Le chanteur de U2 – qui possède tous ses trimestres pour la retraite, lui – vient de sortir ses mémoires : Surrender: 40 chansons, une histoire. Entre religion, souvenir de jeunesse et militantisme, on a tout lu et on a failli ne pas s’en remettre.

Sorti en grande pompe et bénéficiant d’une sortie simultanée à l’internationale, Surrender, le bébé de Bono pèse environ 2,4 kilos et contient près de 700 pages. Cet événement est accompagné d’une tournée-lecture – un « book tour » – dans les principales capitales du monde. Il est passé il y a peu à Paris au Grand Rex pour un événement intimiste où se mêlaient interviews, lecture théâtralisée et showcase intimiste. Cette tournée littéraire aux airs de cabaret a été mise en scène par Gavin Friday. Ce dernier, chanteur irlandais des Virgin Prunes et ami d’enfance de Bono, trouve une place dans ses souvenirs. Car l’amitié, l’Irlande, la famille – vous l’aurez compris – c’est ce que vous pourrez retrouver dans cette biographie officielle. Bono – Paul Hewson dans le civil – se risque pour la première fois de sa carrière à se présenter seul au public et promet de se mettre à nu : il va tout vous raconter dans ce livre, nous prévient-il.

Collage : Gérard Love

Là, vous vous demandez peut-être ce qui m’a poussé à plonger dans la biographie hors norme d’un chanteur d’un groupe que tout le monde – ou presque – aime détester ? Eh bien, cela a un rapport avec les petites obsessions pop, voyez-vous. On a tous un ou deux artistes fétiches qui ont commis des disques splendides, puis vraiment à chier ensuite, à qui l’on a du mal à trouver des excuses avec les années, mais que l’on continue de suivre d’un œil, de loin. Au cas où. Car cet artiste a beaucoup compté à un moment dans ta vie. Vous pigez ? Bon, et bien pour moi c’est U2, et je vous passe les détails. Vous remarquerez au passage qu’il faut toujours se justifier dès que l’on aborde le sujet de ce quatuor irlandais.

« Sex & Drugs & Rock & Roll était un morceau de Ian Dury que l’on adorait tous, mais pour être honnête on ne savait pas de quoi il parlait » (Bono)

Ensuite, je me demandais ce que devaient contenir ces nombreuses pages, sachant que ce groupe n’a jamais – une exception à ce niveau – plongé dans les clichés sexe, drogues, vomi, engueulades et mort par overdose. « Sex & Drugs & Rock & Roll était un morceau de Ian Dury que l’on adorait tous, mais pour être honnête on ne savait pas de quoi il parlait », confie Bono. Pour finir, j’ai souvent été intrigué par la longévité de ce groupe aux plus de 200 millions d’albums vendus et qui ne semble jamais avoir été bousculé ou pris dans une tempête en quarante-cinq ans de carrière. Quel est leur secret ? Va-t-on en apprendre plus ?

Évidemment, j’ai été déçu par Surrender. Mais avec le recul, il m’a aussi fait réfléchir. Explications.

De la tendresse

Qu’on se le dise, toute la première partie de Surrender est superbe. La jeunesse dans une Irlande où il ne se passe rien, à part la menace du terrorisme. Une classe moyenne plus proche d’une classe précaire. La mort prématurée de la mère Bono quand il avait 14 ans et l’ambiance qui suit, avec un père veuf taciturne qui se retrouve à élever deux adolescents. La découverte du punk rock comme échappatoire, ensuite. Cela peut faire ricaner, en 2023, d’accoler les mots punk et U2, mais c’était le cas à leurs débuts : le groupe était animé d’une rage, nous dit Bono, et qui ne l’a plus jamais quitté. Viendront les disques de The Clash, Patti Smith ou les Ramones. Puis c’est la rencontre avec les autres membres de U2, tous issus de son école.

On retient deux thématiques au début de cette biographie massive. En premier, la relation pas simple avec son père qu’il décrit avec beaucoup de tendresse, de regret et de recul et qui aurait pu faire l’objet d’un livre touchant à lui tout seul. La deuxième chose est beaucoup plus atypique dans un livre sur le rock : c’est la question de la religion.

La religion est quelque chose que tous les membres embrassent très jeune – à l’exception du bassiste, Adam Clayton, qui est le seul Anglais. À tel point que l’on apprend que les futures U2 fréquentaient un groupe de parole biblique très stricte – du nom de Shalom – plusieurs fois par semaine. Bono précise que le dimanche, il allait trois fois à l’église le dimanche. Il avait 15 ans et s’y rendait de son plein gré.

