Vous êtes fan hardcore de Metallica et trépigniez en attendant la critique de "Through the Never", film consacré au groupe ? Votre attente a été récompensée, car nous y sommes enfin : penchons-nous sur le cadavre encore tiède du groupe san-franciscain et démarrons l'autopsie. Sachez que ce que vous allez lire aura autant d'impact qu'un article sur les meilleures drogues de synthèse qui serait publié dans le Figaro.

Je devais vivre un moment pénible à la fin de mon adolescence, lié à une bien triste discussion familiale. Ce souvenir douloureux me hante depuis sans répit et le simple fait de me remémorer ces instants tragiques me replonge un peu plus au fond du trou. Ma vie est devenue depuis un gros tas de merde.

« Chers parents, j’ai un terrible secret à vous confesser. Il faut que je vous parle, que je me décharge de ce terrible fardeau.

– On sait ce que tu vas nous dire : tu n’es pas comme les autres garçons de ton âge, c’est ça, hein ? Après tous les sacrifices que nous avons faits pour toi… Parle.

– Oh, ne me jugez pas trop durement, je vais crever de honte, je n’ai plus rien à faire en ce monde… Voilà : je crois que je suis fan de metal. Et particulièrement de Metallica.

– Va et ne t’en reviens jamais, petite ordure satanique ! La coupe est pleine ! C’est toute ta famille qui est souillée par ta déviance. »

04.wir.skyrock.netBien sûr, j’ai été déshérité et plus rien ne devait être jamais comme avant. J’ai eu beau dire que je n’avais pas choisi cette voie – c’est elle qui s’était imposée à moi – rien n’y a fait.
Au final, le fait d’apprécier Metallica au-delà de la raison ne m’a pas vraiment aidé dans la vie. C’est un trait de personnalité qui ne permet pas de briller en entretien d’embauche ou en soirée. Les belles femmes n’aiment pas plus le metal que les jeux vidéos ou la Valstar tiède. J’en ai fait l’amère expérience à de nombreuses reprises. De plus, les discussions avec les fêlés qui idolâtrent ce groupe sont sans intérêt et nuisent gravement à l’estime de soi  : « Hey Dude, Kirk is a piece of shit, Dave Mustaine is awesome! Metal up your ass! » Les fans de Metallica sont parmi les plus débiles du monde : ils ont pleuré toutes les larmes de leur corps lorsque leurs chéris se sont coupé les tifs en 1996 – la belle affaire – et la plupart d’entre eux ne se rend au concert que pour détecter les pains du batteur ou du guitariste soliste et en faire ensuite des gorges chaudes sur Internet. Déprimant.

Je préfère ne pas évoquer le temps perdu à chercher des inédits, des vidéos rares du groupe ou des informations fraîches sur les forums consacrés aux quatre graisseux californiens. Vingt-trois ans après être rentré dans la secte des adorateurs de Metallica, mon manque de clairvoyance m’empêche toujours de les mépriser totalement alors qu’ils enchaînent les choix de carrière hasardeux depuis… bah, pas loin de vingt-trois ans finalement. Je vais les voir systématiquement lorsqu’ils passent en concert en France : je me laisse pousser préalablement un peu de duvet sur la lèvre supérieure et ne me lave plus la bite pendant dix jours. Puis j’enfile ma veste en jean à patchs à laquelle j’ai consciencieusement arrachée les manches. Je redeviens un hardos le temps d’une soirée ; ce qui est a priori supposé faire de moi un beauf participe à mon snobisme, que je cultive en toute connaissance de cause.

Que peut-on encore attendre d’un groupe dont le dernier bon disque est paru à une époque où l’on regardait Salut les Musclés pour mater les nichons de Mademoiselle Hilguegue ?

