(C) Laura Lyson

Après un burnout et un crash en voiture, Dan Terminus a bien failli dérailler. Mais le producteur d’électro cyberpunk, proche de Perturbator et Carpenter Brut, revient après trois ans avec un 5ème LP rentre-dedans, avec à son bord une bonne grosse cargaison de breakbeats et de synthés distordus. Un album qui tombe très bien pour profiter en musique de la grande dystopie sanitaire actuelle.

« Tant que ça sonne, rien à foutre !«  Dan Terminus, fan de William Gibson, auteur de la bible cyberpunk Neuromancer, n’a pas oublié l’essence punk du genre. Rien de plus cohérent : le producteur français a récemment décidé de se barrer de la mégacorporation qui l’employait jusqu’alors (hors musique). Et ce en tuant dans l’œuf, au passage, un précédent projet d’album « complètement merdique« . L’occasion pour, d’un côté, se recentrer entre autres sur des mélodies simples et de la distorsion à balle qui fait rôtir les tympans ; et, de l’autre, tenter une flopée de sonorités. Dan – qui compose avec un vieux clavier pété, dans une piaule paumée dans la cambrousse iséroise – sort ainsi un nouveau disque chez Blood Music, le 25 septembre prochain : Last call for all passengers.

L’album est plus court et intense que tes précédents projets. L’idée, c’était d’aller droit au but ?

Oui, pas de chichi : l’album tient sur un seul LP. J’ai fait quantités de morceaux compliqués, je les adore mais j’avais envie d’essayer des trucs plus simples et nouveaux – quelque chose qui n’était pas du Terminus 4/4 binaire. Pour les influences, il y a The Prodigy, des vieux machins comme Bomb the Bass… J’ai utilisé beaucoup de breakbeats, du big beat façon Chemical Brothers, et puis de la drum and bass, du neurofunk, Nation 12 aussi, surtout connu pour le morceau Into the wonderful. Des choses plus récentes également, avec éventuellement du Noisia et du Skrillex. J’irais même jusqu’à dire que j’ai écouté du Aphex Twin, mais vraiment 10 minutes, après j’arrête c’est trop pour moi.

« Perturbator m’a dit que je m’étais « un petit peu engagé sur la route du rock’n’roll ».

Pourquoi avoir voulu faire évoluer ton son dans ce sens ?

Parce que j’ai notamment vécu un bon gros burnout. Je travaillais pour une très grosse entreprise française, et j’ai explosé en vol. J’ai même fini par m’endormir au volant, en crashant ma bagnole contre un mur. Qu’est-ce qu’il se serait passé à un passage piéton, en heure de pointe ? Heureusement, j’ai juste éclaté un pare-choc, ça se change. Et ça explique l’histoire de Last call…, qui est né de la destruction d’un album qui ne sortira jamais, créé dans la période de déni du burnout. Un album très primitif, rapide, mais aussi exagérément médiocre et sans intérêt. C’était de la merde, en d’autres termes. Je l’avais laissé un peu de côté, avec une petite tournée américaine qui s’est très bien passée, puis une tournée en Europe avec Perturbator. C’est là, en mars 2019, que je lui ai fait découvrir l’album en question, avec un morceau assez violent que je n’avais plus écouté depuis cinq mois. C’était dans un backstage en Allemagne qui sentait le chichon, le vieux tabac et la banane pourrie ; je m’y suis d’ailleurs fait voler mes pieds de synthés. J’ai compris en le voyant qu’il n’était pas très emballé, mais vu que Perturbator est gentil, il m’a dit que je m’étais « un petit peu engagé sur la route du rock’n’roll« . C’est là que je me suis rendu compte que c’était complètement merdique, et pour repartir du bon pied, je n’ai rien gardé.

(C) Laura Lyson

Cet album, tu l’as définitivement supprimé de ton disque dur ?

Complètement, il n’existe plus sauf dans ma tête. Pourquoi s’encombrer ? C’est comme un tatouage à la con que tu trouves merdique 20 ans après. Quand on crée de la musique, on s’inscrit dans une logique, il faut pouvoir le cautionner par la suite. Même si on sort un truc avec des samples de bruits de pet, par exemple. Et cet album me rappelait une période peu glorieuse : à l’époque, je me réveillais tous les jours hyper tendu par le stress à six heures du matin, et j’ai beau être asthmatique, je fumais deux paquets par jour. J’ai changé d’état d’esprit depuis, donc toutes ces saloperies n’ont plus aucune importance. Il vaut mieux lâcher prise et avancer, plutôt que de rester dans son coin à ronger son frein et fumer clope sur clope. D’où l’envie de recréer un album péchu… Maintenant j’ai l’impression d’avoir retrouvé l’authenticité et le je-m’en-foutisme que j’avais à l’époque de Restless Destroyer. J’avais fait ce morceau en une après-midi, en balançant tout dans le mixer en mode punk : tant que ça sonne, rien à foutre !

