Maintenant que les Python sont derrière moi, que John (Cleese) a emmagasiné suffisamment de livres pour payer ses pensions alimentaires et que je ne vais plus avoir besoin de me coltiner la réalisation de scripts écrits par d’autres et par lesquels je ne suis de toute façon pas convaincu, je vais enfin pouvoir me replonger dans mon Don Quichotte… Du moins, je l’espère… On parle d’œuvre maudite, mais après tout, on dit la même chose de moi. J’ai été un héros, un paria, puis un poissard. Maintenant que le temps a passé, j’en viens d’ailleurs à me demander si ce n’est pas Gustave Doré qui est maudit. Ses illustrations m’ont inspiré pour Quichotte, elles m’avaient déjà inspirées pour les aventures du Baron. Notez, en voyant sa descendance, ça ne serait pas si surprenant… Mais c’est aussi ça qui me rassure. En dépit de tout ce qui m’était tombé dessus, le film avait été terminé. Désormais, je ne veux plus me perdre dans la Mancha.
Tout avait commencé aux alentours de 1985 – ou 1984, ce qui serait plus logique – avec la sortie américaine de Brazil. Si l’Europe avait pu découvrir le film qui restera gravé sur ma tombe, la situation aux Etats-Unis n’avait rien à voir. Entre la signature du contrat et la finalisation du film, les producteurs d’Universal Pictures avaient changé de direction. Sidney J. Sheinberg était désormais à la tête du moloch, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’était pas enthousiasmé par un film attaquant la bureaucratie. Ni par moi. Je crois qu’il ne goutait pas le nom de ma société de production : PooPoo Pictures.
Mais il s’avérait qu’il croyait encore moins en la sortie d’un Brazil durant 144 minutes et au ton trop pessimiste selon ce foutu bureaucrate. Il aurait préféré plus de romance et une fin heureuse. Autant dire que nous ne sommes jamais partis ensemble en vacances. En réalité, il n’avait rien compris au film, même si le fait qu’un bureaucrate n’apprécie pas une satire de la bureaucratie n’est pas si étonnant. C’est vrai que le film était – et reste – tout sauf commercial. Selon lui, le film risquait de laisser une grande partie du public perplexe. Quel connard condescendant… Je me souviens que la projection du 23 janvier 1985 réservée aux investisseurs – à la salle Alfred Hitchcock – avait été désastreuse. Un des pontes était venu me dire « vous pourriez terminer le film quand Sam retrouve Jill dans la chambre de sa mère et ils pourraient s’envoler dans ses rêves ». Ce à quoi j’ai répondu « mais dans ce cas, ce serait un film de Frank Price n’est-ce pas ? Pas un film de Terry Gilliam ». Ce pays me gonflait déjà à l’époque. Tous ces tarés d’Hollywood qui colportent une vision du rêve américain et de la société américaine qui n’existe pas, mais que les gens s’évertuent à vouloir copier, c’est fou non ?
Une bataille victorieuse
Toujours est-il que les tensions ont continué jusqu’à devenir ce qu’un journaliste en mal d’inspiration est venu nommer par la suite la « Bataille de Brazil ». J’avais pourtant commencé par réduire le film de 11 minutes, en baissant mon froc, mais ça ne satisfaisait toujours pas Sheinberg qui voulait profiter d’une durée supérieure à celle prévue dans le contrat pour changer le film. J’avais beau avoirmenacer de ne pas le sortir, j’étais tenu par les couilles et la situation semblait devoir durer jusqu’à ce qu’un des côtés craque et renonce… Vous le savez : ce n’est pas mon genre de renoncer, je pense que vous l’aurez compris. Durant cette période, il y a même une foutue équipe d’éditeurs/monteurs du studio qui a tenté de générer une nouvelle version du film. De mon côté, je voulais organiser une projection à l’Université de Californie du Sud, mais on m’a informé qu’il s’agirait d’une rupture de contrat et que je m’exposerais à des poursuites. J’avais dû annuler quelques minutes avant. Alors j’ai fait quelque chose que je ne referais jamais : j’ai tenté de faire rentrer Steven Spielberg dans la bataille. Bien sûr, il m’a dit qu’il avait adoré mais qu’il ne voulait pas prendre parti. Mais il m’a aussi piqué toute une scène du film pour Retour vers le futur dont il était le producteur (la première scène où la sonnerie d’un réveil engendre la mise en route d’une série d’appareils : aucun acteur, elle a été tournée après le reste et avant la sortie du film aux Etats-Unis). Quel enfoiré…
Le Baron de Munchausen c’est ’histoire d’un vieux fou qui raconte ses mésaventures auxquelles personnes ne croit plus et qui n’intéressent plus personne : un peu moi aujourd’hui, en somme.
