Ca pourrait être une critique de livre comme les autres, à la fois objective, dépassionnée et parcourue de citations entre guillemets. On y apprendrait que la vie de Polnareff n’a pas été un long fleuve tranquille, que l’auteur du Roi des fourmis s’est fait escroqué par son homme de ‘confiance’ Bernard Seneau de près de 5,7 millions et que c’est la raison pour laquelle Paulo est parti faire du footing à Los Angeles, qu’à la grande époque Michel roulait en Harley dans le couloir de son appartement à Neuilly et tirait au flingue dans le mur pour calmer ses voisins à bout de nerfs, qu’il a aussi passé 800 jours au Royal Monceau pour enregistrer « Kâmâ Sutrâ », que ses récentes frasques avec son ex-compagne Danyellah se sont soldées par une stérilité artistique (sic), et qu’accessoirement le pianiste bigleux a façonné un pan entier de culture française populaire avec un répertoire à ce jour inégalé, le tout sur trois décennies. Paradoxalement, avoir réussi à capter l’esprit beatnick et su composer des monuments pop comme Holidays ou l’intégralité du disque « Polnareff’s » n’empêche pas les quiproquos. Trente ans après le premier numéro de Rock & Folk dont il faisait la couverture en 1966, Michel Polnareff a cette réponse pour le journaliste hébété qui lui demande s’il n’est pas, au début des 70’s, le Elton John français : « Non, non, non. Elton John est le Polnareff mondial [1] ». La réponse est à la hauteur du personnage ; on peut être écouté par des millions de Français de tous âges et pourtant ne pas être entendu. « Derrière les lunettes » de Christian Eudeline – frère de – se lira donc à travers le prisme de l’incompréhension chronique. Le problème de cette vie rocambolesque où le génie côtoie la dépression et les trains fantômes les montagnes russes, c’est que j’ai déjà parlé à Christian Eudeline voilà seize ans.
Le foi des fourmis
Nous sommes en 1997, j’ai 17 ans, de l’acné plein la gueule, un succès proche du zéro absolu avec les filles de mon âge, aucune culture musicale exception faite des K7 repiquées avec du Coolio et Alliance Ethnik ; bref c’est l’ennui provincial dans toute sa splendeur avec pour seule distraction d’interminables parties de basket dans la banlieue avignonnaise pour oublier qu’on finira dans le meilleur des cas cadre moyen dans une société d’assurance. Quelques mois plus tôt, et alors que je traine mes os d’ado mal dégrossi – survet’ et casquette NBA de rigueur – au rayon musique d’un Auchan pour éviter la canicule caniculaire du mois d’aout, stupéfaction en écoutant dans les enceintes une drôle de musique chantée en Français, terriblement atypique pour celui qui jusque là n’a jamais acheté un CD de sa vie, par peur du ridicule. Le type chante une histoire de tam tam pour homme préhisto, c’est à la fois complètement ridicule et foutrement catchy ; c’est le disque du grand retour de Polnareff après son opération de la cataracte, « Live at the Roxy », c’est l’un de ces instants comme on en connaît tous, marquant et fondateur, qui permet de dire que la vie a ce jour là basculé.
Au fil des mois qui suivront, et après avoir usé le disque jusqu’à en connaître toutes les approximations, tous les silences, je découvre éberlué qu’il est possible de chanter dans la langue de Johnny avec une voix de castrat sans pourtant passer pour un con. Evidemment, ceux qui aiment encore à résumer Polnareff à ses balades pour midinettes, s’empressant dès lors de pasticher des titres comme Love me please love me ou Tout tout pour ma chérie avec l’air du beauf à peine sorti bourré d’une discothèque du Cap d’Agde, ne peuvent pas comprendre toute l’importance d’un morceau instrumental comme Voyages quand on a grandi dans une région où le football est une quasi religion et les filles plus connes qu’un manche à balai. Il faut avoir grandi dans un désert musical, entouré par des crooners de deuxième division du type Eddy Mitchell ou Claude François pour savoir que Polnareff possède en lui cette folie spectorienne qu’aucun des rescapés des yéyés, ni même les rockeurs français des 70’s, ne sauraient posséder même en s’affublant d’une perruque comme dans la pub Cetelem.
