Du premier acte de Présence Humaine ten years after, on avait retenu des croche-pattes, des envolées lyriques et du sur-place, des pochettes "pas assez décevantes" et l'inquiétante description d'un Michel Houellebecq "tueur, comme Vince Taylor" (Yves Adrien). Rassurez-vous, ce n'était qu'un début. Voici la fin d'un disque, comète de Halley à la splendide trainée de poudre.

Du prémier acte de Présence Humaine ten years after, on avait retenu des croche-pattes, des envolées lyriques et du sur-place, des pochettes « pas assez décevantes » et l’inquiétante description d’un Michel Houellebecq « tueur, comme Vince Taylor » (Yves Adrien). Rassurez-vous, ce n’était qu’un début. Voici la fin d’un disque, comète de Halley à la splendide trainée de poudre.

Cela fait déjà plus d’une heure qu’on est assis là, à manger des cacahuètes. Les portraits chinois se dressent, Bertrand Burgalat retrouve progressivement la mémoire en tripotant des olives; la mémoire revient, dans ses moindres détails. Jusque dans les moindres confusions, jusqu’à cette anecdote d’une interview accordée au Monde: « Je dis au journaliste qu’avec Présence Humaine, on a l’ambition de réaliser un album de soul psychédélique, lui comprend soupe psychédélique…et le marque tel quel dans son article ». Un disque d’incompréhension pour sûr, jusqu’au bout des doigts jaunis.

Maintenant que les principaux acteurs du disque ont été passés en revue, qu’Yves Adrien, AS Dragon et autres groupies ont trouvé leur place dans les verres à moitié vides, c’est l’heure de partir en tournée pour défendre Présence Humaine, sous le soleil de Satan, été 2000. Inutile de préciser qu’à l’heure des bilans, les lendemains seront moins chantants. Deuxième partie du témoignage accordé par Bertrand Burgalat, attachez vos ceintures.

Social Smokers, un mégaphone et des cochons thaïlandais: Sur la (dé)route

« Au printemps de Bourges, on se rend compte que notre musique est en total décalage avec l’époque et le rock à la Blankass. La Nouvelle République du Centre-Ouest titre « Houellebecq, le naufrage », Michel lit la chronique dans la salle des petits déjeuners de l’hôtel au milieu des autres groupes et des techniciens, puis la repose, imperturbable. Yves Adrien suggère (ordonne, plutôt!) que le groupe joue à Paris aux Folies Pigalle, la même salle que Vince Taylor en 1961. On se démerde, les gens de la salle ne sont pas commodes, on douille un max, la salle n’est plus équipée pour les concerts, la scène minuscule. Entre temps, Eiffel s’est fait signer et ils préparent leur album, il faut changer le groupe. Reste Peter (Von Poehl) aux guitares et moi aux claviers. Fred Jimenez, qui nous avait envoyé des démos de ses morceaux, nous rejoint à la basse, suivi par le batteur des Married Monk (Jean-Michel Pires), on récupère Stéphane Salvi à la guitare lead grâce au split de Montecarl.

Pour les dates en province je suis en studio chez Tricatel avec Mick Harvey pour arranger l’album d’Anita Lane ; c’est Michael Garçon, clavier de Kojak, qui me remplace. Et Stéphane me branche sur son pote de Montecarl Hervé Bouétard pour remplacer au pied levé à la batterie Jean-Michel Pires, qui doit partir avec Married Monk. Hervé n’a pas eu le temps de répéter avec le groupe, et de date en date Peter me tient informé au téléphone. A Lyon, il me dit que c’est catastrophique, Hervé à mélangé les morceaux, jouant la partie de l’un sur le tempo de l’autre. A Limoges ça a l’air mieux, les choses se mettent en place, à Bordeaux il me dit que finalement c’est pas mal. Je débarque à la quatrième date, à Rennes, là je constate qu’une alchimie incroyable, humaine et musicale, s’est crée, que c’est devenu le groupe dont j’avais toujours rêvé pour le label. On cherche un nom; Michel pense à Social Smokers parce qu’il vient de se faire virer d’un vol d’El Al pour avoir fumé, mais les initiales ne sont pas terribles. On continue de gamberger, je cherche un truc un peu baloche style Les Lords pour enfoncer le clou devant les branchagas techno, et c’est comme ça qu’on arrive sur Les Dragons puis A.S Dragon, moins yéyé. Michel aimait vraiment les musiciens, il prenait son rôle de rock star très au sérieux, il était beaucoup plus imprévisible et électrique que bien des rockers en peau de lapin. Le grand jeu c’était l’appel des groupies au mégaphone, trouvé sur un concert. « Ce soir, à l’hôtel Ibis, grande partouzade avec Michel Houellebecq et A.S Dragon, on fait sauter les tabous », tout cela avec l’accent du sud-ouest… Michel adorait cette ambiance, ses chouchous étaient Michael Garçon et Cheraf, l’éclairagiste. A la fin de la tournée Michel et son épouse Marie-Pierre invitent à dîner chez eux Michael et sa femme. Evidemment il n’y a rien à bouffer à part une plaquette de Roquefort Société. Michel lance une vidéo de la tournée. En fait un casting de groupies pour le film érotique que Michel s’apprête à tourner pour Canal +. Au milieu des scènes de cul faites maison apparaîssent des images de courses de cochons en Thaïlande, filmées aussi par Michel quelques mois auparavant. Gênée, Marie-Pierre coupe et dit: « Ah non, ça n’a rien à voir ça ». Michel avait définitivement perdu tout repère à ce moment là ».

