Surprise ! Le batteur de Blur vient de sortir très discrètement son premier album solo. Quelque part entre Robert Wyatt, Air ou Drake : « Radio Songs » est une véritable réussite. Interview.
Vous ne l’avez pas vu arriver, celle-là, hein ? Il faut dire qu’en général les batteurs n’ont pas bonne presse : tout le monde s’en fout ! Quand un groupe débarque en ville pour livrer des interviews, on fait la gueule quand on hérite du batteur ! Généralement attachés à une place ingrate, ces gars ne sont pas les plus bavards – voire pas les plus intéressants non plus. Et là où le batteur de Blur rajoute de la difficulté, c’est qu’il arbore un look de prof d’éco-gestion au lycée professionnel de Drancy.
« Radio Songs » est ce qui peut arriver de mieux à un critique musical – et qui se fait de plus en plus rare : parti au départ en n’en n’attendant absolument rien, il s’avère une très, très belle surprise. Je l’ai écouté au moins trente fois et il accompagne mes matinées d’hiver, avec sa production chaleureuse toute douce comme un plaid en pilou-pilou. C’est un disque intimiste dans les textes, mais aussi dont la façon de Dave Rowntree ose se mettre en avant. La voix y est quelques fois traitée avec des effets pour un résultat surprenant pas si éloigné de Drake ! Dave Rowntree – qui s’était fait auparavant la main sur des musiques de séries pour Netflix – a balancé son kit de batterie avec son bordel de cymbales dans la cave pour poser sur la table des synthétiseurs archaïques et boisés. Même s’il compte un ou deux morceaux up-tempo, voilà un disque résolument planant, cotonneux et hyper synthétique, pour un résultat pas si éloigné d’une rencontre hivernale entre Robert Wyatt et le duo Air période « Talkie Walkie ». Et ce n’est pas pour rien que ce disque est produit par Léo Abraham, à qui l’on doit dernièrement le superbe album solo de Brian Eno. Bref, Dave Rowntree nous a mis le cœur grenadine : et son disque est tellement bien qu’on ne lui a posé aucune question sur Blur !
Dave, tu es connu comme batteur, mais bizarrement, il y a peu de batteries sur ce disque. Ou du moins, elles ne sont pas mises en avant. C’est un disque avec une couleur très électronique. C’était l’idée dès le départ ?
Tu sais, j’ai réalisé ce disque seul dans mon studio et le producteur Leo Abrahams était, lui, à distance dans le sien. Il se trouve que mon home studio est équipé assez chichement : je l’utilise le plus souvent pour réaliser des musiques de film ou série, et je n’ai pas beaucoup de kits de batterie ici. Donc oui, apparemment, je n’ai pas réalisé de morceaux avec plein de batteries dans tous les sens. Je pense même que cela aurait été très ennuyeux ; je ne voulais pas faire cela. C’est assez dur, car je ne connaissais pas très bien la direction du disque au début. Il a fallu que je passe par une première phase d’exploration.
On continue de voir arriver des disques réalisés par des artistes pendant le confinement. Mais celui-ci semble être plus qu’un passe-temps. Il sonne très intimiste et personnel. Tu as mis beaucoup de toi dans ce disque ?
Oui absolument, ces chansons et ce disque parlent de moi. Je pensais que si je devais commettre un essai en solo, autant qu’il y ait une part de moi-même dedans ! Mais pour arriver à transmettre cela, il a fallu passer aussi par la case « avoir confiance en soi » afin de composer des chansons à propos de mes sentiments. Comme oser parler de mon enfance, par exemple. Sur une des dernières chansons que j’ai composées – qui s’appelle 1000 Miles – j’ai tenté de parler en toute honnêteté et transparence des sentiments et des émotions qui m’ont construits. Cela sera mon point de départ pour mon prochain projet.
Qu’est-ce qui fait que tu manques de confiance en toi alors que tu es un musicien reconnu dans un groupe depuis 30 ans et qui va bientôt remplir Wembley avec tes camarades de Blur ?