Vient alors la fameuse année 1997, qui me permet de découvrir le visionnaire site www.polnaweb.com où tout un tas de paumés de mon espèce ont décidé de se rejoindre pour communiquer avec ‘L’Amiral’. Ce sont les débuts d’Internet et Polnareff, jamais en manque d’une innovation, a pris le train avant tout le monde. En moins d’un an, j’ai pu combler pas mal de mes lacunes sur Polnareff, quitte à développer une obsession maladive pour le personnage ; avec mes amis digitaux nommés Pestouille, Longshot Spirit, nous passons tous de très longues heures à échanger par messages interposés sur l’éternel retour du grand absent, chacun y va de son pronostic pour annoncer la date d’un nouvel album qui – déjà – se fait attendre et je crois pouvoir dire qu’on trouve alors là, sur le mur de ce site où Michel donne de ses nouvelles en grosses lettres rouges, une sorte de deuxième famille accessible via un modem 56K.
Quelques mois après la diffusion sur Canal + d’une émission spéciale Polnareff organisée par Michel Denisot ayant couté la bagatelle de 4 millions de francs pour trois jours de tournage, j’apprends la sortie imminente d’un livre nommé « Le roi des fourmis », biographie du chanteur à bouclettes écrit par un certain Christian Eudeline.
Il faut imaginer la scène : un gamin boutonneux cherchant le téléphone des Editions Eclipse dans l’annuaire puis composant nerveusement le numéro de l’auteur du livre pour recevoir un exemplaire en échange d’un chèque signé par maman. Première mouture du livre aujourd’hui chroniqué, « Le roi des fourmis » sera – et je l’apprendrai bien plus tard – rapidement retiré du commerce pour une sombre histoire de crédit pour la photo retenue pour illustrer la couverture. Il faut bien dire que les objets du culte Polnareff ne sont pas légion, le même sort sera peu ou prou réservé au fantastique « Tribute to Polnareff » concocté par Burgalat en 1993, puis finalement repoussé et publié en 1999 avec un deuxième CD d’horribles reprises imposés par on ne sait quel Jean-Foutre ayant décidé que les covers de Lilicub, Jérôme Soligny, Pow Wow et autres trouffions de la chanson française valaient celles réalisées par Nick Cave, Pulp ou Saint Etienne. Bref. La discussion avec Christian Eudeline, si elle fut brève et polie, reste encore gravée dans ma mémoire ; trois ou quatre mots échangés, un certain étonnement de l’auteur face à la voix d’ado mal assuré, et puis crac, un livre qui arriva enfin par la Poste, et fut logiquement dévoré en une soirée.
Touché par la disgrâce
Fatalement, les fans compulsifs ayant lu « Le roi des fourmis » n’apprendront pas grand chose avec « Derrière les lunettes », biographie du fou chantant mise à jour avec néanmoins quelques témoignages additionnels et quinze ans de plus dans une carrière qui n’a plus vraiment décollé depuis au moins vingt. Ecrire que les dernières années n’ont pas été tendres avec Polnareff est un doux euphémisme qu’Eudeline passe aujourd’hui au vitriol, sans complaisance, allant jusqu’à tirer à vue sur toutes les apparitions people du chanteur, qu’il s’agisse de ses paparazzades avec Danyellah – déjà le prénom aurait du être un indice… – ou de cet enfant qui n’était finalement pas de lui. Tout cela est certes un peu pathétique, mais comment s’étonner qu’un artiste ayant été obsédé toute sa vie par l’écriture de chansons intemporelles puisse, alors que le déclin s’annonce, se refuser à la scénarisation de sa vie personnelle maintenant que chacun sait que le grand retour artistique ne viendra plus ? Les grands sentiments humains, Polnareff les connaît bien, il en a même fait des chansons rentrées depuis dans l’inconscient collectif : l’exil (Lettre à France), la perte d’un être cher (Qui a tué gran’maman, en hommage à Lucien Morisse, directeur des disques AZ et directeur des programmes d’Europe 1), le retour du fils prodigue (Coucou me revoilou), la rédemption (On ira tous au paradis) et ainsi de suite.
