C’était parti pour être un simple acte de résistance à l’échelle locale, c’est rapidement devenu une charge qui s’est propagé sur la toile. Depuis dix jours, « l’affaire Guetta » (comme on a pris coutume de la nommer un peu à tort) cristallise à elle seule toutes les passions, controverses et frustrations liées à Marseille en tant que Capitale 2013 de la Culture, mais aussi en tant qu’organe sujet à administrer son territoire avec bon sens.

A moins d’avoir séjourné ces deux dernières semaines sur Mars, vous avez forcément entendu parler de cette histoire de subvention allouée par la mairie de Marseille pour un concert de David Guetta. Parce qu’il est important de rendre un peu plus clair le déroulé de cette affaire, mais aussi ses enjeux, un bref rappel des faits s’impose.

Le 10 décembre dernier, est attribué par en Conseil municipal une enveloppe de 400 000 euros à un important producteur local (Adam Concerts) pour la tenue prochaine d’un concert de David Guetta et Mika, dans le cadre (verdoyant) du Parc Borély et celui (officiel) de Marseille Provence 2013. Sur le coup, l’information ne filtre pas publiquement. Fin janvier, un groupe se constitue pourtant sur un réseau social pour témoigner de son mécontentement (doux euphémisme). Il est piloté par Lionel Corsini, pilier de la scène électronique à Marseille, mais avant tout citoyen soucieux de défendre l’intérêt collectif (il n’en est pas à son premier coup de gueule). La colère commence à gronder, ne lui manque désormais plus qu’un détonateur : le site d’information local Marsactu relaie l’information, et publie le 7 février la convention de mise à disposition (gratuite) du parc municipal susmentionné, convention qui officialise la rencontre entre les deniers publics et… une production privée. Très vite, le papier circule, les réseaux sociaux fonctionnent à plein régime, et le groupe « Commando anti-23 juin » (tel est son nom) voit son nombre de sympathisants exploser en quelques heures (27 000 à ce jour).

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Dès l’origine, les questions soulevées sont multiples.

La première d’entre elles reste celle-ci : pourquoi attribuer autant d’argent public à un spectacle relevant du domaine privé ? Viennent ensuite, et pas forcément dans le bon ordre, les autres : comment expliquer dans ce contexte le prix si élevé des places (cinquante euros en moyenne) qui ne profiteront pas aux classes les plus populaires ? Pourquoi ne pas utiliser cet argent au profit des associations, salles de spectacles ou artistes participant quotidiennement de la création culturelle à Marseille et pouvant contribuer à son rayonnement ? Comment faire fi des potentielles manœuvres politiques opérées à l’aune des élections municipales de 2014 ? Pourquoi concéder le Parc Borély (municipal) à un tel événement, alors qu’il a jadis été refusé à d’autres manifestations de moindre envergure et relevant également du domaine des musiques électroniques et/ou amplifiées ? Doit-on subventionner un concert de David Guetta et Mika ? Bien.
Comme le précise d’emblée le « Commando anti-23 juin », il ne s’agit pas de stigmatiser la venue de David Guetta, mais bien de refuser l’attribution d’une telle enveloppe avec l’argent du contribuable, qui plus est dans un contexte de crise qui touche tout un chacun (ou presque…), et au moment où les forces vives de la culture (en général) et des musiques actuelles (en particulier) connaissent à Marseille des difficultés certaines. Et puis il y a autre chose. Le concert a été labellisé « a posteriori » par l’équipe de Marseille Provence 2013, qui l’a inclus dans sa programmation, et n’est depuis pas intervenue dans le débat public… Bref : qui cautionne. Une deuxième problématique de fond apparaît donc en filigrane : David Guetta peut-il incarner cette Capitale Européenne de la Culture – certes malgré lui, mais avec la dimension qui est la sienne, et celle que prend chaque jour un petit peu plus cette affaire ? En d’autres termes : Marseille n’est-elle pas en train de se tirer une balle dans le pied en donnant le sentiment de choisir comme tête de gondole quelqu’un qui est sujet à controverse ? Que compte-t-elle faire de cette année en tant que Capitale de la Culture ? Ouch ! Voilà qui fait beaucoup.

En l’espace de quelques jours seulement, « l’affaire Guetta » enfle de manière exponentielle. La presse nationale relaie. Sur la page web du groupe, chacun y va de son commentaire, des questions de fond sont abordées, certaines propositions sont étudiées (notamment des recours juridiques), d’autres au contraire sont écartées (parce qu’il ne faudrait quand même pas se tromper de combat). Celle qui est jugée la plus probante est cette pétition  visant à faire annuler purement et simplement ladite subvention. Le cap de 16 000 signatures a été atteint en fin de semaine dernière, signe manifeste qu’un nombre important de citoyens marseillais (mais pas seulement) entend bien ne pas laisser passer telle décision, quand bien même on a du mal à imaginer les parties concernées revenir bientôt sur cette dernière… Car voilà : derrière ce qui pourrait sembler n’être qu’un énième épisode symbolisant la collision des sphères publique et privée à Marseille, du politique et du business, il apparaît soudain plus distinctement la fracture qui se creuse chaque jour entre le « bon peuple » marseillais (cette image d’Epinal que nous renvoie n’importe quel épisode de Plus belle la vie) et les élites qui le gouvernent (quelle que soit la forme qu’elles prennent).