Depuis une quinzaine d’années, Metallica est en roue libre : le groupe capitalise sur ses chefs-d’œuvre passés et son excellente réputation scénique. Cette dernière est loin d’être usurpée : ces quatre mecs sont capables de retourner un stade, sans musiciens additionnels ni bandes préenregistrées – exception faite de The Ecstasy of Gold qui, piquée à Morricone, ouvre leurs concerts et l’introduction de Battery à la guitare sèche.
Je crois que ce succès tient essentiellement aux qualités de jeu de guitare de James Hetfield, qui ont défini le metal. Ses riffs sont reconnaissables parmi mille autres, il vise et joue juste. Hetfield épaule Kirk Hammett quand ses compétences techniques et son inventivité plus limitées l’empêchent de réaliser un bon solo – The Outlaw Torn, My Friend of Misery, Master of Puppets parmi d’autres exemples… La créativité en berne du groupe est probablement liée au fait qu’Hetfield s’est retrouvé dans une impasse au cours des dernières années. Il buvait plus que de raison et devait composer, au sens propre, avec son insupportable batteur Lars Ulrich. Devenu multimillionnaire et père de famille, la muse qui animait sa créativité semble l’avoir plaqué et les autres musiciens peinent à relever le niveau. Hetfield est aujourd’hui straight-edge, ce qui est probablement le choix de vie le plus chiant du monde : rappelons qu’il s’était lancé dans la musique du diable en réaction à ses chrétiens scientistes de parents.

Selon les estimations, Metallica aurait vendu entre 100 et 200 millions d’albums en trente ans : ces statistiques fascinent.

metallicathroughtheneverlargeposterComme une musique aussi dure et violente a-t-elle pu séduire autant de gens ? A titre de comparaison, Slayer n’aurait vendu QUE 20 millions de disques. Il est probable que les positions plus extrêmes et la haine brute et irrationnelle exprimée par Slayer ont rendu son œuvre plus segmentante : Slayer veut buter ta sœur et baiser ta mère, c’est comme ça et il n’y a rien à expliquer. Metallica n’est pas aussi extrême. Mais tout de même, un tel succès mondial est difficile à expliquer. Tentons quelques pistes : la qualité intrinsèque des six premiers albums – oui, je mets le décrié « Load » dans la liste de leurs réussites -, et l’évolution progressive de leur musique a permis de séduire une plus large audience. Les power ballads notamment. En outre, tout le monde peut se reconnaître dans les paroles qui évoquent l’abandon, la perte et la dépendance. Elles sont plus fédératrices que la nécrophilie et Josef Mengele, deux thèmes chers aux joyeux drilles de Slayer. Il est évident que les influences européennes de Metallica et le multiculturalisme de ses membres auront aussi permis de drainer un public plus large.

La sortie d’un film consacré à Metallica sur scène avait tout pour susciter mon intérêt, surtout qu’ils avaient déjà tâté avec succès au long-métrage : je parle là de l’immanquable documentaire Some Kind of Monster, qui captait le groupe au cours de l’enregistrement du pénible « St. Anger ». Ce film est grandiose, et bénis soient les managers Cliff Burnstein et Peter Mensch d’avoir suggéré au groupe que la publication de ces bandes serait une excellente idée. Pour tout esprit rationnel, elles n’auraient jamais dû sortir de la confidentialité ! Imaginez qu’on foute une webcam dans vos gogues et que les images soient retransmises à toutes vos connaissances : et bien disons que Some Kind of Monster est dans cette veine, dévoilant leur intimité comme jamais. C’est le naufrage en direct d’un groupe qui n’a plus rien à dire et à se dire. Ce film enfonce tout ce que vous avez pu voir sur le rock avant, Spinal Tap inclus, et dépasse largement le cadre de la musique. Il y est question d’égos, du temps qui passe, de l’inspiration tarie, de jalousie, d’incapacité à exprimer ses sentiments à ses proches, d’alcoolisme. C’est un film sur l’habitude et l’usure, et il est impossible de dresser les séquences les plus marquantes, toutes sont mémorables. Les problèmes de grands gamins gâtés se succèdent au fil des scènes : on rigole et on est plus consterné que touché. Hetfield y apparaît comme un control freak totalement largué et Ulrich comme une diva arrogante : leurs deux personnalités écrasent le guitariste Kirk Hammett, le tout sous l’œil patelin d’un charlatan grassement payé pour les aider à surmonter leurs problèmes.

