J’ai découvert Paul Weller lors d’un séjour en Angleterre il y 7 ou 8 ans. Plus précisément sur l’émission de Jools Holland. Et ce qui me frappe c’est son style, tant musical qu’esthétique. il est sharp. Là je déroule. Qui est cet homme présenté comme une légende par son pote Jools ? Paul Weller était le leader des Jam. Certes, j’avais déjà entendu parlé des Jam, comme d’un groupe punk. Encore un groupe punk de plus. Mais en réalité en 1977, les Jam sont déjà bien plus qu’un groupe punk. En écoutant, je comprends pourquoi j’ai aimé Weller la première fois que je l’ai vu chanter chez Jools Holland. Les influences sont là. Toute la pop anglaise des années 60 que je connais par cœur semble être une évidence chez lui. Comme pour beaucoup c’est pendant un concert des Sex Pistols que l’idée de faire un groupe lui est venue. Un trio. Basse, guitare, batterie. A partir de là les Jam vont développer leur propre style.
Six albums en six ans. Qui dit mieux ?
Et puis six bons albums en plus. Tous radicalement différents dans leurs tonalités. Le premier, « In The City », sonne punk naturellement, c’est l’époque. On peut trouver dès le premier single du même nom les Who du début, ou sur Away From The Numbers qui est un hommage au groupe de Keith Moon. L’album déroule du rythm and blues à la sauce punk. On fonce à toute berzingue dans le Londres de la fin des années 70 (London Traffic). Les Jam vont s’inspirer de toute la scène mod de l’âge d’or du Swingin London. Le look, les costumes, les coupes de cheveux… Mais à la différence des punks, Weller ne veut pas tout détruire. Il est fier comme un Anglais de son héritage musical. D’ailleurs chez lui il est rejeté par les punks. Le groupe est managé par le père de Weller, ce qui en fait un groupe trop propret pour ceux qui prônent No Future. Et puis Weller est jugé trop conservateur d’un point de vue politique.
Fatalement, à partir du troisième album en 1978, le chef d’œuvre « All Mod Cons », les Jam vont sortir définitivement du punk pour chanter des scénettes de la vie anglaise comme Ray Davies et les Kinks le faisaient (Mr Clean ou Down In The Tube Station At Midnight) et parfois des ballades délicieuses (English Rose). Weller compose tout et il n’a que 20 ans. Il offre un style énergique et tendu. L’année suivante sort « Setting Sons », l’album préféré des fans – et le mien aussi. Moins impressionnant dans les compositions que son précédent, l’album raconte des histoires dans lesquelles chacun peut se reconnaitre. Saturday’s Kids parle de la vie des jeunes Anglais et Anglaises (« wearin cheap parfume cause that’s all they can afford »).Toujours à la manière de Ray Davies mais dans un style plus tough comme disent les anglo-saxons (Private Hell). Musicalement et thématiquement ambitieux « Setting Sons » raconte vaguement l’histoire de trois amis d’enfance qui se retrouvent adulte et se remémorent leur passé. Peut être un concept album pour Weller. En plus de faire de bons albums, les Jam sont un groupe à singles. Des singles qui ne figurent pas sur les albums et qui peuvent remplir une compil entière. Que ce soit Going Undergroung, Strange Town ou When You’re Young, ces titres vont propulser les Jam comme le groupe le plus populaire du Royaume-Uni au début des années 80.
Les yeux Revolver
Toujours fasciné par les années 60, Paul Weller écoute en boucle « Revolver » des Beatles. Il va jusqu’au mimétisme dans ses postures, très similaires de celles de John Lennon. L’année 1980 voit naitre le cinquième efforts des Jam : « Sound Affects ». Le disque est imprégné du son des Beatles. Start reprend le riff de Taxman. Les mélodies, les guitares, la production forment un ensemble très cohérent. Plus sombre que les albums précédents, « Sound Affects » offre le single le plus phénoménal que le Royaume-Uni ait jamais produit. That’s Entertainment raconte l’Angleterre et ses « boring Wednesday » sous la pluie. Weller exprime, en trois minutes trente, dans les moindres détails, comme il l’a toujours fait, le quotidien de la classe moyenne. La chanson avec sa guitare acoustique mélange mélancolie et joie de vivre. Toutes les chansons de l’album sont du même calibre.