Tout cela est bien beau et suffirait certainement à des sosies de deuxième division comme Obispo, mais il faut bien admettre que ces standards sont l’arbre qui cache – ou gâche – la forêt. Chantés par des millions de vieux, voire repris pour des jingles publicitaires (Tout tout pour ma chérie repris par LCL depuis une dizaine d’années, je vous mets au défi de réécouter l’original après ça), les hits de Paulo masquent en réalité un talent encore plus grand, plus pur et donc plus intact, dès lors qu’on prend le temps de se pencher sur les instrumentaux composés par celui qui fut traumatisé à l’adolescence par Jerry Lee Lewis. Car s’il est une vérité qu’on n’a pas souvent lu dans les papiers consacrés à Polnareff, pas plus que dans la bio qui nous occupe aujourd’hui, c’est ce jeu de piano démoniaque qui permet en un instant de dézinguer toute tentation de comparatif avec les Julien Clerc et autres abomiffreux de la variété française. Sans dire qu’il aurait rêvé d’être noir comme James Chance, il reste certain que Polnareff a su croiser les styles, du boogie-woogie au R&B en passant par la pop, pour passer le tout à la moulinette pour donner au plus grand nombre une soupe pop’ capable de rassasier le plus aigre des estomacs. En témoignent le live arrangé par Jean-Claude Vannier, « Polnarévolution », où le pianiste tire dans tous les sens, histoire de calmer sa frustration. Il ne sera certes jamais l’égal des Rolling Stones, mais certains soirs Polnareff parvient tout de même à égaler l’auteur de Great balls of fire.
Dans la maison vide
Que reste-t-il des maux d’amour, maintenant que l’idole est fripée, à moitié chauve et bedonnante ? Des chansons, une part de rêve et une biographie plus qu’honnête, somme toute complétiste et très bien documentée. On y découvrira les débuts de Polnareff avec l’arrangeur Jean Bouchéty, puis d’autres témoignages extrêmement instructifs par les membres de Dynastie Crisis (qui l’accompagnèrent sur scène à l’époque de « Polnarévolution ») et bien d’autres histoires passionnantes pour le novice, le tout parsemé de quelques interrogations qui persistent : quelle était donc la nature de la relation qui unit le chanteur à sa mystérieuses manageuse Annie Fargue, décédée l’année dernière ? Existe-t-t-il des trésors cachés prêts à être publiés ? Et pourquoi Polnareff ne retrouva-t-il jamais de paroliers du calibre de Jean-Loup Dabadie ou Pierre Delanoé, pour lui écrire des textes un peu moins cul-cul que Ophélie flagrant des lits – hum ? Tout au long de ses 350 pages, « Derrière les lunettes » donne parfois des indices, parfois pas. Il se pourrait tout aussi bien qu’il n’y ait pas de « mystère » Polnareff et que le super héro derrière ses binocles soit aussi faillible que le commun des mortels.
