Auteur d’une poignée de disques mélangeant urine, cyprine et Philippe Katerine, la Française Marie Klock appuie sur l’accélérateur avec deux disques en 2024, dont le prochain synthé-toqué « La grande accumulation » est prévu pour novembre. Enfin l’heure du Stade de France avec des coussins péteurs ? Au clic facile, Klock préfère la claque subtile. Interview.
Rire de tout, mais pas avec n’importe qui. En 2024, la célèbre phrase de Desproges est presque devenu un slogan de campagne pour la dernière poche de résistance d’internet, et rares sont celles et ceux à vraiment se battre contre le sens du vent. Avec ses chansons scoliosées qui chantent de travers, à des années lumières de l’univers Colgate de Taylor Swift, Marie Klock impose pourtant lentement une autre façon d’entendre la pop. Les paroles parlent parfois de sperme planqué dans une boite à bijoux, un concept-album rend hommage à un ami mort avec une pochette expulsant le premier degré aussi loin que les migrants d’une plage italienne et ce beau bazar qui ressemble à une fusion entre Les mystérieuses cités d’or et Gilles Dor s’écoute d’une traite sur « La grande accumulation », nouvelle recréation sérieuse de Klock avec la Turque Anadol.
A quelques secondes de la fin du monde, c’est-à-dire à l’heure de la tenue correcte exigée pour tous, ce pas de travers en forme de GIF 8-bits a de quoi faire le même effet qu’un shoot de ventoline sur une armée d’asthmatiques sans Carte Vitale. Fraichement revenue du Canada après avoir vécu coup sur coup « le pire concert de sa vie et le plus fou », l’anomalie Marie revient pour Gonzaï sur ces décalages horaires qui font d’elle une artiste clairement à part dans la pop zone.
Avec ce nouvel album « La grande accumulation », j’ai l’impression que dans l’inconscient collectif tu es en train de passer du registre-raccourci de la musique blague à du Larry David mélodique, avec des sommes de détails obsessionnels transformés en chanson.
Possible, et c’est un compliment. Ca me touche. Disons qu’au début [de sa carrière, Ndr] pas mal de gens n’ayant écouté que deux ou trois chansons débiles un peu défouloir ont pu croire que ça se limitait à ça. Pourtant dès mon premier album, il y avait des titres profondément tristes.
« Je ne me suis jamais dit que je faisais des trucs au troisième degré, ni même au premier ».
Cela fait presque 10 ans que Marie Klock, l’artiste, est en activité. C’était quoi l’intention initiale quand tu as débuté la musique ?
La musique, j’en fais depuis toujours. Mais la scène en solo, cela fait uniquement 5 ans. Si l’on se base uniquement sur les titres accessibles sur mon Bandcamp, c’est parti effectivement voilà une dizaine d’années comme une blague avec des amis, c’était comme une décharge à ciel ouvert. On s’était donné comme objectif de réaliser un truc nommé « la petite année de la marchandise » et le concept c’était de produire un EP par semaine. Ca allait du déchet le plus infâme à de vraies maquettes, et l’ambition c’était d’inonder internet avec ça.
Une blague récréative qui aurait grandi malgré elle.
Elle était circonscrite à une année oui. Mais à cette époque j’étais déjà claviériste dans d’autres groupes, mais ce n’était pas ma musique. Après, la musique, ça a beau avoir été parfois toxique, je n’imagine pas ma vie sans ça.
Il se trouve que 2024 est une sorte d’année Marie Klock : tu publies deux albums coup sur coup, à six mois d’intervalle. Façon de passer à la vitesse supérieure ?
Impossible à dire. On va dire que ça fait 3 ans que j’accorde beaucoup de place à la musique, et ça remonte au Covid-19. Quant à 2024, il se trouve que l’album « Damien est vivant » est un accident : il n’était pas prévu que cela devienne un disque. Mon ami est mort en 2022 et immédiatement, le processus de deuil s’est activé et les chansons sont sorties naturellement en une semaine pour la simple et bonne raison qu’un concert était prévu, et j’ai donc utilisé cette date pour expulser ces nouvelles compositions. C’était un truc momentané, et ça me faisait du bien de les jouer devant les gens. Un truc purement égoïste qui s’est peu à peu transformé en album, signé chez les Belges de Pingipung.
Entre temps, j’ai rencontré Anadol et « La grande accumulation » est arrivé.
Faisons un détour par ton approche visuelle et tes pochettes d’album absolument dingues et anti-consensuelles. Arrive-t-il que des gens d’internet réagissent agressivement à ces « déclarations artistique » ?
