L’audace de Pink Floyd, c’est un peu comme une recette sans instruction : tu mélanges à l’œil et tu fais confiance à l’écoute. Avec leur musique, les Anglais touchent quelque chose de si profond que leurs chansons prennent racine au temps des cavernes, entre la découverte du feu et l’invention de la roue.
Dans sa quête constante de nouveaux horizons sonores, Pink Floyd offre à chacun de ses albums des introspections profondes, loin des formules bien rodées, rassemblant un public large et hétéroclite. Chaque titre est un terrain d’expérimentation, un point de rencontre et, parfois, un refuge, où l’on reçoit des réponses inattendues à des questions que l’on n’avait pas forcément posées. La musique de Pink Floyd est une quête vers l’origine de l’Homme. C’est le témoignage vibrant de l’expérience sonore en tant qu’expérimentation brute et écho de notre monde intérieur. Le son est, en effet, l’une des premières expériences sensorielles et psychiques auxquelles l’Homme accède et qui permet un premier lien, ainsi qu’une première découverte du monde externe.
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En 1971, Pink Floyd donne un spectacle sans spectateur dans l’amphithéâtre de Pompéi, l’un des sites archéologiques les plus emblématiques de la planète. L’absence de public focalise la performance sur la musique, apportant un supplément de grandeur au cœur d’un paysage antique, minéral et dévasté. Jouer au milieu des ruines sans aucun spectateur permet aux hurlements de détresse du titre Careful With That Axe, Eugene d’entrer en résonance avec l’éruption du Vésuve et les souffrances atroces s’étant déroulées là 2.000 ans plus tôt. Ce concert à huis clos rouvre la tragédie captive des cendres et s’adresse à la fois à tout le monde et à personne, aux vivants et aux morts.
En choisissant Pompéi, symbole millénaire des cris, du feu et de la terreur, Pink Floyd marche au plus près de l’origine de l’Homme. Pink Floyd tisse un lien avec ce qui est venu avant nous, en se saisissant du silence lui-même. Un silence transgénérationnel, un silence sacralisé dans un lieu mythique frappé du sceau mystique de la catastrophe. Un silence absolu. Intouchable et enfermé. Or, le son est la première expérience sensorielle de l’être humain et permet au fœtus de découvrir le monde extérieur. La voix maternelle offre un lien rassurant à l’enfant qui quitte le cocon aquatique, lui permettant de s’éloigner ainsi de la folie. Pink Floyd a toujours tiré parti de ces deux piliers : de la recherche de l’origine et de l’explosif. Deux éléments qui déclenchent chez des individus aux trajectoires singulières une connexion fusionnelle avec une musique dont les sonorités entraînent des résonances profondes, mitoyennes et partagées, scellant ainsi l’adhésion du public. C’est dans cet ensemble musical, témoin de la spontanéité de la vie et de la folie avoisinante, que se dissimule le fil conducteur du génie de Pink Floyd.
La musique du groupe est une recherche frénétique de ce qui précède, sans jamais s’encombrer de calcul téléologique, ni de satisfaire autre chose que les envies personnelles du groupe. L’essor de Pink Floyd ne relève pas d’une quelconque métaphysique prenant appui sur la démocratisation des drogues psychédéliques. Alors que les bagages intimes du groupe font bouillonner l’imaginaire des auditeurs, les textes ne renvoient en rien au mysticisme, mais à des tableaux de vie dépeints à grands coups d’angoisses bien palpables. Pink Floyd invoque un imaginaire cosmique, propulsé par des textes universels et des thèmes dans lesquels tout le monde peut se reconnaître. Leur succès immense repose sur des expérimentations musicales audacieuses et sincères, où la folie danse sur le calme tourbillonnant de la vie.
