclectique, novatrice, provocatrice. Cette vingtième édition de la route du rock ne déroge pas aux règles qu’elle a elle-même établies. Le bon goût du bobo à carreaux, un déluge de boue pour le côté enfant maudit et plein de beurrés  mais toujours polis et bien sapés. Des noms ronronnants ( Flaming Lips, Black Angels, Caribou), d’autres  qui chlinguent la gueule de bois rassie ( Foals, Rapture, Two doors cinema club ) mais tous sonnant au minimum le glas d’une démarche artistique crédible et passionnée.  Un bon début. Voici donc le récit grandiloquent d’une route du rock forcément particulière (car la mienne), celle d’un voyage aller simple dans le grand fourbis de la boue.

NDR : Les concerts critiqués ne correspondent pas forcément aux jours où ils se sont passés. Pour sûr, des errements mémoriels entravant la chronologie du festival.

JOUR 1. Le calme avant la tempête. La déglingue discrète. La flatulence légère. Le verre à moitié vide.

Ok, laissé passé. Je débarque, ma caisse empêtrée dans une terre encore aride, la Quechua sur les épaules, la force vive d’un enfant roi qui n’a pas idées, oh que non, de la loose qui s’annonce, le pass bringuebalant et foncièrement mis en avant devant chaque minette qui ose croiser mon regard puritain. Tiens, Bester L. est déjà fourré dans le coin presse, attendant non sans un soupçon de nervosité la venue du fils prodigue. Des connaissances y rôdent et semblent lécher du regard la moulette de la bombasse des Dum Dum Girls. D’ailleurs, une phrase suffit à résumer leur live, «les Vivian Girls c’est quand même vachement mieux». Je découvre, frustré mais loin d’être abattu le coin partenaire inaccessible. Boissons à l’oeil tous les soirs, c’est un défi à la hauteur de ma petite taille de hareng momifié à l’ail. Oui, j’ai une tête de hareng en ce moment, c’est moche. Et j’ai la barbe qui pousse. Ca me donne un côté viril, très western dans l’idée, santiags au pieds. Bref.
Owen Pallet passe à la trappe pour la conférence de presse des Liars. Que des jeunes cons qui ne veulent pas poser de questions, déprimant. Mon arrivée est appréciée par le cher Bester attendant du renfort pour tirer à vue. Match retour (1), le combat est lancé. «Depuis quand as-tu ton pantalon, tu m’avais dis répondu  » depuis 3 semaines » lors de notre interview à l’hôtel Arvor, toujours aussi sale ?». Réponse d’Angus, le chanteur: «Ce mec est un imposteur, on ne l’a jamais rencontré pour une interview». La réponse est limpide, devenons méchant, istoire de les chauffer:

– Moi: «Dans Liars, avez-vous un message écologique à transmettre, au regard des catastrophes naturelles qui nous entourent actuellement ?»
– Le groupe: «Non
– Moi: « Politique alors, vu la profondeur de votre démarche ?».
Le brun reste de marbre mais après lui avoir demandé si ils voulaient nous offrir des fausses notes ce soir, Aaron explose certes, mais avec classe : «Tu sais quoi, si tu veux, on va aller derrière et je vais t’enculer à sec, tu vas aimer ça. Gratuitement en plus.»

Fin de la conf’. Je sers la main aux deux autres. Leur set suit. Un brouhaha sonore, incompréhensible souvent, chiant parfois, baigné de grâce rarement. Vu leur démarche de hipsters branchouilles, pas un tube. Trop élitiste, l’individualisme exacerbé du trio fait mal au cul. Certains crient au génie, moi à l’escroquerie. C’est Caribou qui à l’honneur de clôturer cette premier nuit. Un amour de thésard, calme, à la fraiche et purement disponible. Un live élégant, baigné dans des nappes électriques post pop sachant rester ouvert malgré l’aspect pète-sec et scientifiquement carré du set. De la beauté dolce. Comme une évidence, les Black Angels ont assuré avant lui. Que j’aime ce psychédélisme distingué, du Anton Newcombe en plus barbu, féroce et animal. L’énergie dégagée est splendide à déguster, les riffs nerveux s’enfilent comme la plus fréquentable des catins du bois, la voix s’y marrie sans un zeste de fausseté. Les anges noirs ont débarqué, joué, puis se sont envolés dans une ambiance pré-apocalyptique, les premières gouttes se font sentir, la chiasse arrive. Il est temps de vomir. Puis dormir.

