À l’occasion de la sortie de leur attendu deuxième album, « Player Non Player », rencontre avec un des plus rafraîchissants duos de la musique pop française.
Gonzaï et Agar Agar, c’est un peu une histoire d’amour. On avait rencontré le jeune duo pour la sortie de leur tout premier « Cardan EP » en 2016. J’avais eu un crush pour leur musique – que je sentais très sincère, incarné et j’avais demandé à les rencontrer. Dans ce bar de Belleville, je m’étais retrouvé face à un jeune duo affublé de vestes en jean, pas du tout rompu à l’exercice de la « promotion ». Et cela faisait un bien fou. Dans mon souvenir, le duo – composé de Clara et Armand – était arrivé en retard, m’avait tapé des clopes toute la soirée et semblait étonné d’être au centre de l’attention. Ça, c’était avant. Depuis, le duo Agar Agar a tracé sa route en devenant une solide tête d’affiche pour les festivals, il remplit désormais des salles jusqu’aux États-Unis, il dépasse les millions de vues sur YouTube et le très sérieux journal Le Monde parle d’eux avec enthousiasme. Agar Agar revient avec un deuxième disque, « Player Non Player ».
En général, il est dit que l’exercice du deuxième album est compliqué : c’est le moment où un groupe veut prouver que le succès des débuts n’est pas dû au hasard et il veut sortir l’artillerie lourde – en mettre plein les gaufrettes. Mais pas Agar Agar : avec « Player Non Player », le duo garde – chose très rare – une véritable insouciance et fraîcheur. C’est du pur Agar Agar – mais en encore mieux – et les morceaux défilent, parfois intrigant (Dragonlie), entêtant (The Visit) ou encore addictif avec No Pressure – imaginez The Cranberries remixé par Aphex Twin.
Un disque emplit d’inspiration Y2K mais aussi accompagné d’un projet de jeux vidéo – réalisé par – marqué par une forte esthétique médiéviste de type Zelda N64.
Retour à la réalité : cette fois-ci, Agar Agar me reçoit, non pas dans un bar de Belleville, mais dans une brasserie plus chic du 16e. Armand et Clara possèdent aussi leurs propres paquets de cigarettes, désormais.
Ce deuxième disque a vu le jour de manière particulière : vous étiez en tournée – puis Bam ! – le Covid. Vous n’aviez plus trop passé de temps ensemble à créer de nouveaux morceaux. C’était dur de se remettre à composer ? Il y avait une part de doute ?
Armand : Après la tournée, cela faisait très longtemps qu’on n’avait pas arrêté de faire de la scène pendant près de six ans. Après la tournée qui a clôturé le cycle de l’album « The dog and The Future », on s’est dit qu’on allait faire une petite pause. Histoire de respirer et de prendre du recul sur le projet Agar Agar – qui a pris tant d’importance dans nos vies. Le Covid est tombé à ce moment-là, ce qui fait que cela a rallongé cette pause.
Clara : Après c’était une pause pour Agar Agar, mais cela nous a permis de travailler sur des projets solos. On avait besoin de cette pause.
Armand : Oui, on avait envie de s’ouvrir à autre chose. Des trucs qui se sont retrouvés finalement dans notre dernier disque et qui ont permis d’enrichir Agar Agar, afin de le faire grandir.
L’album est très réussi. Je trouve que les morceaux sont très réussis : No Pressure, Dragonlie, par exemple. Comment sont nés ces morceaux ?
C : Dragonlie c’est un des rares morceaux où le chant précède l’instrumental. En fait, j’ai eu une idée de mélodie qui se répétait dans ma tête, comme une sorte de mantra. On a rajouté des basses dessus et ensuite on s’est trop marrés ! On a commencé à créer un son un peu drum’n’bass qui, vraiment, nous transportait. C’est un des morceaux que l’on a préféré faire en live et c’est aussi notre préféré. Car, avec le recul, durant tout le processus créatif on a été hyper enjoué. Tout était fluide, et il a vu le jour de façon très instinctive, en une seule journée. Tu parlais du morceau No Pressure, là, on est parti sur une sorte de langage de Sims. Je ne sais pas pourquoi, mais ce morceau me fait penser à Madonna. Et c’est vraiment super, parce que j’adore Madonna !