Two Pink Floyd fans holding up a sign at a Pink Floyd concert in Montreal pic.twitter.com/cNLgNRHpe3
— Classic Rock In Pics (@crockpics) February 17, 2022
Pourtant, en bravant les conventions de la scène rock sans chercher à plaire, Pink Floyd a connu un démarrage difficile. Autour des années 1970, c’est en France que Pink Floyd fait recette. Nick Mason, le batteur du groupe, déclare : « notre base de fans n’était pas toujours très fiable ». Il questionne si le groupe aurait survécu sans se produire en France où le public était très réceptif, au contraire de l’Angleterre. Pink Floyd a une approche un peu originale du métier, une manière impolie de faire ce qu’il lui plait. Le groupe se présente sur scène sans attente, osant faire ce qu’il veut et le public français aime cette liberté. On observe une grande transparence dans cette volonté d’expérimenter qui se trouve profondément ancrée dans l’histoire du groupe. En employant des effets et des sonorités improbables, Pink Floyd a eu à cœur de s’amuser à travers l’expérimentation musicale. Sur Interstellar Overdrive, le couinement entêtant du morceau provient d’une guitare dont l’enregistrement est joué à l’envers, constituant la signature du titre. Tandis que des gouttes d’eau émaillent du titre Echoes, ailleurs dans la discographie du groupe, des animaux entrent couramment en scène.
Le premier album du groupe, né de la créativité débordante de Syd Barrett, entraîne Pink Floyd dans une aventure exploratoire. Sur des sonorités saisissantes, des textes comiques et féeriques, Syd Barrett définit la manière unique dont Pink Floyd va aborder la musique. Un an plus tard, le groupe enregistre son second album, à la couleur toujours aussi psychédélique. Syd Barrett n’est guère en mesure d’y participer, bien qu’il débarque un jour à l’improviste en séance d’enregistrement, accompagné d’une dizaine de musiciens de l’Armée du Salut.
Syd Barrett annonce qu’il a rencontré cet ensemble de cuivres dans la rue, qu’il ne sait pas ce qu’ils vont jouer, mais qu’il va commencer à chanter. Démarre alors une chanson-testament où Syd Barrett interroge le sens de la vie. Il entame le chant par des remerciements, puis poursuit en énonçant qu’il n’est pas présent, avant de conclure le morceau en demandant : “And what exactly is a dream / And what exactly is a joke”, signant par là sa dernière participation au groupe.
Mais la nouvelle formation ne standardise pas les performances de Pink Floyd. Le succès demeure encore incertain et le groupe essuie toujours des débuts frileux. Pour le groupe, la vie se résume à des tournées incessantes qui constituent sa principale source de revenus. C’est dans ce contexte que Pink Floyd crée la bande originale du film More, une commande que le groupe exécute presque machinalement en seulement huit jours. Mais, l’album dévoile une beauté douce et discrète, dont deux titres, Green is The Colour et Cymbaline, deviennent des incontournables de leurs concerts.
L’album The Dark Side Of The Moon poursuit le chemin de l’expérimentation et de la démesure. D’abord élaboré sur scène avant d’être enregistré en studio, ce procédé permet au groupe de modeler les titres en situation réelle devant le public. Roger Waters conclut la fin des paroles cryptiques employées jusqu’ici. Il emprunte un tournant majeur avec des textes à la fois durs et concrets, dont le but est de documenter l’existence humaine elle-même. L’universalisme des thèmes de l’album contribue nettement à son succès. En 1972, Pink Floyd boycotte la présentation de l’album à la presse, estimant que le mix n’est pas terminé et arguant que le système sonore proposé par le label n’est pas à la hauteur. Le groupe montre une fois encore qu’il a toujours eu pour objectif une satisfaction propre à sa musique au-delà du succès médiatique et économique. Malgré l’absence du groupe, la presse accueille l’album avec beaucoup d’enthousiasme et les tournées suivantes embarqueront à chaque concert neuf tonnes de matériel.
Le milieu des années 1970 ouvrira quant à lui une nouvelle décennie qui conduira Pink Floyd vers un engagement politique sans concession, condamnant les injustices qui traversent le monde. L’isolement et la folie apparaissent en définitive comme des thèmes récurrents chez Pink Floyd, nourrissant parfois des inspirations anxiogènes, réminiscences constantes de l’origine humaine. Un périple vers le primitif qui fait lien avec ce qui vient avant nous, le silence, les étoiles, l’eau, l’émotion et la douleur.