« On choisit pas ses parents, on choisit pas sa famille » chantait Maxime Le Forestier, qui aurait peut-être du s’arrêter là où l’histoire de Patrick Vian, fils de Boris, a plutôt mal commencé. Droit d’inventaire et hasard des calendriers oblige, son deuxième disque « Bruits et temps analogues » (1976) est aujourd’hui réédité, à l’heure même où le plus célèbre des livres de son père est adapté sur grand écran. Est-ce que les gens naissent égaux en droit ? L’histoire de Vian junior tend à prouver que non.

Patrick-Vian-Bruit-Et-Temps-AnaloguesL’écriture de ce papier pose, en préambule, un cas de conscience : parlerait-on aujourd’hui de cet album si Patrick n’était pas le fils de son père ? Par soucis d’honnêteté, on s’aventurera à répondre que oui, car « Bruits et temps analogues », s’il traine depuis plusieurs années déjà sur d’obscurs blogs dédiés aux pépites oubliées, méritait tout de même mieux que la malédiction qui l’a vu atterrir entre les mains d’une poignée de vieux garçons collectionneurs et fétichistes tels qu’on les croise sur les conventions de disques, tous affairés en rats de laboratoires trépanés à rechercher des trucs aussi inaudibles et pédants que… Red Noise, premier groupe de Patrick Vian fondé dans l’après mai 68, et responsable – c’est le mot – d’un disque à la fois contestataire, free jazz et complètement chiant. Alors que des millions de salariés manifestent dans la rue et que Boris Vian – qui n’a jamais rien compris au rock – est mort dix ans plus tôt, son fils décide alors de prendre le contre-pied freudien en s’embarquant dans un Viêt-Nam mélodique, à la fois ampoulé et maladroitement révolutionnaire qui accouchera difficilement de « Sarcelles-Lochères », disque aujourd’hui inécoutable, comme la majorité des disques de rock français de l’époque. Si la fin des années 60 reste le symbole de liberté et d’espoirs pour un monde nouveau, le début de la décennie suivante marque celui des désillusions. Red Noise dissout puis refondé avec une partie dudit groupe sous le nom de Komintern, ne reste plus à Patrick Vian que ses yeux pour pleurer et une ombre grandissante qui le suit partout. Paradoxalement, et alors que l’histoire merdoie, c’est ici que la vie musicale de Patrick devient intéressante.

Cinq ans après avoir mis fin à Red Noise de peur de rentrer dans le système qu’il condamne, le musicien Patrick Vian vire braquet et opte pour l’électronique. De cette période aventureuse, pour ne pas dire avant-gardiste, reste le disque « Bruits et temps analogues » qui, en plus d’être ambitieux, reste écoutable. Publié à l’époque sur le label Egg avec l’aide de trois musiciens dont Mino Cinelu (percussionniste martiniquais qu’on retrouvera plus tard aux côtés de Stevie Wonder, Lou Reed, Elton John et même Polnareff), le deuxième essai de Vian est le bon, mais c’est pourtant un échec commercial qui, dans la fournaise pré-punk qui s’annonce, rate son public. Et pourtant, quel disque mes amis ! Sur l’extrême gauche, l’influence du rock Français se fait entendre, on pense en vrac à Richard Pinhas, à Heldon et aux quelques groupes locaux sachant compter jusqu’à dix, parmi lesquels le groupe  Pôle de Philippe Besombes et Jean-Louis Rizet, lui même récemment sauvé de l’oubli par Alexis Le Tan sur la compilation « Space Oddities ». Sur la droite, côté Nord-Est, on entend l’électronique planante des premiers Kraftwerk et Klaus Schulze, le tout parfois même mélangé aux rythmes africains comme sur le titre Oreknock. L’ensemble, instrumental, a de quoi laisser pantois. Evidemment, la nostalgie des temps révolus et le révisionnisme donnent à « Bruits et temps analogues » un parfum de modernité classieuse qui n’a peut-être pas sa place ici. Reste que des étrangetés comme R & B Degenerit ! ou Sphere s’écoutent sans rougir, de quoi s’étonner que Patrick Vian n’ait pas prolongé l’aventure sur d’autres disques d’illustration.

Pionnier éphémère de la musique électronique en France, Patrick Vian devient à l’aube de temps, disons, plus digitaux, animateur sur les radios libres, et puis… et puis plus rien, on perd subitement la trace du Patrick au milieu des années 80. De quoi vit-il, pendant toutes ces années ? De l’œuvre de son père, qui le rattrape jusque dans son quotidien mais lui permet tout de même de mener vie de bohème, à cheval entre sa passion pour la science-fiction et les machines, qu’il continue de bidouiller sans avoir besoin de sortir d’album pour exister. Il fut un temps où les soirées étaient moins disco, avec son père Boris. Coincé entre le cortex son père déjà culte de son vivant et celui de maman (Michelle Léglise) plus tard égérie de Jean-Paul Sartre, le jeune Patrick fait sa première psychanalyse à l’âge de onze ans puis est envoyé en pension suisse, loin de Saint-Germain des Près, loin des lumières. Quarante ans plus tard, « Bruits et temps analogues » ressuscite non seulement le talent fugace du fils, mais aussi la relation complexe au père, omniprésent même dans la mort. Et comme Patrick n’a pas été, de son propre aveu, à l’enterrement de son père, bien difficile d’aller cracher sur sa tombe.

Patrick Vian // Bruits et temps analogues // Staubgold (Differ-Ant)

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