New York City, East Village, 12th Street, l’immeuble où ont vécu Ginsberg et Orlowski. Le plus élégant des poètes new yorkais, l’inventeur de l´esthétique punk, l´écrivain passionnant, bête de rock’n’roll hypnotique, nihiliste et enthousiaste, l »homme qui s’est inventé en Richard Hell, réside ici. Devant un verre d’eau, Richard Hell (58 ans), cheveux longs, regard pétillant, en bonne santé, souriant et en forme. We rollin’ !
Enquête de notre journaliste tchèque sur place, pour faire la lumière sur le fantôme de Television (avec Tom Verlaine), Johnny Thunders & the Heartbreakers et autre contes poétiques urbains.
On dirait que même quand vous avez fait de la musique, vous vous êtes toujours considéré comme un écrivain…
Bon, après avoir arrêté la musique, je considérais en effet, qu’écrire me satisferait plus. Mais quand je faisais de la musique, je ne me suis pas vu comme cela. Non. J’étais très content de faire ça et en même temps d’écrire à côté. Et faire des interviews. Voila un truc où on peut développer son imagination ! (Rires) Lorsque j’ai commencé avec la musique, j’avais tendance à cacher mon côté écrivain, parce que ça faisait vraiment prétentieux.
Quand est-ce que vous avez commencé à écrire ?
A l’école, quand j’avais 10 ou 11 ans, mon prof m’avait proposé d’écrire des nouvelles à la place des devoirs. C’était bien, mais j’écrivais déjà avant. J’ai toujours aimé lire. Je fonctionne comme ça : quand je vois quelqu’un faire quelque chose qui me fascine, je le fais aussi. J’ai toujours eu une grande imagination. C’est comme ces gens qui regardent le sport a la télé et s’imaginent grands sportifs. (Rires) Tu sais, j’aime courir. J’ai commencé il y a 15 ans, dans ma quarantaine. Et je me disais : « Wow, voila des entraineurs, s’ils me voient, peut être qu’ils vont m’envoyer aux Jeux Olympiques ! »
Et ce fut la même chose avec le rock’n’roll. J’en avais marre d’aller nulle part avec la poésie. Lire pour quelques mecs… J’avais entendu quelque chose a la radio et je me suis dit que je pouvais faire ça aussi. A ma façon. Pareil avec la poésie. Quand j´ai commencé à m’y intéresser, je trouvais un livre de Williams Carlos Williams. Je me suis dit « Alors ça, je peux le faire aussi, facilement… » (Sourire)
Avec Tom Verlaine vous avec co-écrit le recueil de poèmes “Wanna Go Out ?” sous le pseudo de Theresa Stern. Pourquoi écrire sous une optique de femme ? C’est comme ces poésies lyriques coréennes où il y avait déjà une influence de Duchamp-Warhol et leur travestisme ?
Le fait que ce soit une femme n’est pas très important. On a fait cela qu’a la fin. Ce devait être un drôle de bouleversement. On a commencé ensemble, et je trouvais que c’était complètement différent de ce qu’on faisait, chacun de son coté. Je trouvais intéressant de créer une identité nouvelle et forte. On a décidé que ça allait être une femme, on a trouvé un nom, j’ai écrit sa bio et on a fait cette photo en juxtaposant nos visages. Bon, c’est vrai qu’en 1971, le féminisme radical, glam, les films de Warhol avec les travelos et tout ça, ont été dans l’air du temps. Le livre est sorti, on en a vendu quelques exemplaires et ce fut tout. Après avoir été un peu connu, on a fait une interview de Theresa avec Mary Harron pour Punk Magazine et c’est comme ça que ça s’est répandu au public.
Aimeriez-vous rencontrer Theresa Stern ?
