1982, année chaotique et tendue, entre Brejnev qui passe l’arme à gauche, le bain de sang de Sabra & Chatila et les soldats du défunt empire britannique qui s’écharpent avec les bataillons perdus de la junte militaire argentine pour un îlot peuplé de moutons asthéniques. Qui s’en préoccupe ? Pas plus New Order qu’Arthur Baker, c’est clair. Avec l’arrivée du 808 et de la Linndrum, la danse music quitte enfin l’interminable séquence disco pour se durcir dans des beats mécaniques. Le hip hop est accouché dans une vague de froid. La techno pointe la tête, de Detroit à Manchester en passant par NY. Les eighties s’affirment, plus abrasives, plus dures que la décennie précédente. Et danser dans les décombres, les petits Mancuniens ont ça dans le sang.  Pour une chronique non actuelle et sentimentale de “Power, Corruption and Lies”, c’est par ici.

You’re not the kind that needs to tell me
About the birds and the bees
Do you find this happens all the time
Crucial point one day becomes a crime

(Age of Consent)

Elles sont formidables, tes chansons, Barney !” dit Gillian, en écoutant les démos. C’est vrai qu’elles sont formidables, ses chansons. C’est sûr, Bernard Sumner ne chante pas comme Ian Curtis. Mais Ian c’est Ian, on l’a enterré il y a des mois maintenant. Des années, même, trois années sous le choc. On l’a pleuré aussi, beaucoup. C’était le leader, Ian, avec son charisme d’épileptique, sa voix de tombe, son visage d’ange déchu et ses textes hallucinés. C’est fini la cérémonie. Mais bon, la vie continue, le groupe aussi. Sans le groupe, pas de fric. Sans fric, retour à l’usine. Et l’usine de Manchester, en 1983, elle a fermé ses portes depuis bien longtemps.

C’est Barney qui s’y colle, textes et chansons, qui quitte l’ombre portée du leader pour bricoler des trucs. ça décalque un peu, au début, forcément. Ensuite, ça change.

Pour le second album, “Power, Corruption and Lies”, fini la décalque. Barney le frêle y va plus franchement, de sa petite voix de tête sur le fil du rasoir. Et puis ses textes sont biens. C’est fini la veillée funèbre, le tralala romantique, le spiritisme. On est à Manchester, après tout. Il est temps de regarder autour de soi, de parler de la fille du quartier qui t’a quittée, des beuveries, des nuits à danser et zoner, des quartiers désertés, de la ville ou des usines. De foot, pourquoi pas?

La perte est immense. Même masquée derrière des beats de plus en plus entêtants, la douleur et le manque perce toujours. Tu les as abandonnés, Ian. Bernard a beau glisser cet humour à froid si britannique dans ses paroles, ses lyrics ont beau cacher avec pudeur les choses de l’amour dans des punchlines aussi anodines que la pluie qui tombe sur Manchester.

Aussi triste qu’un mec largué après une nuit au pub, cette mélancolie typique, granuleuse et ouvrière perce derrière les up tempos et les nappes de clavier de Gillian. Dans le Nord, on sait tous que la fête est triste, c’est ainsi. C’est chimique la douleur, ça tape le cerveau comme la basse de cet abruti de Hook, ça lamine, ça crée des sillons. Ca ne s’oublie pas plus qu’une chanson pop.

“In the future
When you want me in your heart
I won’t be there (help you)
If you call out in the dark
Heard you calling
Yes, I heard you calling

(5 8 6)

Il faut les écrire ces chansons, maintenant. Tout est là, le groupe tient la route au petit bonheur la chance et Bernard sait composer sans sombrer dans le pathétique. Ses textes évoquent, débarrassés de toute prétention littéraire, les aléas de la vie. Ses mélodies limpides touchent droit au but. Peter plombe, Stephen rythme, Gillian synthétise.

Quitte à pleurer, autant le faire avec un détachement altier et dans l’ivresse des rythmes, dans un light show glamour, jusqu’aux petites heures. Danser farci à la coke sur la piste de l’Hacienda, dépenser le pactole Blue Monday avec les copains du quartier, découvrir New-York, mener la grande vie à tombeau ouvert

Et ça marche, le succès pointe sa tête, Blue Monday envahit les charts un peu partout. En mars 1983, Manchester a acquis une réputation musicale à toute épreuve, et ça va compter pour longtemps.

But for these last few days, leave me alone
Leave me alone, leave me alone”.

 

16 commentaires

  1. C’est faire peu de cas de la contribution de Hook, essentielle dans la construction du son de New Order.
    Il n’y a qu’à écouter le dernier album de NO pour s’en rendre compte.

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