JOUR 2. «Plein le cul !»

Je m’éveille l’air apeuré. L’oreille interne à vif, je décèle la pluie commençant à s’abattre sur ma tente de fortune. Puis le silence. Un long silence porteur d’espoir avant finalement la déferlante sur ma toile désormais affaissée. Et non, ça ne s’arrêtera pas. La galère ne fait que débuter. Assiégé, il faut désormais sortir. Pas de douche aujourd’hui, pour garder l’aspect vivifiant d’un dépravé en cavale. Direction la bagnole, pas encore empêtrée dans la boue qui gagne du terrain. Après une vérification cordiale de taux d’alcoolémie et une crêpe beurre sucre rafraîchissante, direction le palais du grand large où Christophe Brault propose une conférence sur l’histoire de la musique à travers les programmations des précédentes route du rock. «Je n’ai jamais vu autant de monde». Tu m’étonnes mon pote, tu as vu la pissotière grandeur nature que nous propose ton ciel désormais invisible? Tout le monde à l’abri pour boire des paroles passionnées fortes avenantes. Quelques oublis forcément, je suis chiant et j’aime, My Bloody Valentine et Dan Deacon passés sous silence. Grand diable, impardonnable. Les journaleux sont crevés. Ils nous faut à tous une sieste bien méritée. Elle aura lieu dans la salle principale du palais. On s’étale, on ronfle; on se câline, on se bécote ; on annule DM Smith, on aime Hope Sandoval en Chan Marshall discount. Une après-midi reposante dans une torpeur chiante mais cool. Il nous faut rejoindre le campement. Quoi ? Je découvre stupéfait – en lisant la presse – que notre Bester L. national s’est barré, apeuré par une pluie agressive, du PQ sans double épaisseur, et déprimé par ses mocassins à glands devenus chaussures de socialistes. Je serai seul à me battre ce soir. Au passage, j’ai failli l’imiter. Mais pour des raisons disons, plus légitimes. Top trois d’un «plein le cul !» sorti du fond des entrailles.

1..  Une heure et demi de bouchon pour rentrer dans le parking du festival avec des copilotes tentateurs, de la binouze plein le gosier.

2.  De la buée. Partout. Ma vision est troublée. Je me prends joyeusement un poteau après cette attente interminable. Avec les moqueries de la Sécurité. Ah oui, bien enfoncée sous le phare droit.

3.  Un quart d’heure infini de marche sous la pluie, les chaussures happées par le sol, de la boue en sable mouvant, je m’enfonce. A l’aide. Mes petits petons ont disparu sous la masse diffuse de chiasse collante devenue maitre à bord, reine des enfers.

Dum Dum Girls

J’en ai chié. Mais je n’ai pas craqué. The Hundred in the Hands est un hors d’oeuvre pas si fade. Un peu léger. Mais planant. Des mélodies dociles et accessibles. J’aime ce timbre. Ça m’excite. Je suis excité. Des connards se jettent, ventres à terre dans des crevasses de boues sans fond. Des gros babos en pantalons d’Aladin sans nul doute. La chanteuse me fait de l’oeil. Je le sais. Je le vois. Je suis un homme facile, c’est alors que je décide de louer cette indie rock de quartier porteurs de bottines. Je me dirige vers la tente des conférences de presse. Ah, The National… le Barry White blanc, la classe du dandy, la carcasse du routier. «Ta voix est naturelle ou tu te fais des injections de testostérone pour draguer les filles ?» Des rires. Réponse bateau certes, mais avec humour. Je voulais vanner leurs bottes, le conférencier me coupe l’herbe sous le pieds. «Non mais tu es qui toi ? Marrantes tes questions.» Oui je sais, c’est l’une de mes principales qualités, ma capacité à faire marrer les gens. Sans déconner, je suis un bon petit fanfaron. Que dire sur The National ? Je n’ai rarement vu un groupe dégagé autant de classe et d’élégance sur scène. C’est beau, un poil trop propre mais tout y est. Le phrasé distant, monocorde, puissant, des mélodies statiques, indémodables mais toujours baignés dans un univers originel de toute beauté.