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Bien au-delà du champ politique, puisque les camps se sont mollement écharpé jusqu’à présent, et parce qu’il est hors de question de cautionner une quelconque récupération, c’est donc au nom d’un certain idéal que le « Commando anti-23 juin » entend mener son action à terme. A savoir : essayer de faire bouger les lignes dans une ville minée non pas seulement par les résultantes (chômage, violence, discriminations diverses) des politiques qui y sont menées, mais aussi par leurs causes intrinsèques (corruption, clientélisme, dilettantisme). Cela faisait longtemps – il faut le souligner – qu’un nombre significatif  de Marseillais ne s’étaient réapproprié la parole publique, pour faire part de leur désapprobation à l’égard de ce type de pratiques et des autorités concernées. Combien ont découvert, stupéfaits, lors du dernier Conseil municipal (que l’on pouvait suivre en direct le 11 février sur le site web de la Mairie), comment fonctionnait effectivement la démocratie à Marseille ? L’image qui est renvoyée par la Cité phocéenne, de manière générale, est avant toute chose celle que nous renvoient leurs dirigeants, leurs élites. Ne pas se tromper : ce sont les citoyens marseillais qui font Marseille, et ce sont les pouvoirs en place (politique, économique) qui la défont par trop souvent.

« L’affaire Guetta », en somme, ce serait la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Ni plus, ni moins. Les pratiques pointées ici du doigt ne datent visiblement pas d’hier. Simplement, le terreau est aujourd’hui plus propice à la révolte, parce que deux visions de Marseille se font désormais face : celle d’une ville qui connaît ses imperfections mais les assume totalement, fait front, cherche à renouer avec cette soif de dialogue qui la définit dans son essence même, et celle d’une ville lissée de toute aspérité, que les pouvoirs en place essaient de destiner à des publics « exogènes » (terminologie intéressante qui est utilisée dans la convention précitée, et désigne ceux qui viennent « de l’extérieur » – gageons qu’il y a matière à débattre sur ses multiples significations).

Ces pouvoirs se goinfrent et décrédibilisent Marseille. Le problème, cette fois-ci, c’est qu’ils en ont trop voulu.

640-7bd7-marseillais-versus-marseille-guetta-fait-polemiqueLa municipalité, tout d’abord. Qui, pour redorer son blason de Capitale de la Culture quelque peu écorné par des débuts difficiles (installation de l’événement dans la psyché collective, retards à l’allumage, communication ratée), a cru bon de mettre les bouchées triples en sponsorisant un Guetta. Manifestement, sa vision de la culture est bien limitée… Il suffirait donc de mettre de l’argent dans ce type de raout pour que Marseille devienne une grande Capitale de la Culture ? Ce n’est pas ce que l’on appelle une « politique culturelle ». La municipalité, encore, qui espérait sans doute s’attirer les faveurs d’un certain public peu avant les prochaines Municipales (mars 2014), et pourquoi pas quelque « retour sur investissement » de la part d’Adam Concerts (ce n’est bien sûr qu’une hypothèse)… Adam, d’ailleurs et ensuite. Qui, en empochant une somme couvrant à elle seule les deux cachets des têtes d’affiche, en bénéficiant gratuitement du Parc Borély (même s’il faudra bien l’équiper pour accueillir 23 000 personnes), en gardant pour lui les recettes liées à la vente de places, la buvette et la restauration, a voulu s’en mettre plein les poches. Bien sûr, ça fait partie de son métier, mais sa programmation parle pour lui depuis de longues années…

David Guetta, enfin, ce « pauvre » David Guetta qui n’avait pourtant rien demandé à personne, devrait quand même toucher la bagatelle de 250 000 euros pour cette date. Au-delà de l’argument classique reposant sur sa popularité, c’est un cachet monstrueux. Surtout pour un mec qui arrive sur scène avec quelques CDs ou « deux clefs USB » (comme on a pu l’entendre)… On ne va pas se leurrer : bien qu’elle ne soit pas mise en cause par le « Commando anti-23 juin » (c’est tout naturel), la venue dans ce contexte d’un artiste comme David Guetta, aussi adulé que décrié, revêt une symbolique toute particulière. Clairement, s’il s’était agi d’un musicien, d’un groupe, ou même d’un autre DJ véhiculant une conception moins bas du front de la musique, l’affaire aurait été tout autre. En outre, et en termes d’image, David Guetta ne peut pas jouer les têtes de gondole pour cette Capitale de la Culture : il est trop riche, trop mainstream, trop unidimensionnel. Tout cela est avéré. Ultime argument à ceux qui pensent encore voir dans ce garçon une incarnation de la « culture populaire » : David Guetta n’a jamais opéré pas dans le champ de la culture. Mais dans celui de l’entertainment.