Pour moi, ce sont des choses différentes. Si je participe à un disque en étant batteur, c’est quelque chose que je sais faire et que je peux aborder en étant totalement confiant. Pour « Radio Songs », c’est un autre monde… Composer des chansons à propos de moi, écrire sur moi, me mettre en avant en étant le chanteur du projet : je n’avais jamais fait cela par le passé. C’est tout cela qui fait que je suis parti sur ce projet avec un gros manque de confiance en moi.
« Je suis le batteur du groupe Blur, mais je ne me considère pas moi-même comme un simple batteur : c’est un truc très ennuyeux, en fait ».
L’album a pour thématique l’amour pour la radio. Tu expliques que, depuis tout jeune, tu bricolais des postes radio avec ton père (qui travaillait à la BBC comme ingénieur du son) ; tu plongeais les mains dans les circuits électroniques. Avec un tel apprentissage, tu aurais pu devenir un roi des synthés, comme John Foxx, Brian Eno ou Jean Michel Jarre. Cependant, tu t’es orienté vers la batterie : pourquoi ?
J’ai vraiment pratiqué les deux – la batterie ou les machines – par le passé. Je possède des synthétiseurs. D’ailleurs, j’ai fabriqué des machines électroniques quand j’étais gamin. Pour être honnête, je me considère comme un musicien en premier. Le médium importe peu. C’est assez maigre de se concevoir seulement à travers un seul type d’instrument de musique. Cela me semble assez limité. Cela serait comme se fixer une barrière artificielle. En ce qui me concerne, je joue de la guitare, de la batterie, des claviers et j’ai toujours été fasciné par les instruments électroniques et leurs fonctionnements. Je suis le batteur du groupe Blur, mais je ne me considère pas moi-même comme un simple batteur : c’est un truc très ennuyeux, en fait. Même cette simple phrase est déjà ennuyeuse : « je suis un batteur ». Really? Aha ! Je suis le batteur de Blur et j’en suis très fier, mais ce n’est pas ce qui me définit.
J’ai vu que tu continues de bricoler des appareils pour capter les sons, et que tu enregistres cela depuis ton jardin. C’est vrai ?
Oui. Je n’ai pas construit l’équipement pour faire cela mais beaucoup des fondations des chansons du disque viennent d’enregistrements de diverses radios que j’ai captées, enregistrés puis collectés. Des sortes de matières sonores floues captées par les ondes – ceux que tu peux entendre à la radio quand tu tournes le bouton pour changer manuellement de fréquences. J’ai pensé que c’étaient des sons extraordinaires à explorer. Pris individuellement, ils ne sont pas très beaux à la première écoute, mais je les ai trouvé fascinants. Cela m’a fait penser au son de l’espace, comme si c’était la naissance de l’univers, l’écho du Big Bang ou le commencement du temps. Je suis parti de plusieurs types de sons que j’ai ensuite passés au travers de logiciels et des machines : des sons d’orages, l’atmosphère du soir, des personnes qui communiquent sans prononcer de mot. Je possède beaucoup d’équipements radiophoniques chez moi – de tous types – qui sont très sensibles : j’arrive à capter beaucoup de matières et beaucoup de signaux envoyés depuis très très loin, que cela soit du ciel ou bien d’autres pays. C’est comme le murmure du monde. Ce sont des sons que tu peux entendre dans le disque. Je les ai utilisés comme une patine ou atmosphère sur certains morceaux de plusieurs façons différentes. Cela apporte une texture particulière mélangée aux autres instruments de l’album. Partir de ces matières, c’était une façon intéressante de travailler, car ces sonorités suggèrent une atmosphère et donc une direction. J’ai réalisé cela sur ce disque mais ce n’est peut-être pas quelque chose que je répéterais à nouveau sur d’autres projets, car je n’ai pas particulièrement envie d’être catalogué comme le mec qui fait des trucs à partir de bruit de radio !
C’était dur de passer l’étape – très symbolique – de poser ta voix, de chanter et donc de te mettre en avant ?