«Et en plus ils ont foiré TearDrop

Tiens, allons prendre un verre chez les VIP. Je croise Julien du label Clapping Music qui me salue discrètement. Nos antécédents quelque peu houleux (2) n’entache en rien notre relation cordiale et professionnelle. Et je tenais à souligner ce trait de caractère fort louable. Des moustachus, forcément d’Entrisme, un connard qui attaque mon Gonzaï. Je rétorque, bastons rhétoriques que je gagne avec brio. Le collectif MU représenté, et tout le bric à brac des parigos qui n’aime pas franchement se mélanger à la population boueuse. Ça se comprend, une porcherie de plein air, ça donne un peu la gerbe. Mais tout le monde y met du sien pour tenter l’approche Massive Attack. Honnêtement, ma théorie du chiant-cool ne s’adapte pas vraiment à ce pêle-mêle sonore ennuyant à mourir. La voix de Marina Topley Bird n’arrange rien et vient morfondre un peu plus la lenteur, presque léthargique, d’un show raté. Et moi qui aime – ou ai aimé d’ailleurs je n’ai pas encore décidé – le downtempo et l’origine du trip hop couillu, je suis terriblement déçu. De plus, même le Teardrop revisité explose des tympans déjà sanguinolents. Raté, vraiment. Bon, la fatigue m’a eu. Le champagne aussi. Avec mon allure de raveur dégueu, j’ose à peine mater ma dégaine, par peur de ne pas reconnaitre le charmant petit bonhomme du début de journée. Alors je m’effondre, la pluie dissipée et l’espoir que demain, ce sera pire.

JOUR 3. Rapture vocales et gatecrashing

Des moules ! Je veux manger des bonnes grosses moules ! Et bien je n’ai pas été déçu. Quel bonheur cette sauce curry qui accompagne ces petites clapiottes délicieuses. Du cidre ! Doux pour préserver mon estomac ulcéré. Du réconfort en barres. Et il ne pleut pas. Je suis à deux doigts de chialer, le ciel se découvre. La fin d’un calvaire ? Faut pas déconner non plus. Direction ce bon vieux palais du grand large. Le bar. Bières. Ballons de blancs. Julien de Clapping Music doit passer des disques avant ses protégés de Karaocake. Je n’ai jamais vu autant de monde allongé, les yeux fermés, face à un Dj. J’adore. C’est assumé, c’est beau. De la musique d’ascenseur, des titres de vingt minutes, un lounge tout pourri pour une garderie d’adultes dépressifs, Julien en tête de file pour endormir les nerveux, assagir les  impétueux. J’ai demandé Karaocake en interview. Très proche des frères Virot (3), ils ne souhaitaient pas se frotter à la teigne du 7-5. Je discute avec un des membres. Timide, il m’attaque sur l’interview (2) avec une douceur élégante: «Enfin tu vois, tu connaissais rien d’eux, tu savais même pas qu’ils étaient frères, tu les attaques comme ça, enfin c’est super limite.» Je me suis expliqué. Il l’a plus ou moins accepté. Pour les interviewer, j’avoue avec honnêteté que j’aime bien leur premier album et que je souhaite seulement discuter avec eux quelques minutes. Voyant cette réticence malsaine et nauséeuse, j’ai préféré me barrer (4). Ah oui, Karaocake avant. Pas de bol, les deux premiers titres joués sont mes deux préférés. Ça rend la suite bien terne. « On a écrit sur nous que nous étions des huitres sur scène, avec la mer derrière, ça doit faire un beau décor ». Je le jure, ce n’est pas moi ! Bref, je suis mature, j’ai les poils qui poussent donc je n’oserai m’aventurer dans une critique assassine qui ne servirait qu’à envenimer les choses. Je dirai donc seulement que Karaocake est un groupe studio comme le peut être Au Revoir Simone, similitude d’ailleurs presque troublante avec le groupe de Williamsburg, à la limite du plagiat par moment. Il est temps de rentrer. Et par miracle, sans buée ni bouchons.

