Les Liars jouent cette année aux Villette Sonique. L’occasion pour Elea de revenir sur l’histoire quelque peu saccagée d’un groupe qui ne l’est pas moins.
Les Liars en un aphorisme ? C’est le groupe dont tu aimes beaucoup la musique mais que tu imagines mal recevoir dans ton salon.
Tout le contraire, disons, de ce folkeux gentil, drôle et mignon dont le disque te fait bailler mais que tu aimerais bien avoir comme voisin de palier. Mais les Liars… Ils dégagent comme une aura malsaine, un appétit pour la destruction, qui fait que s’approcher d’eux en vrai doit forcément constituer une expérience désagréable – bien que fascinante – comprenant, en vrac : magie noire, beat primal, fumeroles diaboliques, effluves fétides, rires grinçants, dance-floor ravagé. Mais comment en est-on arrivé là, déjà ?
Au début, en plein énième renouveau du rock, façon millésime 2001, l’halo autour des Liars, c’était plutôt la hype new-yorkaise suprême. A l’origine de cette situation très tendance, de nombreux facteurs à la complexité irréductible, parmi lesquels on retrouve (sans ordre d’importance) le fait qu’Angus Andrew, le leader du groupe, est le date officiel de Karen O, et un tube implacable (Mr you’re on fire Mr) plein de robots discoïdes mais néanmoins menaçants, tapant des mains dans une cave enfumée. Souvenirs et instantanés de cette époque sont rassemblés dans l’album They threw us in a trench and stuck a monument on top, rangé quelque part en haut d’une armoire mais sur lequel on revient rarement – sauf pour prouver quelque chose dans une discussion sur les albums au titre coup de poing.
Puis les sorcières ont débarqué.
Allez savoir ce que Karen O a fait à ce cher Angus, mais une chose est certaine : vers 2002, le brave homme se retrouve avec deux membres du groupe en moins (pour motif de « différences de méthodes créatives », évidemment) et une sérieuse obsession pour la sorcellerie. Comme souvent dans ces cas-là, ça termine dans une cabane au fond d’un bois du New Jersey, en compagnie de Dave Sitek – le producteur magique, si on croit les hagiographies de rigueur. En résulte They were wrong so we drowned, un album-histoire qui pourrait fort bien constituer la bande originale des chapitres les plus endiablés du Maître et Marguerite – avec ce mélange de jubilation féroce et de panique incantatoire. Il n’y a d’ailleurs qu’à voir quelques titres pour imaginer l’univers mis en scène : There’s always room on the broom, If you’re a wizard then why do you hear glasses, They don’t want your corn they want your kids…
Alors quoi, Angus, on a flippé en lisant Harry Potter sous acide ?
L’album, en tout cas, n’est peut-être pas toujours exactement harmonieux, mais se révèle terriblement hypnotisant. Prenons le titre d’introduction : ça sonne comme des gosses possédés qui déclament – avec ce ton monocorde qui vient naturellement aux mômes quand il s’agit d’hurler en chœur des méchancetés dans la cour de récré – trois phrases, répétées à l’infini, à propos d’un garçon, d’un cheval, et du sang. Si après une minute tu n’as pas envie d’arpenter la pièce et de te joindre à la chorale diabolique, c’est que tu as définitivement refoulé l’enfant-animal qui est en toi.
C’est d’ailleurs à peu près à ce moment-là qu’on commence à se dire que les Liars sont des individus qu’on n’a pas exactement envie de côtoyer. Sur scène, Angus Andrew est juste terrifiant, éructant dans son pyjama rose, les yeux révulsés. Peut-être que ses origines australiennes lui collent plus à la peau qu’on ne le pense, mais on l’enverrait bien fissa jouer un idiot malfaisant dans The Proposition, ce western ultra-crasseux scénarisé par Nick Cave, qui se déroule dans un bush aussi mystique qu’hallucinant.
Après ça, ils n’allaient sûrement pas se calmer. Drum’s not dead, troisième album, fait passer le groupe de l’ésotérisme de bon aloi à l’hermétisme un rien gênant. Structuré autour des percussions, invoquant tout du long des personnages (?) récurrents, le disque arrive malgré quelques résurgences de délicieuse terreur, à semer l’auditeur sur la longueur – et surtout sur la langueur atmosphérique. On le gardera dans un coin de l’armoire plus accessible, histoire de pouvoir l’attraper quand on a besoin de percussions galvanisantes pour se concentrer (la nuit, la deadline qui approche, le papier à boucler), mais on l’écoutera rarement.
Epilogue provisoire : Liars, quatrième album qui tend à rendre statistiquement significative l’hypothèse de la réduction du nombre de mots dans le titre au fil du temps. Etape de la synthèse et de la maturité oblige, on a du mal à définir une ambiance générale. Ça commence un peu heavy, ça enchaîne sur une sorte de groove de blanc bec avec chant haut perché et claviers grasseyants, ça revient aux bonnes vieilles incantations sur fond bruitiste. Plus concentré et pas moins schizophrène, le groupe arrive enfin à extraire l’essence d’un de leur univers pour l’injecter dans une seule chanson (plutôt que de devoir enfoncer le clou tout au long d’un album pour convaincre).
Cette certaine discipline ne les transforme pas pour autant en doux agneaux : ils ont beau se revendiquer « pure unevil », et même se laisser aller à signer une sorte d’étrange ballade, les Liars n’en restent pas moins fidèles à leurs credo : beats urgentissimes, guitares alarmantes, chœurs angoissants – bref, incarnation d’une certaine idée du chaos qui risque de ruiner ton appartement douillet si tu lui ouvres la porte.
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