« Un soir, dans un hôtel, une femme de ménage qui arrivait pour faire une de nos chambres nous a trouvé tous les trois en prière et s’est jointe à nous ». (Toujours Bono)

Cette prégnance de la religion et du rock’n’roll est très curieuse pour moi, car singulière, et elle fait se poser des questions qui vont arriver très vite dans la suite du livre – et auquel il est difficile aux membres de répondre dans un premier temps : comment conjuguer sa pratique de la religion très rigoureuse et devenir une pop star de niveau international ?

Beaucoup d’artistes – surtout américains – sont croyants et en parlent dans leurs musiques. Mais les gars de U2 ne rigolent juste pas avec les Saintes Écritures et Jésus Christ. Ils font carrément dans l’exégèse biblique. Bono est conscient des critiques, mais c’est sa foi, c’est comme ça. Elle a pu tanguer à plusieurs moments de sa vie, mais elle est toujours très présente et il l’entretient. « Si j’étais dans un café à l’instant et que quelqu’un disait : ‘levez-vous si vous êtes prêt à donner votre vie pour Jésus’, je serais le premier debout », nous prévient-il dès les premières pages. Même s’il faut noter qu’il est très conscient de cette image très sérieuse qu’il véhicule. Il ose en rire, même : il y a un chapitre qui s’intitule « les grenouilles de bénitier du rock ». Non, U2 n’a jamais saccagé de chambres d’hôtel ni jeté de téléviseur par la fenêtre. Ce qui donne des anecdotes encore jamais lues dans une biographie de rock star : « Un soir, dans un hôtel, une femme de ménage qui arrivait pour faire une de nos chambres nous a trouvé tous les trois en prière et s’est jointe à nous ».

C’est aussi, un point fort de Surrender : Bono, est assez drôle. Par exemple, quand il parle de sa coupe de cheveux durant des années 80 : « Certains diraient sans doute que j’ai eu une coiffure de merde toute ma vie, mais quand je suis obligé de regarder les images de U2 sur scène au Live Aid, une seule chose me saute aux yeux : le mulet ».

Ça, c’est pour la première partie du livre. Très bien. Mais ensuite, ça se gâte sévère. Jusqu’à en devenir creepy.

Le BHL du rock

Malgré mon enthousiasme et un beau début, donc, le livre s’enlise et je commence à croire à l’impensable : c’est vraiment Bono tout seul qui a écrit ce livre devant son ordinateur en or. Rien ne m’est épargné : Bono en Somalie, Bono en Éthiopie, Bono au Bangladesh, Bono en Ukraine, Bono parle d’architecture, Bono parle de l’histoire de l’Irlande, Bono reçoit Gorbatchev en visite dominical, l’avis de Bono sur le nucléaire, Bono et ses missions caritatives, Bono et Angela Merkel… Il y a tout un chapitre où il raconte sa rencontre avec un climatologue qui lui explique les différents types d’énergies fossiles et l’urgence climatique. Mon Dieu, j’ai l’impression de revivre le même cauchemar de la biographie de Neil Young, quand ce dernier parlait de sa passion pour les trains électriques.

Le réseau LinkedIn de Bono

Entendons-nous bien : je n’ai rien contre ces sujets, mais disons que si je veux les approfondir, mon premier réflexe ne sera pas d’ouvrir un livre sur un de groupe rock irlandais. Et c’est une facette irritante de Bono : il veut être hypercompétent dans tout. Alors que j ’aurais aimé trouver d’autres sujets dans ce livre. Comme, au hasard, la musique.

Car dans ce livre, plus le succès déferle sur le groupe, et plus les anecdotes sur la musique disparaissent, petit à petit. Comme si Bono cherchait à le fuir. Alors que dans la première partie, il raconte, avec beaucoup d’enthousiasme, l’enregistrement de leur premier disque et l’excitation des studios pendant des pages, la tournée Zoo Tv Tour des années 90, elle, est seulement résumée à… sa rencontre avec Bill Clinton. Je n’invente rien : j’ai même compté quatre lignes exactement sur la réalisation du disque Zooropa en 1993, contre six pages sur la situation géopolitique dans les Balkans. Ensuite, c’est au tour des rencontres showbiz : les virées en Range Rover avec Paul McCartney, ses cuites avec Sinatra, Bob Dylan, Joey Ramone, Elton John, Mick Jagger, etc. Plus le livre avance, plus les rencontres se font hors de la sphère artistique : Clinton, Trump ou Obama, Lady Di et même – pendant qu’on y est – la reine d’Angleterre et le pape, carrément (véridique) !