A : Sur No Pressure, on continuait d’avancer sur le game design avec Jonathan, et l’on se demandait comment donner de la voix aux personnages. On a trouvé un système où j’enregistrais syllabes par syllabe puis un générateur de langues piochait au hasard et les assemblait. On a utilisé le même principe avec la voix de Clara, et No Pressure est né comme cela. C’est un peu des morceaux alien du disque, et que l’on aime beaucoup.
Crave est le morceau le plus dur de l’album, peut-être même de votre répertoire à ce jour. C’était un retour à tes racines punk, Clara ?
C : C’était intéressant pour moi de crier sur ce disque. Car « Player No Player » est un disque qui contient beaucoup de colère. Cela parle d’une sorte de bataille jamais gagnée. Il y a beaucoup de frustration, de colère et de sentiment. Et c’était important d’avoir ce moment-là dans le disque. Et plus largement aussi, car j’avais envie qu’il y ait des influences punks.
Comment s’est faite la rencontre avec l’artiste japonaise, Zombie-Chang – qui est présente sur un titre ?
A : On la connaît depuis un certain temps : on avait organisé une soirée où on l’avait invité à jouer. On trouve que sa musique a quelque chose de commun avec la nôtre. Et je précise cela, car ce n’est pas évident de trouver des musiciens ou musiciennes qui font de la musique qui se rapproche un peu de la nôtre – formellement ou sur le plan personnel. Et c’est le cas pour Zombie-Chang même si elle vient d’un pays assez lointain, avec une culture différente. Mais j’ai l’impression qu’il y a des choses communes. Pour nous, le fait de l’inviter, cela faisait sens. Mettre un troisième cerveau sur ce morceau – ? – nous paraissait bien vu. On lui a donné carte blanche.
Il y a donc ce projet de jeux vidéo avec Jonathan Coryn. Ça sort quand ? Je peux y jouer sur ma PlayStation ?
A : le jeu est disponible mais en accès anticipé. Il n’est pas totalement fini. Il y a encore un temps de développement jusqu’en septembre prochain pour sa sortie définitive. Mais dans sa version actuelle, il est disponible sur https://corjn.itch.io/player-non-player. Par contre, c’est seulement disponible sur ordinateur !
La culture des jeux vidéos est très connectée à l’univers d’Agar Agar. Lors de nos rencontres précédentes, vous partagiez votre passion pour les Sims ou Wipeout. C’est une passion que vous partagez ?
A : C’est nous deux, oui. Avec, à la base, pas forcément les mêmes références dans les jeux auxquels on jouait, mais, finalement, nous avons une approche assez similaire. Parce que l’on aime tous les deux les jeux qui proposent un récit fort ainsi qu’un véritable univers artistique. Des jeux qui peuvent nous accompagner dans la vie et nous apporter une expérience aussi forte qu’un long roman. Le jeu vidéo implique la personne qui y joue et cela peut donner des expériences assez fortes. Clara dit souvent une chose que j’aime beaucoup : les émotions sont basées sur la mémoire. Et c’est assez fou, car avec les jeux vidéos on s’en souvient, des fois plus qu’un film. Et j’ai des souvenirs très forts de jeux vidéo. Cela construit la personne, je trouve.
Sur le disque, on remarque un éventail sonore plus large, très ancré dans la culture anglaise des années 90. C’était voulu ?
A : Il faut savoir que pour ce disque, le parc de machine a changé. J’ai acquis plus de machines des années 90-2000, parce que ces sonorités me fascinaient. Je pense qu’on a sauté le pas vers une énergie différente : on a toujours envie d’expérimenter et d’essayer de nouvelles choses. Et l’énergie de cette scène break anglaise de ces années-là, elle nous plaisait pour exprimer ce qu’on avait envie. Je suis content, car cela donne un rendu avec plus de matière, un peu plus brut et l’on avait envie d’aller vers là.