Black Angels

«Des bisous et 27 sourires amusés, 5 sursauts, 3 refus, 1 baffe: voilà ma rédemption»

Les Foals débarquent sur scène. Je n’ai jamais aimé ce groupe mais l’on m’a dit du bien du dernier album. Je n’y crois que très peu. Et mes doutes pervers semblent se confirmer. Putain mais quelle voix de chiotte ! Le son popeux que j’aime, un peu noisy à la fraiche se voit bafoué par l’aigreur de cordes vocales bien trop étanches à la discrétion satinée des plus grands mélomanes. Elle se déchire, enraye et me rend fébrile, comme un bourré venant te gueuler des insanités en plein tympan, la gueule pourrie par l’odeur tenace du calimoucho. Il faut réagir, trouver réconfort. Je retourne en coin presse. J’y retrouve une jolie jeune fille, attachée de presse du festival. Charmante et compréhensive, j’en fais une amie d’enfance. Je l’aime bien. Et par un léchouillage honnête de Converse boueuse, elle me fait pénétrer dans le saint sépulcre des alcoolico-depressivo-narcissiques : le coin VIP partenaire. Gatecrashage de toute beauté, alcool à volonté toute la soirée. Un plaisir certes éphémère mais délicieusement réconfortant. Enquillage puis cassage dans la foule éparse du soir. Mon éthylisme est joyeux, débordant d’amour et de passion. Je décide d’embrasser la population festivalière. Cracheurs de feu, dandys, londoniens, parisiens, barbus, imberbes, strings ficelles, culottes de cheval, tongs, rangers, beaux, moches, cravates, foulards. Bilan de la course : 27 sourires amusés, 5 sursauts, 3 refus, 1 baffe. Voilà ma rédemption. L’amour du peuple pour leur serviteur. Pendant ce temps, Two doors cinema club joue Hartley coeur à vif pour adulescents. Une musique pédophile indigeste jouée sans un soupçon d’ironie ou de naïveté habile. Du punk californien à la sauce 2010. Vivement Blink à Rock en seine. Complètement déglingos, ultra ouf dans sa tête, le chanteur des Flaming Lips arrive sur les épaules d’un gorille géant. Ce groupe de quadras me rend hystérique. Je ne peux m’empêcher de me désaper. Ma cravate. Mon veston. Ma chemise. Je suis nu comme un verre, ventre à l’air. Je ne sais plus si c’est l’expert journaliste pointue à l’oeil avisé qui parle ou le bourré sans cerveau à moitié à poil qui tombe amoureux mais tout de même, quel régal. Autant vous dire qu’après cette danse endiablée, c’est direction dodo, les voix fluos des Rapture me tapent trop sur le système pour persévérer. Une dernière nuit sous un ciel étoilé, et c’est Mustang qui résonne. Bye bye les guitares, bye bye l’harmonie, pour tout ça c’est trop tard, c’est fini, c’est fini.

Ma performance fut courte mais intense. Point trop n’en faut. Je quitte cette route du rock 2010 la tête haute, le sourire en coin venant effacer mon air attristé. Musicalement moins efficace que la précédente édition, il n’en démord que la Route du Rock reste l’unique événement qui chaque année, arrive à me faire déplacer. Jamais vendu, indépendant, original et percutant, encore une fois, je suis fier de mon festival. Car finalement, il est un peu comme moi : crasseux , de bon goût et plein de mauvaise foi.

Photos: Cyprien Lapalus
http://www.laroutedurock.com/


(1)  http://gonzai.com/liars-rencontre-en-poker-menteur
(2)  http://gonzai.com/clara-clara-linterview-bah
(3)  Les chanteurs du groupe Clara Clara.
(4) La chanteuse de Karaocake m’a rappelé dans la journée pour accepter l’interview. Je n’avais plus de batterie.

6 commentaires

  1. J’aime bien les mots, encore plus les photos. Mr Ig t’es couillu de coller ta trogne, et ça paye ! On dirait Mark Linkous en (plus) vivant.
    Bravo pour tout ça mon gars.

  2. heu.. non c’est le chanteur des Liars la tof
    Mr Ig il ressemble pas du tout à ça il ressemble à heu… (attends je trouve une bonne formule pour le décrire et je reviens)

  3. Je tiens à préciser que Bester est parti le samedi dans l’après-midi après avoir bouclé son papier dans ses 2m2 de tente Quechua inondée, effectivement à bout de force et déprimé par deux mois de festival.

    Ceci était un message du collectif des amis de Bester.
    Bester.

  4. Quelle idée d’aller dans un festival, franchement !?

    Autant faire jouer des groupes dans un magasin Décathlon !

    Cette fascination pour les bains de boue sur fond de yaourt sonore ne laisse pas de me surprendre : la thalasso est trop chère, c’est ça ?

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