Pour les Jam c’est l’époque des grandes tournées sous haute tension. Les concerts sont bouillants, électriques. Weller est nerveux. Certains diront qu’il chante faux tellement il est tendu. Mais le style et l’énergie sont là. Cette bonne énergie donnera lieu à un sixième album en 1982. « The Gift » montre que Weller peut encore varier de style. Il s’éloigne en partie de la pop pour jouer des compositions plus soul et dansantes. Town Called Malice et son beat à la Motown excelle dans le genre. Sur disque comme sur scène le groupe invite des cuivres. Bien que l’album soit partiellement raté (trop aventureux, mal produit, trop de mauvaises basses tendance funk) le succès des singles est toujours là, Town Called Malice ou Beat Surrender montre que Weller est le patron et sait faire des tubes.
C’est là que vient l’heure du questionnement.
Pourquoi rester au top et continuer de vendre des disques ? Paul Weller trouve que les Jam ne correspondent plus à son idéal musical du moment, il veut explorer d’autres horizons. Passionné par la musique noire, soul en tout genre, que les mods adoraient tant, il va suicider son groupe. Et en former un autre, un duo, de soul blanche. Style en vogue dans les années 80 de l’autre côté de la Manche. Notre idole lâche la guitare et chante micro en main en se dandinant. Le Style Council est donc né. Les bonnes influences sont là mais il manque quelque chose. La production peut-être. Les compositions sont toujours là aussi. Sur des albums inégaux on peut trouver des pépites comme Have You Ever Had It Blue ? ou Walls Come Tumbling Down. Weller connaitra du succès auprès du grand public mais perdra les fans des Jam de la première heure. Un public plus radical sûrement. Suite à ça il connaitra surtout une longue traversée du désert.
Mais l’Anglais a de la ressource et revient au début des années 90 avec un album solo très intéressant, intitulé sobrement « Paul Weller ». Il rebranche la guitare et mélange les genres. L’attitude est exemplaire. Il apparait comme une influence pour toute la nouvelle scène Britpop. C’est un symbole. Le symbole d’un Union Jack qui renaît. La Britpop redonne à la pop anglaise ses lettres de noblesse perdues depuis quelques années. Et comme dans tout nouveau courant musical il faut un parrain. Paul Weller sera désormais le « Modfather ». Puis vont suivre « Wild Wood » et « Stanley Road ». Ce dernier est assez heavy rock, beaucoup de guitares, on sent l’influence de Steve Marriott, Out Of The Sinking (Small Faces à fond) mais rien de novateur. On a droit à plus qu’une bonne mise en bouche pour ceux qui attendaient Weller depuis tant d’années. En 1997 c’est le sursaut. « Heavy soul » avec sa pochette affolante. On retrouve le singer songwriter capable de faire de la pop à tomber par terre. Toujours les guitares lourdes et deux singles magnifiques : Peacock Suit et Friday Street. Et même un morceau soul, Golden Sands.
Tous les styles conciliés
Question : Comment aborder cette fin de siècle ? Ce qui est touchant chez Weller c’est son sens de l’aventure. Il a arrêté les Jam alors très populaires, pour faire moins bien avec le Style Council, mais peu importe, l’audace est là. En solo il est face au même dilemme. Continuer de vendre des disques sans prendre de risque, ou au contraire se lancer dans de nouveaux projets ambitieux. En l’an 2000 Paul Weller a pris de l’âge et s’est assagit. Il offre « Heliocentric », un album doux, avec de belles guitares acoustiques. En bon mod qu’il est, au sens moderniste, il écoute de plus en plus de choses différentes. Il ne reste pas cantonné aux années 60 anglaises et à la soul. Il va collaborer avec Death In Vegas en 2002 pour une reprise de Gene Clark. Pour se rendre compte des influences nouvelles, il faut écouter l’album de reprises « Studio 150 ». On y trouve le super Early Morning Rain de Gordon Lightfoot. Bien sûr l’influence mod est toujours là sur des morceaux comme Pretty Flamingo de Manfred Mann. En 2005 Paul Weller fait un retour aux sources avec « As Is Now ». Il balance deux singles imparables : From The Floorboard Up et Come On Let’s Go. De la pop énergique. Il renoue avec ses premiers amours musicaux. C’est son doute son meilleur essai avec « Heavy Soul » depuis ses débuts en solo. Trois ans plus tard le « Modfather » remet le couvert avec « 22 Dreams » en 2008. Il mélange tous les styles. Soul, jazz, bossa nova… Sur 22 morceaux on a à chaque fois un son différent. 22 rêves. Un album extrêmement courageux. A 50 ans Weller renait et offre des compositions de plus en plus audacieuses. Il redevient énervé comme du temps des Jam. En 2010 « Wake Up The Nation » enfonce le clou. Encore un super single, le fabuleux No Tears To Cry. Il sait surtout s’entourer de toute la nouvelle garde de la scène rock. Il fait des prestations live avec Richard Hawley ou Amy Winehouse pour une reprise de I Heard It Through The Grapevine. Weller toujours dans l’ère du temps, adulé par la relève. Et puis vient « Sonik Kicks », l’album bancal. On comprend que Weller, qui va toujours de l’avant, à écouté de la musique électronique et du Krautrock. On peut le ressentir sur certains morceaux. Je ne suis pas convaincu par ses deux derniers albums, Mais peu importe l’homme me convainc par son ouverture d’esprit et sa capacité à sa renouveler.