L’Allemagne et « petit pain autoroute »

« Courant 2000, la tournée en France se passe bien. Michel se chauffe, en vérité, pour la tournée allemande, son succès là bas, en tant qu’auteur, y est important. Et puis sur place tout se dégrade, les nouvelles sont de plus en plus mauvaises, il s’est lassé ça ne l’amuse plus, l’ambiance devient délétère. Sur l’avant-dernier concert à Berlin, le plus important de la tournée, le groupe part de Munich le matin même, le couple Houellebecq doit les rejoindre en voiture. A 16H, le groupe installe le matériel sur scène. Ils reçoivent un message de Marie-Pierre: « On aura quatre heures de retard, Michel a commencé à boire ». On ne sait pas quoi faire, on pense même à louer un hélicoptère pour aller les chercher. Le soir même, le public attend furax jusqu’à minuit et demi, Michel n’est pas venu et le groupe joue finalement sans lui, en le maudissant. Ce sera le véritable acte de naissance d’AS Dragon, excédés par l’attitude de Michel. Une semaine après, on lit dans Spiegel une interview qu’il leur a accordé le jour du concert, l’article se conclue par « Il est 14H à Munich, Michel et sa femme vont maintenant faire la tournée des clubs échangistes ». A cause de cet article on n’a pas pu invoquer la force majeure auprès des organisateurs et on a perdu 10.000 euros sur cette tournée qui se serait équilibrée sans le coup de Berlin. Le succès n’a pas atténué la radinerie de Michel, ça l’a même plutôt exacerbée, il tape du fric aux musiciens, ça l’énerve qu’on leur donne de l’argent de poche en plus de leur cachet et pas à lui, alors qu’il a tous les points d’artiste sur le disque. En Allemagne, pour l’anecdote, le dernier souvenir écrit que je conserve de Michel, c’est un « Petit pain autoroute 8 francs 20 » annoté au dos d’une facturette. Il gardait toutes les notes de frais, qu’il doublait d’ailleurs, pour se faire aussi rembourser par son éditeur allemand.     

2001 : Epilogue, odyssée de l’espèce

La dernière date de la tournée, ce fut Paris, pour le festival des Inrockuptibles, en première partie du groupe St Germain, techno-lounge à catogan alors à son apogée. Michel, logiquement, ne veut pas que je vienne après son plantage de Berlin. On convient avec les Dragons d’attendre la fin du concert pour remettre les pendules à l’heure. Chez les néo-beaufs dans la salle, l’incompréhension est totale, Michel est magnifique et la justice immanente se chargera des ricaneurs en faisant tomber sur eux une pub de sponsor. Je me pointe dans la loge, même si je me suis juré de rester calme ça vire vite au procès Bokassa. On déballe sec sur toute la rancœur, la façon dont il a planté les musiciens. Michel et sa femme sont à la dérive, un peu pathétiques, il y a vraiment un côté couple Ceaucescu dans leurs derniers moments. J’aimais beaucoup sa femme Marie-Pierre, c’était triste de finir comme ça. Ce soir là, je vois dans son regard quelque chose comme « Toi, je t’aurai ». Effectivement par la suite il tentera de m’attaquer, me plaçant dans la peau de ses personnages fictionnés. C’est un procédé assez dégueulasse auquel il a souvent recours. Des remerciements pour le disque? Non, jamais.   

Présence Humaine, on a finalement vendu 12.000, ce qui serait un très bon score aujourd’hui, mais à l’époque c’était très moyen. En 2000, les gens du disque ne connaissaient pas Houellebecq, et ceux qui n’aimaient pas l’écrivain se vengeaient en le critiquant sur ses talents de chanteur, alors que je m’étais battu pour qu’il ne chante jamais, pour le protéger du ridicule. Bien sûr, la musique existait avant lui, à part Plein Eté qui est une improvisation collective en montagnes russes sur un thème de guitare de Romain, mais rien n’aurait été possible sans ses textes. J’étais décidé à ne faire aucune concession à la mode sans céder au passéisme, y compris pour un morceau synthétique comme Célibataires, où je voulais arriver à faire évoluer les harmonies, sans qu’on s’en rende compte, à l’intérieur d’une structure répétitive et hypnotique, alors que la techno et le trip hop ne bougeaient jamais une fois qu’ils étaient partis sur trois accords; j’avais fait une tentative similaire de canevas vicieux avec une rythmique hip hop sur (come potrei) Scordare, sur mon album The Sssound of Mmmusic.
La grande différence entre mes disques et ceux composés pour d’autres ? C’est le sentiment de liberté. Parfois, pour soi, on se limite, on se restreint, on se censure. Sur un disque comme Triggers d’April March, j’étais ravi de ne pas avoir à me poser des tonnes de mauvaises questions, du coup il est peut être un des plus personnels que j’ai fait. Moi, toute ma vie j’avais rêvé d’exprimer des choses pareilles, des choses aussi puissantes que les poèmes de Houellebecq… Avec le recul, je me rends compte qu’on n’avait aucune référence en concevant le disque. Après la sortie de Présence Humaine, je suis tombé à la radio sur La solitude de Ferré avec Zoo, énorme claque. Il avait fait magnifiquement, trente ans avant nous, ce que j’avais esquissé avec maladresse. Si les arrangements de Ferré restent incomparables, ce qu’on a fait de plus près de Ravel en chanson et en rock, les textes de Michel me paraissent plus forts que ceux de Ferré sur ce disque-là, qui ne sont peut être pas ses meilleurs. Houellebecq, ce qu’il a fait de mieux, pour moi, ce sont ses poèmes. Et ce disque ».

Remerciements à Bertrand Burgalat et Syd Charlus.

En attendant la réédition vinyle (on peut encore prier les dieux Tricatel):

CD : http://shop.tricashop.com/shop/catalog/index.php?manufacturers_id=27
iTunes : http://itunes.apple.com/fr/album/presence-humaine/id252629250



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