« Renoma : à mon sens l’une des meilleures boutiques de vêtements du monde. Un endroit formidable, des gens très aimables… » Ainsi parlait Eric Clapton dans les pages du magazine Rock & Folk en 1967. Et il n’était pas le seul happy few dans les 60-70s à se parer des célèbres costards de la griffe française qui étonnait même les anglais : Bob Dylan s’offrit deux costumes pour son vingt-cinquième anniversaire et James Brown portait un Renoma lors de ses mémorables concerts joués à l’Olympia en mars 1971. On pourrait également évoquer l’essayage du costume pourpre de Jean Rochefort dans Un éléphant ça trompe énormément ou le blazer sombre de Serge Gainsbourg dans la comédie musicale télévisée Anna… la liste est interminable. Comme la carrière de la maison de mode qui fêtera ses 60 ans en octobre 2023. Interview de son créateur, façon fer à repasser.

En 2023, Maurice Renoma, co-fondateur de la Maison avec son frère Michel, est toujours dans la place. Fringant, l’esprit alerte et l’œil malicieux, il reçoit dans ses studios en forme de cabinet de curiosités, situé à deux pas de sa mythique boutique encore en activité, tout comme la marque dont il est resté un heureux propriétaire, très présente aujourd’hui dans les pays asiatiques. Rencontre avec un créateur indépendant multi-facettes qui un jour eut cette idée folle de cintrer exagérément les vestes de costumes.

Maurice et Michel Renoma

Vous êtes né Maurice Cressy le 23 octobre 1940 à Paris, issu d’une famille juive polonaise. Même si vous venez au monde cinq ans avant les baby-boomers – ce qui vous a peut-être aidé d’ailleurs à avoir une longueur d’avance sur vos congénères, vous faites partie de cette génération pour qui tout semble possible à la fin des fifties ?

Maurice Renoma Oui, mais nous revenons de loin ! Il faut quand même se souvenir qu’en 1955, les toilettes se trouvent encore majoritairement sur le palier et que les Français prennent en moyenne un bain par semaine. Personne ne voyage. À 16 ans, je n’avais pas encore vu la mer, la Côte d’Azur constituant la destination la plus lointaine que nous pouvions espérer rejoindre. J’ai grandi dans les chiffons et les tissus, mon père était tailleur et gérait un atelier de confection situé rue du Temple dans le IIIe arrondissement. J’étais un adolescent très connu et je disposais d’un bon réseau car j’étais considéré comme le meilleur patineur de Paris. Les patinoires se remplissaient les jeudis, samedis et dimanches, cela crée des liens. C’était le seul sport que nous pouvions pratiquer facilement.

Maurice Renoma a volant de sa TR3 devant la boutique familiale, 1961

 

Vous étiez Beatles ou Rolling Stones ?

Beatles ! Ils sonnaient bien et dégageaient un certain chic. Je trouvais Mick Jagger trop bruyant. J’ai participé à une boum réunissant une trentaine de personnes dans un hôtel particulier du XVIe arrondissement. Les hôtes, de riches fils de famille de la bande du Drugstore, avaient engagé pour un concert privé une formation anglaise très peu connue : les Rolling Stones ! Qu’est-ce qu’ils nous ont cassé les oreilles ! La fausse rivalité entretenue par les deux groupes m’a toujours amusé. En revanche, j’apprécie beaucoup les Kinks, leur musique est indémodable et je trouve injuste qu’ils ne soient pas considérés au même niveau que le binôme Beatles/Rolling Stones.

Pourquoi et comment avez-vous lancé votre marque ?

Dès l’âge de 16 ans, j’ai voulu gagner de l’argent pour être libre, pour ne rien avoir à demander à mes parents. De toutes les manières, il n’y avait qu’une chance sur dix qu’ils disent oui, je ne voulais même pas tenter de réclamer quoi que ce soit. J’effectuais du porte-à-porte pour fourguer les costumes de mon père que je trimballais sur mon dos. Il devait me verser un pourcentage dont je n’ai jamais vu la couleur… Et puis, je voulais réussir, transformer les choses, avec la volonté d’être différent, connu, reconnu. J’avais certainement un ego démesuré et une certaine folie car il n’y a pas de réussite sans prise de risques. En 1960, mon frère Michel et moi décidons de nous lancer dans un local de 12 m2 mitoyen à la boutique de notre père, que nous avons appelé établissements Renoma, du nom de notre marque.

« En 1960, les hommes français étaient certainement les plus mal habillés au monde. »

Quelles étaient les caractéristiques et les influences de vos premiers modèles ?

En 1960, les hommes français étaient certainement les plus mal habillés au monde. Nous en étions encore à la baguette et au béret. Nous avons volontairement oublié la technique, les épaulettes, les doublures, etc., nous avons tout remis à plat et exagéré les formes et les couleurs : vestes très cintrées, pantalons pattes d’éph… Nous avons américanisé la ligne du costume anglais, utilisé du tissu d’ameublement et des draps issus de surplus militaire pour confectionner des chemises, osé le mohair, le velours vert ou grenat… Mon père me disait : « Regarde bien, avec cette technique, la boutonnière tiendra cinquante ans. » Mais moi, je n’avais pas besoin qu’elle dure des siècles, je souhaitais juste qu’elle soit d’aujourd’hui, dans l’air du temps. Nous avons initié une mode franco-française et ouvert la première boutique pour les jeunes de 18 ans. Cela n’existait tout simplement pas avant Renoma.

Clementi à la boutique Renoma

 

Comment expliquez-vous la rapidité de votre notoriété et de votre succès commercial ?