« La meilleure chose qu’on puisse encore attendre de lui, c’est un album dépouillé en piano-voix car son toucher est intact, toujours aussi fascinant » confie un salarié d’Universal l’ayant récemment côtoyé, « le seul problème c’est que Pascal Nègre ne l’entend pas de cette oreille, lui voudrait un truc plus putassier taillé pour la Nouvelle Star… ». Un énième malentendu qui en rappelle un autre. Interrogé alors qu’il est à son sommet au milieu des années 70 pour l’émission A bout portant, Polnareff a cette phrase définitive qui résume bien la complexité du personnage, ses crises d’angoisse à répétition comme ses délires créatifs, sa peur de la foule comme son besoin d’être aimé : « Je suis comme ces fous d’asiles qui croient que les véritables fous sont enfermés à l’extérieur ». Comme il est aujourd’hui certain qu’on a peu de chances d’entendre un nouvel album de Michel Polnareff, le livre de Christian Eudeline permet néanmoins d’ouvrir une porte sur l’univers capitonnée du chanteur ; un destin à la Howard Hughes, à la fois extraordinaire et brutal, où la folie prend peu à peu le pas sur la réalité, et l’indécision sur la détermination. « Pour moi la vie n’est qu’un passage, certainement le plus pénible » conclue Polnareff dans A bout portant ; la lecture du livre prouve précisément l’inverse. Et plus que jamais, on souhaite aux gamins provinciaux qui s’emmerdent ferme dans leur bled paumé de découvrir l’histoire de ce chanteur né du mauvais côté de l’Atlantique.
Christian Eudeline // Derrière les lunettes // Fayard
[1] Extrait de l’interview accordée par Polnareff en juillet 1996 à l’occasion du numéro anniversaire de Rock & Folk n°347 dont il fait la couverture, pour son come-back avec l’album « Live at the Roxy ».
11 commentaires
Punaise ! La genèse de la culture musicale de Bester à Auchan le Pontet, ça m’a fait rêver ! Bon article qui nous sort un peu des poncifs sur les stéroïdes et frisottis peroxydés, récurrents sur le personnage.
Alors petite précision tout de même, c’était à Auchan Mistral 7, du coté d’Avignon Nord. Y’a un terrain de basket à proximité, ce qui n’est pas le cas du Auchan Le Pontet. Ca valait tout de même précision.
Ha OK, c’est vrai que celui de Mistral 7 est plus pointu, moins piche en somme.
Ok y’ a clairement un mythe et des disques qui parlent pour lui…
Mais le mec est le devenu le Adjani de la pop française depuis belle lurette, c est a dire une diva sans inspiration reduite a faire du buzz( sa dicographie debande sevère des 1978).
Alors entretenons la légende y compris celle de la grande distri, mais ne rendons pas mary-lou a polnareff…
Pub :
http://www.youtube.com/watch?v=CHnmEPXDsBA
Même s’il est maintenant une épave et que j’ai du mal à digérer l’épisode Sarkozy,Polnareff est l’un des rares artistes francophones à avoir réussi à me faire chialer,respect!
Quand il dit qu’Elton John est le Polnareff mondial, je crois que ce n’est ni une blague ni une fanfaronnade, je crois qu’il le pense vraiment, et j’irai plus loin, je pense qu’il a raison.
Il suffit de regarder les pochettes de son 1er album et du 45 t de Sous Quelle Etoile : avec ses lacets jaunes, sa perruque platine, ses grosses lunettes, son pull de mohair rose qui lui arrive au-dessus du nombril : Polnareff a inventé les 70s.
Merci pour cet article…
D’habitude je râle sur certain de vos article, mais là …
Polnareff est un génie sous-éstimé . Dans les 60′ peu d’artistes en France avaient cette culture du son et des arrangements. Lui seul avait cette capacité à donner à la chanson pop un tel degrés de sophistication; et oui j’ose le dire c’est un peu notre Phil Spector à nous.
Eh bien… merci !
alors le sieur Eudeline écrit: » les filles connes comme un manche à balai »…je pense que les filles, désormais femmes, ont dû apprécier cette formule…. – pola, ok, il a un certain talent, mais loin derrière Ange et son capitaine toujours actif Christian Décamps, ainsi que Gens de la Lune, avec leur leader Francis Décamps…