Ce que cache le sourire du Joker sur la Joconde

Si vous avez senti que quelque chose clochait à l’approche de « Joker : folie à deux » (2024), vous n’étiez pas seul. Le premier « Joker » (2019) avait captivé le public avec son esthétique saisissante et son effet-miroir troublant entre la ville de Gotham et notre propre société. Sa suite inspire tout l’inverse.

En explorant une précarité économique, sociale et mentale que beaucoup peuvent côtoyer à des degrés variés, Joker  illustre l’espoir qu’Arthur Fleck garde pour s’en sortir, porté par un enthousiasme sans cesse broyé par une réalité impitoyable. Suite à l’énorme succès du premier opus, une suite ne surprend pas. Des stratégies ont été mises en place pour garantir une large audience, notamment l’ajout d’une pop-star au casting. Le Louvre a même contribué à la promotion du film avec un clip extraordinaire où Harley Quinn, incarnée par Lady Gaga, dessine le sourire emblématique du Joker au rouge à lèvres sur la Joconde.

Ce clip promotionnel a fait le tour des réseaux sociaux, mettant le musée du Louvre, le film Joker : folie à deux et Lady Gaga sous les projecteurs, avec plus d’un million de vues en un mois. Mais cette mise en scène soulève des questions : quels messages véhicule vraiment cette opération commerciale ? En effet, cela semble réducteur de penser que cette acrobatie marketing possède un strict impact publicitaire. Toute action et parole médiatiques transmettent un message qui est le reflet du climat social d’une époque donnée. Il est curieux que le Louvre choisisse de prêter l’œuvre la plus connue au monde pour une vandalisation consentie. Le fait d’inviter une star mondiale comme Lady Gaga pour perpétrer un acte que l’on qualifierait de vandalisme en d’autres circonstances exprime que tout est permis, et même encensé, pour les plus riches et les plus célèbres. Par essence, la folie se manifeste hors de tout contrôle, mais ici elle est orchestrée avec une précision chirurgicale, transformée en une performance calibrée et romancée. L’acte de folie est ainsi parfaitement coordonné : le lieu, l’heure, les caméras et l’action elle-même sont minutieusement prédéfinis, de manière à montrer le semblant de la folie et le semblant de la précarité. Soulignant donc que la folie est bienvenue lorsqu’elle est maîtrisée et lucrative et signifiant que la spontanéité propre à la folie ne l’est pas.

Ce clip met en avant la folie qui arrange. La folie des puissants génère de la richesse, tandis que celle des plus vulnérables est un fardeau, comme le dénonçait le Joker en 2019. Dans le monde réel, la folie des plus précaires est très problématique : ceux-là n’ayant qu’à demeurer isolés, invisibilisés, stigmatisés, menacés et violentés. Dans Joker, Arthur Fleck est vulnérable et voit sa vie basculer lorsqu’il perd son petit travail de clown et l’espoir de trouver sa place en société. N’ayant plus rien à perdre, ni sa famille, ni son travail, ni la possibilité de tisser du lien à travers la comédie, il signe une rupture définitive avec la société qui le précipite vers une spirale folle et carnavalesque, incarnant le pôle improductif du social, oscillant entre amusement et destruction.

Après quelques semaines à l’affiche, Joker : folie à deux est un échec retentissant, très largement critiqué par le public. Ironie du sort, la perte d’intérêt des spectateurs peut s’expliquer par la disparition de la spontanéité qui caractérisait le Joker. Jadis imprévisible, le clown s’est retrouvé chorégraphié au millimètre près, privé de la fraîcheur instinctive propre à la folie et à la subversion qui donnait son impact au premier film. Alors que Joker (2019) portait un message fort et actuel, la suite de 2024 laisse une impression de vide, dissimulée sous des artifices flashy.