Le rock’n’roll, personne n’en a rien foutre. Personne n’a jamais trop pris ça au sérieux. Ils sont un peu ridicules non ces mecs qu’on dirait des pds non ? Et puis le rock, c’est ringard.
Personne n’en a rien à foutre. Encore moins maintenant où « rock » est écrit en strass sur n’importe quel cul, où toutes les vitrines quoi qu’elles ventent abritent une guitare électrique, où n’importe qui arrive à être content de jouer à Guitar Hero en mode expert, où un type aimant le rock : « Euh Moi ? J’ aime le rock. Mais j’écoute de tout tu vois » s’étonne que Jim Morrisson n’ait pas écrit Who Do You Love ?, où personne ne danse sur le jungle beat de Bo, « parce que ça ne bouge pas, tu veux pas mettre un truc récent ? »…
Le rock’n’roll personne n’en a rien à foutre. Et tant mieux. Allez chercher votre Carte Bleue Rolling Stones à la Société Générale, achetez les Artic Monkeys. Plaignez-vous que Paris s’aseptise mais n’allez pas dans les caves où la sueur coule, où l’interdiction de fumer n’existe pas, où tout est possible l’espace d’un instant. Vous avez raison, ces caves n’existent pas. S’écorcher contre le plafond, renaître et mourir à chaque morceau, ça n’existe plus. Continuez à essayer de masquer votre trou du cul avec un grain de beauté et parlez, parlez, parlez.
Dans Violent Days, le film poignant de Lucile Chauffour, un pauv’ mek, un rocker français bien paumé explique larme à l’œil pourquoi il aime tant ce truc, le rock’n’roll. Il a damné sa vie pour ce souffle qui l’a effleuré quand il avait 12 ou 13 ans. Il est hanté par la Classe et bosse à l’usine. Il est hanté par le rock’n’roll et vit dans un pavillon de banlieue. Et il dit ça : « C’est tellement beau ».
Pendant ce temps-là, Jon Spencer et Matt Verta-Ray, du Heavy Trash, sortent les poubelles de la musique américaine. En raclant le fond, Jon a trouvé un peigne en ivoire gravé A.Vega, une dent en or ayant appartenu à RL Burnside, un pot de Georgia Brown… Matt lui, a trouvé un habit de lumière, un ensemble de banderilles et une muleta. Midnight Soul Serenade. Tellement beau.
Quand il prend une guitare, Matt Verta-Ray ne joue pas de riff. Il tresse des licks autour de la grille, esquive le balourd et vous plante ses solos dans l’échine, avec le sang-froid de l’élégance. Tout comme Jon Spencer a tiré tout ce qu’il pouvait de Judah Bauer et de Russell Simins avec le Blues Explosion, Matt Verta-Ray a épuisé le filon Ron Ward avec Speedball baby. Pour s’en convaincre il suffit de jeter une oreille à leurs projets respectifs : 20 Miles, Men without Pants ou Five Dollar Priest, qui sont terriblement has-been. La tyrannie du cool les a jetés. Spencer et Verta-Ray eux , sont toujours les plus cools. Ils ne sont pas à bout de souffle. En pleine possession de leurs moyens, avec une maîtrise parfaite de leur instruments, de leur voix, sans plus grand chose à prouver, ils jouent leur musique à qui veut l’entendre. Belle, tellement belle.
Vous êtes l’un des meileurs guitaristes de rock n’ roll de notre époque. Nous aimerions que vous nous parliez de votre aproche de la guitare électrique.
Des fois tu joues pour la forme, histoire de faire le boulot et de jouer la chanson correctement. Mais ce que tu cherches et espères vraiment c’est ce moment où tu peux réagir, comme un jazzmen. Quand tu entres en interaction avec ce que tu joues, quand la musique réponds à ce que tu fais… J’essaie d’être dans cette zone non verbale. Bien sur, il y a toujours plein de paramètres qui entrent en jeu, ton son, tous les trucs techniques, ton ampli, tes pédales… Mais dans l’idéal tu veux dépasser la guitare, aller au-delà, te retrouver dans les étoiles. Tu veux être dans la musique, en faire partie, être la musique. J’espère que je m’en rapproche.
Vous avez un vrai style ‘slinky’. Vous jouez souvent légèrement à côté du beat, et c’est ce qui fait le groove.
J’ai pas inventé ce truc. Quand tu écoutes Frank Sinatra chanter, ou Lester Young jouer du saxophone, ils savent où est le beat mais ils jouent derrière lui. Quand tu le traites comme une chose abstraite, alors tu peux vraiment jouer de la musique. Il faut savoir où le beat se trouve, passer par lui, s’en éloigner, tourner autour (« slink around »).
Mais je crois que pour la guitare électrique ça fonctionne comme une tradition orale. L’information se transmet de disque en disque, de génération en génération. Il y a eu plein de guitaristes très cools avant moi : Link Wray, Chuck Berry, Buddy Holy et Cliff Gallup… Et avant eux, dans les années 30, la guitare électrique était presque inconnue. Le câble était soudé à la guitare comme à l’ampli ; les mecs étaient obligés de resté juste à côté. Tous ces gens étaient les principaux inventeurs. C’est en l’électrisant qu’ils ont posé les bases pour jouer de la guitare électrique qui alors est devenue autre chose qu’une simple guitare acoustique amplifiée.