Oui, encore une fois c’est un problème de confiance en soi. Personne n’aime réellement le son de sa propre voix et je pense la même chose : le fait de vouloir chanter pour ce projet allait donc être un problème. Je me suis tout de même lancé et un soir j’ai eu une grosse discussion avec le producteur Léo Abraham à ce propos. Je lui ai dit que je pensais que ma voix était horrible. Et, bizarrement, il m’a persuadé du contraire en me disant que la voix sonnait très bien. Il m’a dit de ne pas m’inquiéter à ce sujet et de penser seulement à la performance. Cela a été le déclic dans le travail de confiance en moi pour « Radio Songs ». À la moitié de l’enregistrement du disque, j’ai eu aussi pour projet de prendre des cours de chants.
Peux-tu nous dire un mot à propos de Leo Abrahams ? Il produit de nombreux artistes et réalise dernièrement le splendide disque de Brian Eno – où ce dernier chante. Comment est née cette collaboration ?
Son nom circulait à cause de sa réputation, mais je ne l’avais jamais rencontré avant. C’est mon manager qui me l’a suggéré. Quand on s’est assis la première fois pour discuter du projet et écouter les démos que j’avais faites, il était très excité et a commencé à apporter des idées. C’était au milieu du second confinement Covid et nous étions chacun coincés dans nos studios respectifs avec rien d’autre à faire, et on s’est juste lancés. Et six semaines après, le disque était fini.
« C’est comme si j’étais à poil devant le public. »
À présent, avec ce disque, tu rentres dans le petit cercle des batteurs qui font des disques solos, comme Peter Criss le batteur de Kiss, Dave Grohl, Tony Allen ou Phil Collins. C’était ton plan secret depuis tout ce temps ?
Pas vraiment, non ! En ce qui concerne Phil Collins, sa route était différente de la mienne : il était auparavant le chanteur de Genesis avant d’entamer une carrière en solo. C’est un peu comme si j’étais le chanteur de Blur et je sortais ensuite un projet solo. Concernant le mec de Kiss que tu cites, je ne connais pas réellement sa carrière. Cependant, je pense que rien n’est écrit à l’avance. J’ai pris confiance dans mon travail depuis que mon travail pour des musiques de film a trouvé un bel écho – et avec un certain succès.
Ensuite, j’ai eu une idée à propos de chanson et de radios, je me suis mis à composer à des choses à propos de moi, j’ai assemblé tout cela dans mon studio et pour finir j’ai dû pondre quelque chose comme vingt chansons. Mais le truc, c’est que rien de tout cela n’était prévu. Il n’y avait pas de plan. Pour tout te dire, rien de tout cela n’aurait pu voir le jour. En effet, j’étais déjà très occupé par le travail de musique de film. J’avais vaguement l’envie de réaliser un projet sous mon nom mais, en fait, si le Covid n’était pas apparu, rien de tout cela ne serait arrivé. Durant le premier confinement, j’étais très occupé sur le score de la série Netflix The One. Mais durant le second confinement, l’industrie des films a complètement fermé pour une période indéterminée. Je n’avais rien à faire.
Tu as fait quelques concerts : ça fait quoi de ne plus être caché derrière ta batterie ?
Disons que les trente premières secondes du show sont assez bizarres. C’est comme si j’étais à poil devant le public. Je n’avais pas tout ce kit de batterie derrière lequel me cacher ; un peu à la manière d’une barrière psychologique. Mais bon, passer ces premiers moments ça allait mieux et je me suis bien décidé. J’ai déjà une forte expérience de la scène avec Blur mais j’ai aussi développé une aisance à parler avec la foule durant mon expérience en politique [Dave a été conseiller politique pour Norfolk sous l’étiquette du parti travailliste. NDLR] qui m’a bien aidé. Durant les quelques concerts que j’ai donnés, j’ai aussi continué à chanter alors que la musique s’était arrêtée – signe que j’étais vraiment dans mon truc !
Dave Rowntree // Radio Songs // Cooking Vinyl.
https://linktr.ee/davidrowntree
Crédit photo : Paul Postle.
3 commentaires
that’s definitely not entertaitment not! cancel!
le bassiste de Pulp il est ou ?
&! é! les bloqueurs blaks rameutaient vous y’a le 1er ministre anglais dans vos murs…