Vous avez commencé cette interview en expliquant que ce disque est né dans ce moment où vous exprimiez l’envie de réaliser un break après une tournée marathon. C’était une tournée en Europe ?
C : C’était partout ! On a fait la France, l’Europe et les États-Unis : six ans de tournée ! Des SMAC, des salles, des festivals : on a tout fait ! C’était génial, mais c’est vrai qu’au bout d’un moment, quand cela devient une routine, on perd ses racines. Un an, ça va. Deux ans sur la route, ça va aussi. Mais au bout de trois ou cinq années, cela devient long et l’on n’a plus trop de jus. Les batteries étaient à plat. De plus, comme nous étions dans ce flux de tournées incessantes, nous n’avions plus de temps pour créer de nouvelles matières. Ce qui fait qu’à la fin, c’était assez frustrant.
Qu’est-ce qu’on fait pour changer cette routine ?
C : Bah ! On arrête de tourner et l’on se remet au studio ! Et cela nous a fait trop de bien de nous retrouver dans notre laboratoire.
A : je pense que ce moment où l’on s’est retrouvé chacun de notre côté, a beaucoup aidé à définir le son de ce nouveau disque. Cela a aidé à le faire grandir, à le faire évoluer ; parce que cela prend du temps tout cela. Il y a des choses qui se font sur le côté actif et pratique – en expérimentant en studio – et puis il y a des choses qui se font aussi en laissant le temps passer : les expériences de la vie peuvent aussi nous donner des idées.
La première fois que l’on s’est rencontré, c’était dans un petit bar du côté de Belleville. Vous veniez de sortir votre tout premier disque et vous me disiez que vous ne vous posiez pas trop de questions avec aucun plan de carrière. Maintenant que vous êtes là : quel regard portez-vous sur ces années-là ?
C : Disons que c’était comme un tourbillon : celui d’apprendre un métier de manière professionnelle. C’était une expérience complètement folle, remplie d’insouciance et d’enthousiasme. Et puis beaucoup de naïveté aussi, car l’on ne savait pas trop où l’on mettait les pieds. On était presque complètement perdu. Mais c’est très beau de se rappeler de cette époque.
A : À nos débuts, pour ma part, j’y allais aussi pas mal à reculons. Parce que les personnes qui produisaient notre musique étaient dans un autre espace-temps et tout allait très vite. Ils nous demandaient du contenu, des photos, à un rythme soutenu. Cela m’a un peu flippé parce qu’il fallait réagir très très vite. On avait une maîtrise sur la façon dont notre musique était présentée qui était beaucoup plus éloignée qu’aujourd’hui parce qu’on ne maîtrisait pas toutes les ficelles à l’époque. Dans mes souvenirs, c’était quelque chose d’un peu vertigineux. Et puis, comme tu dis, il y avait ce côté hyper joyeux qui nous animait : parce que c’était la découverte, la curiosité, les rencontres. Même si aujourd’hui, je pense que l’on est à un moment où l’on ne se pose pas trop de questions de carrière. On est toujours là pour s’amuser avec notre musique et garder ce côté fragile.
C: Et puis, surtout, on s’est mis à gagner notre vie avec notre passion. Et c’était juste fou, avec le recul. Et c’est hyper beau de se souvenir de ces années-là parce que notre disque parle beaucoup du deuil de l’innocence. Mais d’un point de vue positif, pas forcément d’une manière négative. C’est surtout histoire de se dire : aujourd’hui, je sais où je suis, j’ai un peu trouvé ma place. On a acquis une certaine force et l’on sait comment ne pas se faire marcher sur les pieds. On a acquis une force. Cependant, aujourd’hui on ne se projette pas dans des choses rocambolesques : on a surtout envie d’être sincère.
Agar Agar // Player Non Player // Cracki Records.
Crédit photos : Erwan Fichou et Naïa Combary
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charles III in the city ?
français choississez les pieds ou les dents