C’est intéressant. Il y a longtemps, j’ai travaillé sur un court métrage, sur un homme qui a lu ce livre, il tombe amoureux de ces vers et veut rencontrer Theresa. Cela se termine assez tragiquement. Ce que je sais, c’est que le livre a été chroniqué seulement une fois. La critique fut éblouie par l’intensité des poèmes, mais elle a conclue qu’elle ne voulait à aucun prix rencontrer Theresa. (Rires)
Il parait que vous n’êtes pas satisfait de vos deux albums avec les Voivoids…
C’est vrai. Durant le premier album j’étais très inexpérimenté et immature. Blank Generation est très bien et il y a des moments intéressants. Maintenant, quand je l’écoute avec l’esprit clair, je peux voir que ça aurait été facile de tout améliorer. Si seulement j’avais eu un peu plus de connaissances. Lors de l’enregistrement du deuxième LP (le magnifique Destiny Street en 1982– NdA), j’étais dans un état lamentable. Complètement déchiqueté. J’aime ces chansons mais mon cœur n’y est pas. A l’époque je n’étais pas assez intéressé.
A la fin, vous avez sorti cette cassette R.I.P, sortie chez Roir et enregistrée à New Orleans en 1984. Cet objet d’art contient un de vos morceaux les plus géniaux. Je pense à The Hunter Was Drowned ou I’ve Been Sleepin’ on It. C’était quoi cette mystérieuse session ?
J’ai décidé d’en finir avec la musique et cette compilation a été une sorte d’adieu. Il y avait des démos, outtakes, des versions live etc… Mais il manquait quelque chose. Mon plan était de partir à New Orleans, m’enfermer dans un sous-sol pendant 6 semaines et enregistrer avec des musicos locaux, qui trainaient dans les alentours.
A ce qu’il parait, l’industrie du disque a presque disparu. Votre opinion?
On est sûrement dans une étape de transition. Ce qui est sûr, c’est que je suis vraiment content de ne pas débuter dans la musique en ce moment. Pour moi, enregistrer en studio est génial. Jouer live est OK aussi, mais les tournées, non. Je n’aime pas ça. C’est ennuyeux, et pour moi carrément douloureux. Lorsque j’entends que la musique enregistrée est gratuite et que le seul moyen de se faire du blé c’est de tourner comme un malade, je me dis que ça serait un véritable enfer pour moi. De l’autre coté, je trouve ça plutôt bien pour les maisons de disques. Ces putains de corporations ont volé, escroqué, et bousillé tout le monde. Fabriquer un CD coute 1 dollar 50 cents et ils le vendent 18 dollars. Combien revient à l’artiste ? Le minimum.
“Je n’ai pas de mal à voir quelqu’un donner des coups dans les couilles de l’industrie du disque.”
Mais pour les gens qui créent tous ces enregistrements ? Ce serait quand même bien s’ils pouvaient vivre de leur art. Mais bon, on verra comment ça va se passer…
Faire de la musique, c’est pour vous un chapitre définitivement clos ?
Je n’écris plus de chansons. En dehors d’occasions exceptionnelles. Parfois, ça me tente de nouveau et je me dis que je pourrais refaire quelque chose. La dernière chanson que j’ai fait c’était Oh (Sur les compiles Spurt – The Richard Hell Story et sur Beyond CyberPunk, assemblé par Wayne Kramer – NdA.) qui date de 2000. Je crois que c’est aussi bon que ce que j’ai fait auparavant. Je serais content si tout l’album ressemblait à ça. Mais il faut être pratique. Dénicher des musiciens, les payer, trouver du temps, payer pour le local de répètes, payer le studio et réfléchir, si ça ne va pas, vous vous ruinez financièrement pour la vie. C’est un gros engagement et ce n’est pas facile. Et je n’ai pas d’argent. Oh a été crée à l’époque du grand boom des start-up d´internet. Avant que la bulle crève. Cette entreprise, juste avant de couler, m’a proposé 10 000 dollars pour cette unique chanson. C’était aussi facile que ça. Faire un album, c’est différent. C’est 15 morceaux, donc 150 000 dollars. A ce prix, je suis partant (Rire).
Illustration: Sadi Güran