Concrètement, quelles sont pour l’heure les incidences du « Commando anti-23 juin » et de sa pétition ? La mairie de Marseille a très vite annoncé qu’il s’agissait en fait d’une subvention de… 200 000 euros, le reste étant financé par du mécénat privé (un fonds d’art contemporain… hum). Adam, le producteur du spectacle, a pour sa part confié que cette subvention consistait uniquement à couvrir (c’est peu crédible) les frais d’installation du spectacle… ainsi que d’un deuxième, « à définir ». En clair : chacun en a tellement pris pour son grade qu’il leur faut bien revenir un peu sur leurs prétentions initiales (ne serait-ce que pour la forme). Enfin et surtout, il y a la pétition : numérique mais à valeur légale, celle-ci pourrait permettre (c’est inscrit dans le règlement du Conseil municipal) de remettre en cause la décision prise en décembre, pour peu que 10 000 citoyens domiciliés à Marseille l’aient signée. Il y aurait en effet des erreurs dans la convention passée entre la mairie et le producteur (un comble à ce niveau-là, assez représentatif de la façon dont la ville gère ce type de dossier…)

On attend maintenant de voir ce qu’il va déboucher de ce grand capharnaüm, sans trop d’illusions peut-être, mais avec le sentiment diffus que d’autres épisodes vont prochainement venir s’inscrire à cette histoire.

15 commentaires

  1. Le probleme est il vraiment le fait que David G fasse un concert a Marseille en touchant une telle somme colossale de + de 250 000 euros tout en bloquant les axes de Marseille et du parc borély ?
    Car si le choix s’était porter sur une lady gaga ou un Johnny Halliday qui prennent autant aussi bien en terme de « cachets » qu’en mobilisation « sécuritaire » et « d’embouteillage » …est ce que cela aurait eu autant d’impact sur la toile du réseaux FB…en 2012 ? je l’espère .
    Car depuis des années de stade vélodrome en plages du Prado sous la mairie de « JCGod ‘in « … des Johnny Hallyday/ U2 /AC/DC etc…etc..et j’en passe des meilleurs et des moins bon ..ont joué « et continuerons a jouer »sous des cachets tout aussi « exorbitant$ » aux bénéfices multiplier par XXX sans que aucune miettes soit reparti pour soulager Marseille de la misère et d’la pauvreté qui l’ incombe …

     » j’espère que des Buzz comme celui ci submergeront a nouveaux la toile … »

    La culture pour tous oui tout l’temps et surtout dans les quartiers !

    https://www.facebook.com/pages/Notpain-quotidien/406782192677146?sk=app_2405167945

  2. Il y a plus 31000 signatures sur la pétition en ligne et le nombre de 10000 signataires résidant à Marseille est dépassé. Le groupe a donc contacte la mairie pour déposer la pétition et faire rediscuter la convention Adam/Ville de Marseille comme le prévoit l’article 5 du conseil municipal.

  3. Sinon il y a David Greta de disponible aussi, un peu moins connu mais moins cher, il a obtenu son diplôme de DJ par correspondance.

    Guitou

  4. 400 000 euros pour un gars qui gesticule derrière ses platines pas branchées, c’est presque trop.
    200 000 euros pour Miko et la blondasse, à cinquante balles la place, c’est dégueulasse.
    Et dire que je vais voir Matmos pour dix boules à la maroquinerie…

  5. Je ne comprends même pas que ce type puisse être considéré comme un artiste,ça va faire plaisir aux vrais acteurs de la scène culturelle locale qui comme partout ailleurs rament avec parfois moins de 500 euros par mois!

  6. Aux 400000 euros de subventions, il faut aussi penser aux frais de remise en état du Parc Borely … Plusieurs milliers de personnes pour une soirée électro dans le parc, bonjour le résultat !
    Si c’est les plates bandes et buissons piétinés ou arrachés, ça peut se replanter mais ce n’est pas gratuit !! et si c’est des branches cassées parce qu’on est monté dans les arbres pour mieux voir, c’est foutu !!
    Demandez aux usagers habituels du parc, (qui viennent pour courir, flâner, jouer, pique-niquer, contempler …) et aux personnes chargées de l’entretien ce qu’elles en pensent … Voir aussi du côté du Château Borely, nouveau musée des Arts décoratifs qui va ouvrir au printemps, si les collections de faïences anciennes et de valeur ne risquent rien du tout avec les fréquences et les hauteurs de son d’un concert sur une scène juste devant le château ?? Je ne suis pas compétente sur le sujet, mais je me pose des questions, et il faudrait les poser aux personnes compétentes ! Il me semble avoir entendu, que certains musées hésitaient du coup a prêter des objets au Musée Borely ! Mais bon, ce n’est que de la culture …

  7. Much ado but nothing … Guetta est donc sur la pente raide, et bien qu’il y reste ! Marseille a besoin de cet argent. Il a suffisamment de pognon pour payer sa prestation et je ne savais pas qu’il était aussi nul pour s’en aller pleurnicher pour 400000 euros. J’approuve les commentaires déjà faits.

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