Et donc aujourd’hui, que vaut Through the Never ? Et bien disons que le film est fort bien résumé par les trois mots de son titre. Qu’y-a-t-il au travers du néant ? Pas grand-chose… L’idée de départ consistant à filmer Metallica en public était bonne, à défaut d’être originale (on ne compte plus les concerts du groupe disponibles sur le marché). La nouveauté consiste en l’insertion d’une trame narrative en filigrane du déroulement du concert de Metallica. Le scénario tient sur un buvard de LSD : Trip – on félicite les auteurs pour leur finesse – est un roadie mutique et souffreteux qui se voit confier une mission pendant la performance de Metallica. Il doit aller récupérer un MacGuffin dans la ville, devenue le théâtre d’émeutes. Rassurez-vous : Hitchcock peut dormir peinard, il est peu probable que les auteurs du film – dont font partie les membres du groupe – soient récompensés du trophée du meilleur scénario lors des prochains Oscars. Je ne comprends pas vraiment qu’elle était leur intention, sachant qu’ils sont suffisamment bons musiciens pour ne s’en tenir qu’au live. Tant qu’à parler de bêtes de scène, imagine-t-on les Who se compromettre avec une histoire d’adolescent aveugle, sourd, muet et champion de flipper pour en faire un album et un film ?

Deux séquences intrigantes

La première. Lorsque Trip – je ne me fais décidément pas à ce surnom ridicule – pénètre dans la salle de concert et croise successivement chacun des quatre membres de Metallica. Ces rencontres sont furtives, durant tout au plus deux secondes. Elles ont pour objectif de donner au spectateur une idée du trait de personnalité dominant de chaque membre du groupe. Résumons : James Hetfield est un fan de mécanique lobotomisé, Lars Ulrich une pétasse condescendante (voir plus haut), Kirk Hammett un type à la coule et Robert Trujillo un primate obsédé par le fait de jouer de la basse vite et fort. Notons que j’ai de l’estime pour Trujillo : un mec qui fait baptiser son fils en Aveyron cache forcément une fêlure et cela me le rend attachant. Qu’en déduire ? Et bien simplement que les gus de Metallica sont devenus des personnages de cartoon. Ils projettent dans ce film l’image correspondant aux attentes du public et rien ne doit dévier de cette ligne. Tout comme Adolf Hitler s’efforçait de paraître autoritaire en public et Kim Jong-un sexy.
La seconde scène, qui m’a laissé perplexe, est celle de James Hetfield engueulant un roadie après avoir balancé au sol l’un de ses micros défectueux. Sachant que la production disposait de 60 heures de rush, on peut se demander pour quelle raison cette scène est insérée dans le montage final alors qu’elle n’apporte rien. La raison en est simple : James Hetfield souhaite apparaître comme le seul patron du groupe après la mutinerie Some Kind of Monster. On ne voit que lui à l’écran et il se paye le luxe d’engueuler ses employés : classe. Je me demande comment quelqu’un d’aussi mégalo que Lars Ulrich a pu accepter un truc pareil. J’imagine qu’il a maintenant intégré que les fans ne peuvent plus le blairer depuis sa croisade contre Napster, lui qui avait contribué à la fermeture de ce service de peer-to-peer. Si encore il avait claqué les thunes ainsi économisées dans des cours de batterie… Son niveau déclinant n’a pas dû l’aider dans sa lutte pour la prise de pouvoir au sein du groupe et Through the Never remet donc les pendules à l’heure : Hetfield est le mâle alpha de la meute.

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L’ensemble de Through the Never est convenu et manque de dérision.

