Avoir cinquante ans passés et faire rêver les gamines sans que ce soit glauque ou bizarre, c’est le petit miracle réalisé par Keanu, nouveau boyfriend de l’internet. Comme elle a pu le faire avec Chuck Norris par le passé, la culture web est allée remuer les archives des 90’s pour se trouver une nouvelle coqueluche. Et cette fois elle a des rêves bien précis en tête : se trouver quelqu’un pour rompre avec la toxicité de plus en plus affichée par Hollywood.

Vous avez peut-être l’impression de le voir plus souvent que votre propre mère et le fait de le croiser sur votre plateforme contre-culturelle préférée vous fait peut-être grincer des dents. L’acteur est effectivement partout et au cœur d’une turbo promo mondiale sur deux mastodontes du divertissement, John Wick pour l’action et Toy Story pour le jeune public. Cerise sur la gâteau, il prête ses traits au personnage principal du jeu Cyberpunk 2077, plus grande révélation du dernier E3 de Los Angeles. Néanmoins, les gros titres de Google Actualité semblent suggérer que là où l’intérêt de la toile se porte, c’est bien sur la personnalité même de la star canadienne : fascination affectueuse et digitale.


Le regain d’intérêt pour celui qui a fait ses armes dans les années 90 (cf. Bill and Ted’s Excellent Adventure, My Ow Private Idaho et Point Break) coïncide tout d’abord avec un retour dans les tendances de l’esthétique de la décennie grunge (en train d’être progressivement chassé par celui des années 2000, préparez vos strass, ça va groover au son délicat de l’Eurodance). Le dévolu est donc jeté tout naturellement sur celui qui fournit profusion d’images au grain argentique, coupes de cheveux rideau et chemises hawaïennes. L’argument du culte générationnel et généralisé pourrait donc se tenir, mais ce serait sans doute ignorer le fait  que le web aurait très bien pu se saisir d’un Brad ou d’un Leonardo DiCaprio. Le phénomène Keanu dépasse donc la question proprement esthétique.

Culte numérique

L’affection d’internet pour la star ne date pas d’hier et a déjà suscité nombre d’étranges objets de culte numérique. On ne cite plus l’explosion virale d’une photo prise de l’acteur mangeant seul sur un banc, baptisée « Sad Keanu », et déclinée à toutes les sauces, salade, tomates et oignons avec sa date anniversaire, le «Cheer Up Keanu Day » célébré le 15 juin à renfort de hashtags sur le réseau de l’oiseau bleu.


Mention spéciale également pour le compte twitter Keanu Doing Things, comble de la fascination absurde qui compile des photos de l’acteur menant sa petite vie de tous les jours depuis plus d’un an. Il serait hypocrite de tirer d’un tel objet une sorte de critique de la décrépitude de notre société et de ses obsessions bizarroïdes, mal placées et phagocytées par le règne de l’image et du storytelling propres au numérique. Il faut bien se l’avouer, ces tranches de vie quotidienne ont véritablement quelque chose d’hypnotique.

Au-delà de son image, les internautes se fascinent également pour la vie personnelle de l’acteur, avec une empathie universellement partagée par la toile pour les drames qui ont émaillé sa vie personnelle mais aussi (et heureusement surtout) via un déballage petites anecdotes qui bâtissent la légende du Mr. Nice Guy d’Hollywood. Humilité façon show business (il aurait accepté des coupes monumentales sur son salaire pour permettre le casting de grosses stars à ses côtés), mythologies difficilement vérifiables (il serait prompt à arroser les techniciens et petites mains travaillant sur ses tournages) et politesses élémentaires (la fois où il a laissé sa place dans le métro à une femme enceinte est gravée sur pellicule). La gentillesse de Keanu est multi-facettes.

Qu’est-ce que ce phénomène plutôt gentil nous dit d’un espace plutôt méchant, à savoir internet ? D’abord, ce phénomène prend racine dans ce terrain associé dans l’imaginaire collectif à la profusion de propos plutôt haîneux, Keanu Reeves apparaît comme l’égérie de l’émergente sphère « wholesome » (« sain » ou « respectueux » en anglais) sur internet. Celle-ci promeut des interaction saines et encourageantes entre internautes, condamnant l’apologie de racisme, sexisme et homophobie ou la mention de contenus potentiellement traumatisants. L’ambition en est de promouvoir des espaces numériques dit « safe ».

Héros post #MeToo

Mais surtout, (point anecdotique qui bien sûr ne l’est pas tan) : Keanu Reeves, a également fait parler de lui pour ses « hover hands » (ou « mains flottantes »). Le terme désigne sa pose signature, debout les bras le long du corps sans jamais en passer un autour des hanches de ses collègues féminines. En plein #MeToo et avec la prise de conscience façon claque dans la gueule naïve du mépris généralisé affiché pour les femmes dans le domaine du divertissement, ce détail n’est évidement pas passé inaperçu. En s’abstenant de toucher les femmes qui posent à côté de lui, l’acteur rompt avec le schéma classique devenu norme sur tous les tapis rouge, énième preuve de l’incursion dans les mœurs d’une inconsidération décomplexée du gland pour le respect du corps des femmes.

Alignement des planètes, heureux hasard promotionnel, s’il est une chose qu’il faut retenir du culte Keanu Reeves , c’est peut-être que les nouveaux héros qu’internet se choisit sont à l’image d’une transition dans le discours du web.  Celui-ci renoue avec les codes de l’absurde de sa genèse aux possibilités limitées, mais surtout voit son terrain reconquit par les militants utopistes du safe space. Ou peut-être est-ce simplement l’heure de se remater Matrix (le quatrième opus est annoncé, mais il se fera sans Keanu ce qui est bien dommage parce qu’il y avait visiblement un beau retour de flamme à saisir sur le plan communicationnel mais peut-être mieux pour la cohérence scénaristique).

En parlant de culture cyber(punk), le n°30 de Gonzaï qui lui rend hommage sous tout ses aspects et toujours disponible en cliquant ici.

 

4 commentaires

  1. Petite correction, il ne traité pas ses traits au personnage principal de Cyberpunk2077, mais à l’un des personnages secondaires du jeu (qui accompagnera le joueur tout au long de celui-ci).

  2. « énième preuve de l’incursion dans les mœurs d’une inconsidération décomplexée du gland pour le respect du corps des femmes. »

    Au secours vraiment, toutes les excuses sont bonnes pour faire du féminisme à 2 ronds. Tu crois qu’Amanda Leer elle se gêne pour mettre une petite main au cul de ce brave Keanu là ?

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