Nous étions sur tous les fronts et dans tous les endroits où il fallait être. Douze Triumph 3 sillonnaient Paris, identiques à la mienne, que je possède toujours en Normandie. Il est vrai que je garde tout, sauf les femmes, qui me quittent généralement. Bref, j’avais proposé le marché suivant à mes potes : « Si vous m’amenez dix clients qui achètent un costard, je vous en offre un. » Cela a fait boule de neige. C’était vraiment du genre : machin m’a dit que truc lui avait confié que bidule… Nous n’avions pas besoin de Facebook. Nous avons également habillé les différents chefs de bande de la capitale, qui avaient une grande influence à l’époque : Drugstore, République dont je faisais initialement partie, La Muette, Saint-Lazare… Sans oublier le Golf-Drouot, dont le public était constitué pour moitié de fils à papa fortunés et pour l’autre moitié de garçons coiffeurs aux cheveux gominés, qui disposaient également de revenus conséquents puisqu’ils travaillaient. Ce n’était pas le cas de tout le monde. Je me souviens de Johnny Hallyday, debout devant le Golf, qui quémandait quelques pièces pour s’acquitter du droit d’entrée. Je l’ai entendu chanter à cette époque et franchement ce n’était pas fameux, il était encore en formation, il devait avoir 16-18 ans.

« Pour moi la vedette, ça a toujours été le vêtement. »

Le 23 octobre 1963, vous inaugurez votre nouvelle boutique située 129 bis, rue de la Pompe, surnommée White House, dont les portes sont toujours ouvertes aujourd’hui. En trois mois, suite au lancement de la ligne Renoma Paris, les beautiful people s’y succèdent : Jacques Dutronc, Serge Gainsbourg, Andy Warhol, Yves Saint Laurent, Pablo Picasso… Quels rapports entretenez-vous avec les célébrités ?          

Bons, généralement. Le problème avec les stars, c’est qu’il faut adopter leur rythme, boire quand ils boivent, dormir quand ils dorment, etc. En ce qui me concerne, la vedette, cela a toujours été le vêtement. Un jour, un client m’a adressé un magnifique compliment : « Quand je porte ma veste Renoma, je n’ai plus de complexes, j’ai envie de refaire le monde. » J’aime quand la tenue change la personne qui la porte. Je suis fier de créer des looks créatifs, inventifs avec des matières et des couleurs inédites. Je me rendais souvent dans les laboratoires afin de tester des mélanges improbables comme la laine mixée avec de la soie. Nous avons été les premiers à fabriquer des vêtements de ski en microfibre et des chaussures de tennis avec des scratchs en velcro. Elles avaient été conçues et brevetées en collaboration avec des podologues et disposaient d’une protection pour le pouce du pied. Mais notre partenaire Aigle a rencontré des difficultés financières et la commercialisation n’a pu s’effectuer dans de bonnes conditions. Elles sont aujourd’hui quasiment introuvables et collector. Nous fonctionnions avec environ 5 000 clients, ce qui n’est pas énorme, mais la plupart avait un rayonnement mondial et un fort pouvoir de prescription. Mon frère Michel s’occupait essentiellement de la vente mais pas seulement. En 1979, par exemple, il créa le blouson multi-poches, dit « reporter ». Ce fut un énorme succès international, nous en avons écoulé plus de 150 000 exemplaires dans notre seule boutique. Qu’ils soient connus ou pas, les gens venaient essentiellement chez nous pour avoir un style… et du style !

Warhol en tenue reporter by Renoma


Quelles étaient vos relations avec Serge Gainsbourg, qui personnifiait votre marque pour le marché japonais et qui a largement contribué à populariser vos smokings, vos costumes rayures banquiers et vos chemises militaires ?

Nous sommes devenus amis. Je me rappelle du jour où il m’a annoncé qu’il désirait enregistrer un album de reggae. Je lui avais alors expliqué que cette musique était devenue totalement ringarde et qu’il valait mieux qu’il réactualise le cha-cha-cha par exemple. Vous connaissez la suite, heureusement qu’il ne m’a pas écouté ! Nous partions chaque année au Japon pour assurer la promotion et faire la fête. Dans ce domaine, il était parfois difficile de le suivre jusqu’au bout. Là-bas, je lui ai sauvé la vie au moins une fois en faisant rapidement appeler un médecin local qui a réussi à le sortir d’un profond coma éthylique. Je lui ai également présenté Bambou lors d’une soirée à L’Élysée Matignon. La séparation d’avec Jane Birkin a été une période horrible. J’ai cessé de le voir moins d’un an avant son décès, quasiment plus personne ne le visitait d’ailleurs. Il était littéralement tombé dans la boisson et adoptait un comportement suicidaire. Il est mort seul, c’est terrible. J’étais également très proche de Nino Ferrer qui m’a fait l’honneur de citer Renoma dans la chanson « La Bande à Ferrer » : « Pour faire partie de la bande à Ferrer (…) il faut s’habiller chez Mayfair ou bien chez Renoma… » J’appréciais également beaucoup Christophe que nous avons habillé durant dix ans et qui dévalisait les rayons de la boutique à chacune de ses visites.

De quoi êtes-vous le plus fier après soixante ans de carrière ?

Je suis ravi de pouvoir continuer aujourd’hui à créer de manière indépendante, quel que soit le support. Je suis également très flatté quand Yoko Ono présente en personne, au Victoria & Albert Museum de Londres, le costume Renoma que portait John Lennon dans le clip de « Imagine ». Il fait désormais partie de la collection permanente du musée. Je retire également une immense fierté d’avoir ouvert durant deux ans au milieu des sixties, en association avec la famille Guinness, une boutique Renoma à Carnaby Street… Un petit Français qui habille les Anglais au cœur du Swinging London, ce n’est pas trop mal, non ?

Le 23 octobre 2023 la Maison Renoma fête ses 60 ans d’existence. Toutes les informations sur le site officiel.

www.60yearsrenoma.com

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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