Les gars de Metallica ont mis le paquet sur la scénographie et les effets pyrotechniques mais je ne suis pas très bon public pour ce genre de choses. Des tombes apparaissent sur scène pendant Master of Puppets, les enceintes ont des formes de cercueil et Doris – la gigantesque statue qui orne la pochette d’« And Justice for All » – se fracasse au sol de manière spectaculaire après son érection : c’est moche en plus d’être superfétatoire. Tant qu’à faire dans le grand-guignol, l’apparition de vrais zombies aurait mis plus de sel dans ce décor post-apocalyptique. Ou une armée de clones de Dave Mustaine venue venger le guitariste saqué en 1983.
Le moment le plus intéressant du film reste probablement le générique de fin : public et effets spéciaux ont disparu et le groupe joue l’instrumental Orion qui est l’un de leurs meilleurs morceaux – le bourdon sur The Number Song de DJ Shadow, c’est un sample d’Orion. On retrouve alors quatre mecs écrasant toute concurrence en train de jouer, simplement. C’est ce qu’aurait dû rester Metallica. Malheureusement, le groupe a les yeux plus gros que le ventre et souhaite conquérir un nouveau public : celui des enfants des fans, voire des petits-enfants. J’en veux pour preuve ce Through the Never dont le scénario famélique est manifestement destiné au pré-ados. Cette démarche marketing d’élargissement de la cible est dans la lignée du jeu vidéo Guitar Hero qui leur était intégralement dédié.

J’ai beau cracher dans la soupe, je ne suis pas dupe : je serai dans les premiers à claquer mon billet de cent pour retourner les voir au Stade de France lors de leur prochaine tournée européenne. A cent mètres de la scène si tout va bien. Et je vous invite à faire de même, vous risquez fort d’aimer voir ces personnages de cartoon. Du metal plein ton cul, ouais !

Metallica – Through the Never, en salle le 9 octobre 2013.

13 commentaires

    1. PeiKaji, je viens de me rendre compte d’un oubli en te lisant : Hetfield interdit la vente de bière pendant les concerts depuis qu’il est abstinent. C’est impardonnable !

    1. Dave Mustain est born again, ce qui est une énorme blague au regard de sa vie passée. C’est comme si Lemmy Kilmister allait faire du porte-à-porte pour les Témoins de Jéhovah. Tout ce beau petit monde serait devenu moins chiant si les cirrhoses ou overdoses avaient fait leur œuvre…

  1. Je crois que ce dernier commentaire achève de poser la couronne méritoire sur ta tête.
    Rien à redire.
    Si : parler des membres de Metallica comme de super musiciens (je n’ai pas retrouvé tes propres mots mais c’était l’idée) me défrise un peu. Lars est une bille qui fait honte à la profession de batteur. Il fallait le (re)dire.

    Sinon : Miam.

    1. Tu as totalement raison sur le jeu de batterie de Lars. Tiens, petit cadeau : http://www.youtube.com/watch?v=SCJajVY_ucI
      Cette vidéo aurait sa place dans Some Kind of Monster 2.
      Je trouve que les quatre ensemble (et cela valait aussi lorsque Newsted était bassiste) arrivent à créer un truc remarquable en dépit du jeu défaillant de tel (Lars) ou tel (Kirk).

  2. Je vais défendre Lars. L’homme n’a plus 20 ans et a crée de telles chansons.. Le Lars bashing est tellement à la mode et on le compare avec Lombardo ou Vinnie Paul qui eux cartonnent encore et blablabla.. Des milliers de commentaires youtube pour se foutre de la diva de Metallica… Arrêtons! Ce mec ne mérite pas cela. En 2013 Metallica envoie encore meme si il simplifies son jeu ou que son kit est plus petit

    1. Peikaji, tu as raison pour le coup. Je pense que si j’étais Lars Ulrich, j’aurais préféré prendre de la coke et baiser des top models (ce qu’il a fait) plutôt que d’améliorer mon jeu de batterie en prenant des cours. Ulrich a un jeu très reconnaissable et vraiment original sur les premiers albums mais il est un peu en roue libre depuis. Plus personne ne peut le blairer à cause de ce qu’il incarne.
      J’ai une question à te poser : tu suis Gonzaï pour les articles metal ?

  3. Pas que mais j’aime bien Gonzai quand ils viennent sur des terrains peu « gonzaiens » metal ou rock mainstream, une vision intéressante, énervante, drôle… Je suis fier d’y avoir écrit un article formidable sur les guns!

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