A quel rythme as-tu composé Last Call… ? Vite ?

J’ai travaillé en une semaine à peu près. J’entendais des mélodies extrêmement simples dans ma tête, et ça s’est fait comme ça. J’étais joyeusement énervé : de bonne humeur, mais toujours enragé. Sans être pointilleux, j’en ai toujours eu plein le cul de tout un tas de choses, et je refuse de perdre ce côté. C’est ce qui permet de produire de la musique sincère. Après, j’ai dû repasser sur l’album pour ajouter deux-trois réglages à la con, pas des masses. Et je suis conscient que le mix a un côté montagnes russes. Ce n’est pas parfait mais je voulais un son très vivant, à l’ancienne, avec un petit souffle analogique aux caisses. Si je m’étais amusé à foutre des égalisations partout pour rendre propre, l’album aurait été bien sage et poli ; du genre premier de la classe, au premier rang. Je préfère avoir l’album du mec assis au fond de la classe, qui passe son temps à faire le con parce qu’il a déjà compris le cours. J’ai FL Studio sous les yeux : un morceau comme Ruins m’a pris 4h27. Pour le clip, Laura Lyson, une photographe très forte en lights, m’a aidé toute la journée au studio, sinon j’ai tout fait moi-même : filmé, monté… C’est très punk, fabriqué avec les moyens du bord et un budget hyper serré. C’était crevant mais hyper amusant.

Côté matos, comment as-tu bossé ?

Je ne me suis pas emmerdé : un PC, FL Studio et exclusivement des VSTs gratos. J’ai aussi enregistré des batteries acoustiques avec un micro pourri acheté 12 euros à Carrefour, qui fait très bien le job. Et j’avais toujours mon vieux clavier MIDI avec des micro-touches, un Akai LPK 25. Il est déglingué, mais j’ai fait tous mes albums avec. Et enfin deux petites enceintes Fostex complètement niquées. Pour les albums, je suis un producteur « in the box », j’aime tout avoir dans mon ordi. Certains ont des synthés partout dans leur studio, avec des modulaires dans tous les sens… Et malgré tout ce bazar, qui doit pomper les deux tiers de l’énergie de leur ville, artistiquement c’est le niveau zéro de l’inspiration. Même pas une demi-molle. Quand tu as un côté punk, ou cyberpunk, tu vas droit à l’essentiel. C’est pareil si tu t’achètes une guitare à 150 balles. Tu te focalises sur ce qui est véritablement important, ça donne tellement de puissance. Personnellement, je préfère partir d’un truc brut de décoffrage, pour ensuite aller vers quelque chose plus sophistiqué.
Mais je respecte les mecs qui arrivent tout seuls sur scène avec 14 contrôleurs, et qui donnent l’impression d’être 24. C’est une autre façon de faire. Après, pour le live, j’ai toujours mon Minilogue et ma vieille pédale de disto Kurt Cobain, une Turbo Distorsion. Elle est toute niquée. Je me suis aussi acheté du matos : un Korg Prologue 8, son pad fait un peu penser à Blade Runner. J’ai eu un coup de foudre avec ce synthé.

« C’est une pochette à tiroirs : Luca a caché plein de détails. Il y a une Cadillac, une Buick Riviera, un acte de sodomie, des préservatifs volants… »

Pourquoi les chevaux sur la pochette ? Comme pour tes précédents albums, les visuels ont été créés par l’artiste Luca Carey, c’est ça ?

Oui, et cette fois-ci on a passé un deal. J’adore Luca mais il utilise d’habitude énormément de coloris différents, du coup je lui ai demandé une pochette avec uniquement mon code couleur, noir et vert ; et gris, après négociation. Il a failli faire une attaque mais il a accepté le challenge. Et pour la première fois, je lui ai donné un cadre précis. Mais pour rééquilibrer ses chakra, j’ai lui ai donné carte blanche pour la back cover. Quand tu lui donnes une idée, il fonctionne comme une montre à quartz : il se remonte tout seul et part en roue libre. Sinon pour les chevaux, je vais être mielleux mais j’aime trop les animaux en général. Je ne suis pas vegan, mais j’ai arrêté de manger de la viande de cheval, je n’y arrive plus… Dans ma vie, j’ai quasiment toujours travaillé avec des chevaux. Bref, j’ai proposé à Luca un monde peuplé seulement d’animaux, avec des traces rappelant la disparition des humains. Aussi, c’est une cover à tiroirs : Luca a caché plein de détails. Il y a une Cadillac, une Buick Riviera, un acte de sodomie, des préservatifs volants… Que chacun y trouve ce qu’il a envie d’y trouver.