J’ai fini par jouer un coup de poker en rendant l’affaire publique dans Variety. J’ai loué un emplacement pour y écrire « Cher Sid Sheinberg, quand allez-vous sortir mon film Brazil ? ». Avec cette action, une quantité impressionnante de journaux s’est mise à relater les moindres soubresauts de l’affaire. Ils dressaient un parallèle entre le combat de Sam contre le géant Samouraï, cette autre variation du combat de David contre Goliath, et Universal contre moi. J’avoue que la situation m’exaltait assez. En remportant petit à petit la guerre de l’image, j’ai fini par gagner, même si les résultats n’ont pas été là au box-office. L’industrie n’avait pas changé avec ça, et Ridley Scott avait même osé raconter dans le Sunday Times à quel point c’était génial de travailler avec les studios. Environs dix director’s Cut de Blade Runner plus tard, cela reste un connard.
Alors voilà, nous étions en 1985 et je venais d’être élevé au rang de symbole de la liberté créatrice par les médias. Je me doutais que les studios allaient se méfier de moi, que les journalistes ne manqueraient pas de scruter mon prochain projet ; mais pas que celui-ci me ferait envisager d’arrêter le cinéma.
Sur les terres de Fellini, un rêve…
Je suis parti sur l’idée d’un nouveau film traitant du Baron Münchhausen quand Ray Cooper m’a donné un exemplaire du livre de Raspe, Baron Munchausen’s narrative of his Marvelous Travels and campagns in Russia, illustré par Doré. A l’intérieur se trouvaient dix-sept fables du Baron Van Munchausen, un ex militaire allemand du XVIIIème siècle devenu célèbre pour son coté affabulateur. En 1985, avec Charles Mckeown que je payais moi-même pour ça, nous avions écrit les premières lignes du script. Le récit tournait autour du thème de la destruction de l’imagination par la bureaucratie. Inévitablement, cela faisait écho à ce qui venait de se passer. C’était l’histoire d’un vieux fou qui raconte ses mésaventures auxquelles personnes ne croit plus et qui n’intéressent plus personne : un peu moi aujourd’hui, en somme. Au siècle des Lumières, dans une cité assiégée par les Turcs et où le théâtre semble être le dernier refuge, le Baron débarque en pleine représentation pour affirmer que tout n’est que mensonge, avant de lui-même se mettre à raconter sa propre histoire ; comment il serait lui-même à la source du conflit avant de le résoudre dans des aventures où le fantastique finit par devenir la réalité.