Cette manière de jouer est celle du rock’ n roll, comme les Stones l’ont fait ou d’autres. Ce soir vous allez jouer avec T-Model Ford, qui est complètement out-beat…
Je crois qu’il y a toujours eu ça dans la musique folk, au sens classique du mot folk. Ca n’a rien avoir avec le fait de jouer avec des pistes sur un ordinateur. Les producteurs peuvent maintenant tout régulariser en un simple click, mais ces nouveaux moyens de production ne sont pas d’une grande aide pour jouer le rock’n’roll.
Quel a été votre premier choc musical ?
Mon premier disque était Snoopy vs The Red Bang, des Royal Guardsmen ou des Count Five je ne sais plus; enfin l’un de ces groupes 60’s. Ma baby-sitter était une hippie et elle amenait ses disques quand elle nous gardait mon frère et moi, pour les écouter très fort sur la sono de mes parents.
Le premier choc… mes parents avaient un disque de musique espagnole ; de la musique de corrida : avec des trompettes, des cors, des guitares…Je trouvais ça tellement cool que je voulais être torero. Mon père m’a alors dit que ce n’était pas une bonne idée de carrière. Je passais des heures à regarder la pochette avec cette photo noire et blanc d’un torero. Il fallait absolument que j’entre dans ce disque. Comment je pouvais en faire partie ? C’était le premier choc. Ces mélodies du sud de l’Espagne ont influencé le jazz par la musique gitane, Django Reinhardt, les minor keys… Pour moi ce n’est pas si loin de la musique surf, ou du rock’n’roll quand il utilise les minor keys. Ensuite j’ai découvert Buddy Holly, je n’en croyais pas mes oreilles… Ma mère avait un 78t Sun de Johnny Cash : I walk the line et Get Rhythm. C’est une super chanson, le solo me donnait la chair de poule. J’ai cherché pendant des années à sonner aussi cool que ça, à retrouver cette impression de mon enfance.
Et vous l’avez trouvé ?
Des fois. Des fois un truc vraiment beau se passe. Malheureusement tu ne peux pas retrouver cette ‘tabula rasa’, cette innocence que tu as quand une chose te frappe pour la première fois. Tu ne peux pas vraiment y revenir. C’est triste mais c’est vrai.
Quand vous jouiez avec Speedball Baby dans les années 90, ne vous êtes vous pas senti vraiment seul à jouer cette musique, à jouer du rock n’ roll ?
Absolument. Personne ne nous aimait. Quand on a fondé Speedball Baby, c’était de la confrontation. On crachait dans l’œil des valeurs établies. On a essayé de faire un truc définitivement irrecevable à part pour une espèce de société secrète, sans qu’on sache qui étaient les gens de cette société secrète ni où les trouver. Mais on savait qu’on finirait par entrer en contact avec tous ces gens cools.
Avec l’âge je suis devenu moins élitiste. J’essaie de ne pas mépriser les gens pour leurs opinions ou leurs goûts. Les goûts sont naturels, c’est vraiment pas de leur faute si les gens aiment ce qu’ils aiment. A l’époque on était méprisant envers tout ce qui sortait de nos trucs : Burroughs, Kerouac, avec tous les gens qui ne partageaient pas nos références. Je crois que c’est important d’être capable de se voir avec un peu d’humour, ce dont on était incapables à l’époque. On voulait juste être les plus cools.
Vous avez porté le flambeau, vous vous êtes battu pour cette musique, et maintenant des jeunes comme nous, qui vous écoutons, nous partageons les mêmes références…
Vous êtes entrés dans le club secret… L’idée répandue sur les artistes est qu’ils font un truc avant tout pour eux-mêmes sans prêter la moindre importance aux regards des autres. Mais la plupart veulent avoir un retour, savoir ce qu’on pense d’eux. Ils veulent que les autres réagissent. Je crois que les gens qui disent qu’ils n’ont strictement rien à foutre de ce que les autres peuvent dire ne sont pas très honnêtes avec eux-mêmes. Bukowski disait qu’il n’avait rien à foutre de personne. Il a eu une vie très extrême et très seule, mais comme tout le monde il voulait être aimé, avoir une belle femme, qui ne soit pas dégueulasse sans coupe de cheveux et avec de mauvaises dents. Mener une vie un peu plus confortable, moins de privations.
Bukowski est devenu culte maintenant. Il a fait son truc dans son coin comme un sauvage, sans que ça marche à cause de l’époque ou de je ne sais quoi, et maintenant il est culte.
Oui. C’est un peu comme tous ces gens qui disent préférer écouter Birthday Party plutôt que Nick Cave & les Bad Seeds, que c’est ça qu’il faut écouter etc… A l’époque, ces gens-là n’écoutaient pas Birthday Party… Quelque part, ça peut se comprendre de vouloir aller aux racines, à la source de ce qui a fait que les gens sont ce qu’ils sont. Ils se disent que quelque chose de plus occulte est quelque part plus valable, ils préfèrent les visions plus obscures… Je crois qu’à part une poignée de chansons de Birthday Party, je préfère les Bad Seeds, l’album From her to Eternity, la chanson Watching Alice…
C’est une musique adulte, alors que Birhday Party était bruyant, plein de colère adolescente.
C’est vrai. Tu peux même dire « colère d’adolescent junky ».
Photos: Cyprien Lapalus