Enfant, il doublait Nemo pour la version flamande du dessin animé. Et après dix ans passés à écumer les fanfares belges puis à s’essayer à la synth-pop, au metal et à la musique électronique expérimentale, nouveau coup de poker pour Loverman : ce 27 octobre, il signe chez PIAS son premier album « Lovesongs ». Une singulière odyssée folk où l’artiste navigue sans perdre son cap, entre les influences de Lee Hazlewood, Leonard Cohen ou Scott Walker. Portrait à domicile.
Un habit à mi-chemin entre La Soupe aux Choux et une tenue d’arts martiaux, le regard rivé vers l’horizon et les mains le long du corps, prêt à dégainer comme un Clint Eastwood trop propre sur lui. Derrière, un fond désertique presque aussi allégorique que ce pseudonyme, tracé en lettres rouges dégoulinantes. En posant le disque sur la platine (ou en lançant sa lecture sur Spotify), nouvel élément-clé de cet étrange bingo, celui qui fait que la magie opère : derrière les cris de mouette, une mélodie élégante s’échappe d’une guitare, suivie d’une voix lente et caverneuse venue susurrer quelques mots sur cet étrange paysage. Another Place, vraiment.
Qui est vraiment Loverman ? « Tout le monde me demande si le nom vient de Nick Cave, mais pas vraiment, je me sens juste très humain et très fasciné par l’amour. J’ai imaginé ce personnage assez autobiographique comme une créature étrange et un peu laide que l’on finit par aimer, comme Klaus Kinski dans Nosferatu ». Soit. D’ailleurs, en parlant de créature étrange, Loverman habite un étage entier d’une maison de repos vidée de ses résidents, en périphérie de Bruxelles. Il commence à dérouler le fil de ses « Lovesongs » en arpentant les couloirs et ascenseurs de ce domicile inhabituel, son long peignoir bleu voltigeant comme une balise au milieu de ce dédale.
« J’ai été élevé dans la haine des Beatles. »
Comme nombre de grandes aventures contemporaines, celle-ci démarre par… une pandémie mondiale. « J’ai entendu l’annonce du confinement pile la semaine où on sortait notre album « Noneketanu » avec mon autre groupe Shht, donc tout ce projet est un peu tombé à l’eau ». Et comme nombre de grandes aventures intemporelles, Loverman (alors James De Graef) a le cœur brisé. Nageant dans la douleur et avec un temps quasi illimité devant lui, le musicien se retrouve dans la maison familiale, au milieu de la campagne belge. Là, il découvre la guitare presque au hasard, en se prenant d’affection pour l’instrument de sa sœur. Fort d’une pratique musicale déjà très complète, entre dix ans de fanfare avec son tuba, une grande influence parentale, les écoles de musique et divers groupes (notamment Partners, duo qu’il compose avec sa partenaire Daisy Ray), il dompte rapidement la bête à six cordes, suffisamment pour la mener où il le souhaite. Et c’est ainsi, tout naturellement, que Loverman écrit ses « Lovesongs ».
Malgré cette image de singer-songwriter torturé et solitaire, James n’est pas seul à l’ouvrage. Toute la famille s’y met, à commencer par sa mère qui joue du violoncelle au gré des idées de son fils. Des micros aux quatre coins de la chambre donnent à l’album une couleur douce et intimiste, apaisée. Même après avoir envoyé les démos à son producteur Pieterjan Maertens (qui travaille aussi avec Tamino), le résultat final reste très proche de ces premiers enregistrements. « On a surtout réenregistré la voix et on n’a pas beaucoup touché au reste. J’aime beaucoup ce dont parle David Byrne dans How Music Works, l’idée que l’espace détermine la musique qui l’habite. Garder l’atmosphère de la chambre, de la pièce, c’était important pour moi ».
Daisy habite aussi dans la maison et l’épaule tout au long du processus créatif, de l’idée aux chœurs, en passant par la réalisation des clips. Dis, Loverman, qu’est-ce que ça fait de pondre tes « Lovesongs » avec celle dont tu es en train de te séparer ? « Je n’aime pas parler de rupture. C’était très beau, mais aussi très difficile et un peu étrange, de chanter ces chansons d’amour à propos d’une personne, avec la personne à côté… mais bon, je ne cherche pas à fuir mes émotions. Et Daisy et moi avons toujours travaillé et avancé ensemble, je lui dois énormément, on s’est appris mutuellement beaucoup de choses ».
Côté influences, Loverman a su toquer aux bonnes portes. D’abord, son bagage personnel : James est biberonné au punk, héritage qu’il tient de son père, au dub, puis au rock et à la folk anglaise, notamment par sa famille maternelle. « J’ai aussi été élevé dans la haine des Beatles. Mon grand-père était un habitué du Cavern Club de Liverpool mais refusait catégoriquement de les voir jouer dès qu’ils se présentaient. Et mon père était un vrai punk, il ne les supportait pas ». Dans le parcours de James, entre la synth-pop brutale de Shht, la musique électronique expérimentale de Partners et Loverman, l’éclectisme est la moindre des choses.
« On n’est jamais autant soi-même que lorsqu’on porte un masque. »
Mais sur ces « Lovesongs », impossible de ne pas entendre Lee Hazlewood, Scott Walker, Nick Cave ou Leonard Cohen. D’ailleurs, Loverman a consacré son mémoire de fin d’études à ces deux derniers, qui sont aussi ses grandes influences, tant artistiques que personnelles, dans l’image que l’on peut se faire de l’amour, de soi et des autres. « Mon album et ma recherche partent un peu du même point et se sont nourris mutuellement. J’ai beaucoup réfléchi à ce que représentait la masculinité pour moi, surtout au regard de ces artistes acclamés qui dissèquent le sentiment amoureux, mais avec un côté autodestructeur et des comportements personnels parfois très éloignés de ce qu’ils écrivent dans leurs chansons ». En somme, le choc entre le rêve et la réalité, l’idéal romantique confronté à ses limites. Quand on les regarde de près, les idoles se fissurent.
Lorsque l’on joue dans cette cour, que l’on convoque auprès de soi de telles icônes, comment faire pour ne pas tomber dans l’enchaînement de poncifs et l’essorage d’une recette déjà servie à toutes les sauces ? « En fait, je n’ai jamais eu l’ambition d’être le mec qui chante des chansons et qui joue de la guitare. Moi, j’ai toujours fonctionné pour faire de la musique électronique ». Et voilà une nouvelle pièce de la mosaïque, à ajouter aux côtés du vampire d’Into the Night, l’épopée désertique de Candyman dans les Bardenas, sous haute influence Jodorowsky, ou l’étrange ballet amoureux de Would (Right In Front Of Your Eyes). Quel est le fil conducteur ? Loverman est-il seulement qu’un personnage, entre ses tenues fantasques, ses griffes, son maquillage et ses archétypes ? « Pour très mal paraphraser Oscar Wilde, je pense qu’on n’est jamais autant soi-même que lorsqu’on porte un masque. Derrière cet intermédiaire, on peut enfin exprimer ce que l’on est réellement ».
Loverman // Lovesongs // PIAS, paru le 27 octobre
https://store.pias.com/release/411595-loverman-lovesongs