Collage : Gérard Love

Il y a clairement – même si cela n’est jamais réellement dit – une seconde carrière à partir de 1997 : Bono le chanteur d’un groupe rock à succès qui fait ensuite place à l’homme de pouvoir et de réseaux qui œuvre pour le bien planétaire.

Dans son palais de la french riviera, dans les hauteurs de Nice, Bono invite ses amis (Bill Gates) et crée une sorte de club, constitué de flamboyants humanistes millionnaires. Entre deux prières à la chapelle de Saint-Paul de Vence décoré par Matisse, Bono et ses convives projettent ensemble de refaire le monde autour d’une bouteille de vin moelleux, tout en admirant la vue sur sa plage privée bordée de palmiers.

Bono apparaît comme un hyperactif sur tous les fronts, tous les terrains de guerre : annulation de la dette des pays pauvres, le sida, la famine, le vote pour les citoyens et la création de plusieurs ONG ou programmes. Tout y passe, tout se mélange. Bono débarque en Afrique sous les flashs et se mobilise pour, aux choix, construire une autoroute en Tanzanie ou un barrage au Niger. Ces combats l’animent clairement, mais d’où lui vient ce besoin d’occuper coûte que coûte l’espace ? Faut-il y voir un lien avec la première partie du livre et l’importance de la religion ? Se voit-il en missionnaire moderne qui tente avec ses moyens d’apporter la paix dans le monde ?

Ces questions, elles traversent la tête de Bono et il en parle. Il y a un chapitre intéressant où il se remet en question sur ses activités d’activistes. Mais – même si les confidences sont réelles – cela ne m’intéresse plus. Car quand il raconte ses heures de pourparlers pour la construction d’école ou de puits d’eau en Afrique : je n’y suis plus. Oui, il y a un côté weird là-dedans. Et ne parlons même pas des derniers disques du groupe où l’on a l’impression que le groupe attend que Bono dispose de créneaux de libre sur son agenda de ministre.

« Led Zeppelin est mon groupe favori », lui confie Condoleezza Rice lors d’une réception dans une ambassade. Soupir.

Pour finir, il faut peut-être apporter de la contradiction à ce livre. Et pourquoi aller en chercher du côté de cette interview impitoyable entre le journaliste David Marchese et Bono réalisée pour le New York Times lors de la promotion de Surrender. Il s’agit d’un échange assez musclé où le journaliste ose poser les questions qui sont restées scotchées sur notre lèvre à la lecture de la biographie. « Bono, citer Thomas Piketty n’est-il pas un peu risqué pour vous, compte tenu de ce qu’il dit à propos d’une fiscalité plus juste ? », lui envoie David Marchese. Ouch ! Et ça continue. « On dirait que vous parlez plus dans votre livre sur les détails de négociation avec Condoleezza Rice que vous ne faites au sujet de la chanson One ». Encore ? « Lorsque j’ai lu l’adulation pour Bill Gates et Mélinda Gates, Warren Buffett ou Steve Jobs et ainsi de suite, sans clin d’œil à l’idée que le pouvoir et l’influence de ces personnes pourraient être le symptôme d’un système profondément brisé, il me fait me demander si vous, le fan de punk rock, êtes en position de voir ces choses, ou si vous venez de devenir un homme de Davos ».

Et c’est quand il est dans les cordes que Bono apparaît réellement : « Il est probable que j’ai perdu de vue le problème des inégalités dans nos propres pays alors que j’étudie les inégalités au niveau mondial ». Amen ?

J’arrête là. Je replie le New York Times et le repose sur la biographie de Bono. Finalement, qui suis-je pour juger de son engagement ? Notre monde va-t-il si mal pour qu’il faille attendre qu’un chanteur irlandais tente d’y remettre de l’ordre à lui tout seul ? Est-ce que c’est son rôle ? N’y a-t-il réellement personne d’autre ? Doit-on juste continuer à ricaner en le montrant du doigt ? Le message du livre est peut-être que c’est notre rôle à tous ? Est-ce que c’est mal de m’être procuré ce livre via Amazon ?

Bono / Surrender: 40 chansons, une histoire / Édition Fayard / 2022
https://www.fayard.fr/documents-temoignages/surrender-9782213712956

Surrender: Bono Autobiography: 40 Songs, One Story : Bono: Amazon.fr: Livres

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