Tout le monde ne comprend pas, évidemment. Internet étant fait comme il est fait, je touche néanmoins des gens qui spontanément comprennent grâce à l’algorithme. Mais une pochette a déjà pu se retrouver sur un forum type « worst album covers ever », un peu comme si je m’étais retrouvé sur Bide et musique. Mais même sur les trucs les plus cons du monde comme par exemple La femme Knacki Balls, je ne me suis jamais dit que je faisais des trucs au troisième degré, ni même au premier. Tout part toujours d’une impulsion, c’est toujours sincère. Parfois c’est une tristesse profonde qui s’exprime, parfois une colère, parfois une simple idée débile. Toutes ces émotions touchent le même endroit chez moi ; une fois qu’une idée obsessionnelle est ancrée – comme l’idée de faire se rencontrer Gainsbourg et Olivia Ruiz – il faut que ça sorte.
Je me souviens d’une interview des membres de Catastrophe qui déclaraient à Gonzaï qu’ils faisaient de la pop au premier degré et demi. Ca te parle ?
Ce que j’aime, ce sont les associations d’idées qui ne vont pas ensemble. Et c’est pour ça que l’univers de Pierre la Police me parle autant. La juxtaposition d’idées contradictoires et incompréhensibles, c’est un peu le moteur de base chez moi. Ce n’est pas parce que j’aime l’absurde que ce n’est pas profondément sincère. C’est particulièrement le cas avec mon disque enregistré avec Anadol : j’ai arrêté d’accorder de l’importance à tout ce qui a pu me faire souffrir, me décevoir, et à tous ces gens qui m’ont maltraité. Plutôt que de parler des mecs, j’ai préféré laisser parler l’écriture automatique.
« Ma vie intérieure, elle ressemble à une planche du Gros dégueulasse qui s’ouvre les veines avec sa boite de cassoulet. »
Si l’on prend le texte de Sonate au jambon, particulièrement WTFesque sur le sens, en comprend-tu le sens à rebours ?
Pour moi tous les enchainements sont logiques, tout est tiré d’anecdotes réelles, d’histoires que j’ai pu entendre dans des diners rocambolesques, tout est vrai. Comme j’aime bien les cadavres exquis, tout se retrouve simplement dans le désordre.
Au-delà de la fausse absurdité des paroles, tu es l’une des rares musiciennes françaises à border le cul de façon si frontale.
Ce n’est pas si réfléchi que ça ; mon humour est très pipi-caca, c’est comme ça. Ma vie intérieure, elle ressemble à une planche du Gros dégueulasse qui s’ouvre les veines avec sa boite de cassoulet. C’est à la fois profondément triste, tragique et drôle. Le cul, les sécrétions, c’est simplement un rapport au corps humain très germanique, très FKK comme ils disent là-bas, genre « le nudisme pour tous ».
Le parallèle entre ton univers très démos brutes et celui de Daniel Johnston parait évident. Mais as-tu déjà fait un lien entre ton travail et celui d’Anne Laplantine ?
Intéressante, cette filiation. Je ne m’étais jamais posé cette question. Son univers à elle est très délicat, avec des chansons si fragiles qu’on a peur qu’elles tombent miettes. Comme des boites à bijoux avec des ballerines prêtes à tomber. Mais oui, sa musique me touche beaucoup. J’aime faire avec le moins possible, mais je crois que j’arrive à la fin du système basé sur la pauvreté des moyens. « La grande accumulation » est nettement plus produit, pour le coup.
Le fait d’être parallèlement journaliste musicale pour Libération, comment tu gères ça ?
C’est le truc le plus compliqué à gérer. Hormis Agnès Gayraud (leader de La Féline et également plume musicale pour Libération, Ndr), j’ai peu d’exemples similaires autour de moi. Cette situation m’a amené à vivre des trucs très désagréables, avec des gens en face de moi insinuant que si je pouvais jouer ici ou là, c’était grâce à ma « position » chez Libé. Méga dur à entendre. C’est en parlant avec des amis musiciens ou même avec une effeuilleuse que je me suis finalement décomplexée là-dessus.
Dans le cosmos inversé d’internet, celui où des gens géniaux peu populaires seraient des stars absolues, et là je pense notamment à Sacha Béhar et Augustin Shackelpopoulos, tu devrais toi-même être l’équivalent d’une Taylor Swift. Être différente dans le monde digital de plus en plus conformiste et choqué par le moindre petit pet de travers, ca reste un combat ?
Question quasi existentielle. Internet est le monde dans lequel on vit depuis un petit moment, j’y ai élu domicile depuis 2001 avec les Skyblogs et ça a changé ma vie. Des gens comme Sacha et Augustin me font effectivement pisser de rire, et c’est surement un truc aussi générationnel – on a le même âge, les mêmes références. Est-ce que cette culture est un combat ? Oui, YouTube et les plateformes s’étriquent à cause des algorithmes qui censurent, mais faire des chansons sur le caca avec Jean-Louis Costes ça me semble naturel. Au final, que ce soit sur Instagram ou TikTok, les gens pétés et transgressifs finissent toujours par se retrouver.
Marie Klock & Anadol // La grande accumulation // Sortie le 1er novembre chez Pingipung.
https://anadol.bandcamp.com/album/la-grande-accumulation
En concert le 27 septembre à Petit Bain avec Das Kinn et Noir Boy George (Gonzaï Night) : réservations par ici.
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