Il y a deux ans, tu décrivais notre époque comme un monde cyberpunk à part entière – en mettant juste de côté le flashy de la science-fiction. Le colossal bordel lié au Covid-19 t’a conforté dans cette vision, j’imagine ?

Complètement. Disons que mon avis n’engage que moi (et si les gens ne sont pas d’accord, qu’ils aillent se faire enculer), mais la pandémie a amené une bonne et une mauvaise chose. La bonne, c’est qu’on l’a tous vécue, et on s’est recentré sur nos priorités. Après je ne vais pas trop ouvrir ma gueule, j’étais confiné à la campagne. Le mauvais côté, c’est que certes, on se rend compte qu’on est dans un monde cyberpunk – franchement pas si loin des écrits de William Gibson –, mais que la vie humaine n’a plus aucune valeur. Les soignants, qui sont restés fidèles au poste, ont répété qu’ils risquaient de craquer, et finalement ça repart encore pire qu’avant. En gros : « Les gars, on sauve l’économie et si le monde se casse la gueule, on trouvera des solutions après ! » C’est dégueulasse, et je ne souhaite pas la mort de mon prochain, mais si le coronavirus avait un taux de létalité ultra-élevé comme la peste noire, que les deux tiers de la population mondiale crevaient en six mois, avec des piles de cadavres sur le pas de notre porte… Là, on sauverait l’humain. Après je ne suis pessimiste que sur le court terme. On a encore le cul entre deux chaises, on verra bien où ça nous mène.

Si tu devais comparer la crise actuelle à un univers de SF, qu’est-ce qui correspondrait le mieux ?

Avant la pandémie, j’aurais dit Blade Runner. Sans vouloir faire le prophète de bistrot, avec Tesla entre autres, on ira manger des Big Mac sur Mars d’ici une centaine d’années. Après la pandémie, je dirais Star Trek. Je ne suis pas un trekkie, mais à l’origine de la première série bien kitchos, que j’aime, la Terre part en couilles avec des conflits et l’épuisement des ressources. Tout le monde crève, et les nations décident d’aller se balader dans les étoiles pour faire repartir la civilisation… Ceci dit, au final, on se retrouve dans un épisode des X-Files.

Juste pour être bien sûr : du coup, Last Call… n’a rien à voir avec un album final, du genre « dernier appel » ?

Loin de là, ce n’est pas du tout un chant du cygne. Le titre m’est venu en regardant Frankenstein Junior de Mel Brooks, l’un de mes films cultes. Dans une scène, Frederick « Frankenstine » prend le train vers la Transylvanie et je crois avoir entendu : « Last call for all passengers« . Je suis en train de travailler sur le successeur : ça prendra le temps qu’il faut, mais je m’amuse pendant des après-midi entières à faire du sound design. Notamment avec un synthétiseur extraordinaire que j’ai redécouvert : FM8. Ça permet de faire entre autres des basses bien fat, bien juteuses. Même si le son te grille les oreilles, c’est beau. Aucune idée si Terminus continuera ou non jusqu’à mon dernier souffle, mais je sais juste que j’aime créer de la musique, parce que c’est l’un des rares trucs dans lesquels je me sens vraiment à l’aise. Pendant la tournée avec Perturbator, je me suis dit après un concert : si demain la musique s’arrête, au moins j’aurais vécu ça. J’ouvrais au Trianon, à Paris, la salle était blindée en première partie. Et j’étais cramé mais dès que je suis entré sur scène, j’ai oublié la fatigue en entendant les hurlements. J’ai tendance à violenter mes synthés sur scène, et à chaque fois un couple remettait en place les pieds qui sans ça seraient tombés dans la fosse. Tout le public était adorable, les planètes étaient alignées… Je garde ce souvenir dans mon cœur et dans ma tête. Dans la vie d’un musicien, je pense que ça arrive rarement.

Last call for all passengers sort le 25 septembre : la précommande est dispo sur le site de Blood Music. En plus de Terminus (son Bandcamp est juste ici), Dan a aussi un side project, Mathusalemherod, avec lequel il sort « tout et n’importe quoi » : Scalarium – un morceau ambient bien flippant, Where they used to live et enfin Le Roy Se Meurt (un EP de musique baroque, qui peut faire penser selon certains à « un film français avec Romain Duris habillé en courtisan du temps de Louis XIV, et Léa Seydoux qui arrive au ralenti« ).

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