Bataclan again
Le 8 avril dernier il remet ça au Bataclan. Forcément j’y vais. Je rejoins un ami au bar à côté qui portait un Harington rouge, au couleur de West Ham. Derrière nous, des tables remplies d’Anglais avec des accents incompréhensibles. Le bus tour noir du groupe est devant. Steve Cradock, Harrington vert sur le dos, guitariste du groupe (ancien leader d’Ocean Colour Scene) en train de discuter avec Andy Crofts (keyboards), coupe anglaise à la Liam Gallagher. D’un coup sort un homme, cheveux décolorés, coupe impeccable, lunettes de soleil, veste de costume bleu et blanche à rayures. Photo avec les filles. Paul Weller est là. Il rentre dans la salle par l’entrée des artistes. Entre temps on sympathise avec trois écossais de Glasgow (bien entamés) qui suivent la tournée. Il est 20h, les portes du Bataclan sont ouvertes, on file. Direction le bar, l’ambiance est chaleureuse. Toujours avec les trois écossais on boit nos quelques tournées, on échange sur le fait que nous venons tous d’une île, la mienne un peu plus au sud. Un peu sur le football, les Celtics. On descend dans la salle, Paul Weller arrive sans que la première partie soit venue.
Il démarre son set avec une chanson que je ne connais pas. Il enchaine sans coupure avec Come On, Let’s Go et mon ami et moi et nos nouveaux amis d’Outre-Manche, on exulte. Et on s’aperçoit que nous sommes les seuls à bouger et entrer en communion avec le groupe. Le public parisien est calme, réservé, discret. A la fin de la chanson nous entonnons des WELLER WELLER WELLER à la manière des supporters et fans anglais. Arrive une nouvelle chanson, le single de l’album à venir « Saturn’s Pattern ». Weller teste ses nouvelles chansons sur le public. De ses anciens singles nous auront droit à From the Floorboards Up, Uh Huh Oh Yeh, Friday Street, Peacock Suit et You Do Something To Me. Pour le deuxième rappel le « Modfather » passe au clavier et balance Broken Stones. Moment magique. Puis il clôture avec le single monumental The Changingman, titre évocateur qui lui colle à la peau, tellement symbolique de ce qu’est Weller. Avec les lads de Glasgow on continue de danser et d’interpeler notre idole. Mais je me répète, excepté nous, pas d’ambiance. La veille j’ai regardé un DVD d’un concert des Stone Roses en Angleterre. Effectivement la magie des concerts anglais n’est pas présente ce soir au Bataclan. Peut être que les gens attendaient Town Called Malice, Going Underground ou The Eton Rifles. Et non. Il est venu défendre ses nouveaux morceaux et jouer des perles moins connues qui sont sur ses albums solos. Il n’a joué aucun titre des Jam ni du Style Council. Car c’est là sa force. Il n’a pas besoin de faire comme toutes les stars des années 70 et de reformer son groupe -ce qui serait ridicule- en ne jouant que des chansons des Jam. Il offre une vraie prestation live. Comme un artiste toujours dans l’ère du temps. Moderne.
3 commentaires
Bien écrit ! Nb : j’ai vu THE JAM en concert , ce fut extraordinaire ! ( NB suis né en 1961 LOL)
tout les Mods sont D cons! 100 d_conné! vu & entendu lors de la sortie du 2ème LP!