Dans un premier temps, George Harrison avait envisagé de produire le film, mais Handmade Production, sa société, connaissait une période difficile et il avait dû renoncer. J’avais alors sollicité Arnon Milchan, qui avait produit Brazil, mais je crois qu’il m’en voulait un peu. Il s’est contenté de me présenter Thomas Schühly qui venait de produire Le nom de la rose. Maintenant que j’y pense, je me demande si ce n’était pas une vengeance de sa part…
Je souhaitais que Prominent Features, une compagnie créée à Camden pour produire les films des Python, fasse partie de la production en la coproduisant, mais Milchan n’était pas très enthousiaste à cette idée. Il est vrai que Steve Abott, le directeur de Proeminent, était un comptable très procédurier et Arnon, qui n’avait jamais travaillé de cette manière, n’en voulait pas. Milchan me disait que Thomas Schühly savait parfaitement comment faire un film d’une grande ampleur. Et c’est vrai que de prime abord, j’ai adoré le type. Schühly connaissait du beau monde et débordait d’énergie. Il m’a emmené en Italie, dans la patrie de Fellini, et m’a parlé de travailler avec certains de ses collaborateurs : j’étais conquis. Quel con… Bien évidemment, en écho avec l’histoire du film, le tournage a viré au désastre.
Steve Abott n’arrêtait pas de me répéter constamment que rien de ce que Schühly me disait n’était possible, que je ne devais pas m’emballer. Clairement, c’est lui qui commençait sérieusement à me gonfler. Proeminent a fini par s’effacer en laissant le projet devenir celui de Thomas Schühly. Il m’a expliqué que travailler en Italie serait 40% moins cher. Bien évidemment, j’ai tout gobé. L’argent et moi, ça fait deux, soyons francs. Je lui faisais entièrement confiance pour les financements. Enfin, je n’étais pas complétement stupide non plus. Je me suis convaincu qu’il disait la vérité. Je ne voulais pas laisser passer l’occasion. A vrai dire, quand Schühly avait promis que le film serait fait à la manière de Sacré Graal, c’est-à-dire sans vrais chevaux, en annonçant des coûts ridiculement réduits, j’aurais dû me douter de la catastrophe à venir. Il a commencé par engager un comptable qui lui a dit que le film coûterait 60 millions à produire. Il l’a bien sûr renvoyé pour en engager successivement quatre autres jusqu’à ce que l’un d’entre eux dise que le film était possible pour 23,5 millions de dollars. Les chiffres ne voulaient strictement rien dire, mais je n’ai pas cherché pas plus loin. Bon okay je vous vois venir : c’est un peu de ma faute.
Mais il faut dire que j’étais tellement séduit par l’équipe de tournage : les même gars que pour Fellini, même s’ils ne parlaient pas un mot d’anglais… Colombia a accepté de produire le film pour le montant de 23,5 millions en vendant des droits d’exploitations à d’autres pays. Même si l’accord a été chaotique, le film était en route. N’importe qui aurait compris à la lecture du scenario que le montant n’était pas suffisant, il fallait le triple.
…qui se transforme en cauchemar
Mais la machine était lancée. Au casting j’avais prévus Eric Idle, Sean Connery pour un caméo et pour le seigneur Vulcan, Marlon Brando. Dans un premier temps, je pensais à Peter O’Toole pour jouer le baron, mais très vite, j’ai voulu un acteur inconnu du grand public pour qu’il soit vu comme « le baron » et rien d’autre. John Neville correspondait parfaitement à cette description. Il était expérimenté mais ayant surtout passé sa carrière au théâtre, il était suffisamment peu connu du grand public pour remplir ces conditions. Au départ, son agent avait répondu qu’il ne jouait pas au cinéma, mais lorsque je l’ai rencontré, il s’avérait qu’il était un fan des Monty Python ! Pour le casting de Sally, la jeune fille du film, on a lancé de grands castings. Les merdes commençaient quand la police s’est pointée en voyant le nom de ma sa société de production, Poo Poo : ils pensaient à un plan pédophile…
Les problèmes ont vraiment débutés à l’approche du tournage. Dès le 7 septembre, il était retardé car les costumes n’étaient pas prêts. Ils étaient coincés à Barcelone par une grève aérienne. Une semaine plus tard, ce n’était toujours pas arrangé mais l’argent commençait à filer. Le 12 septembre un accident étrange survenait sur le décor. Selon de nombreux témoins, Thomas Schühly lui-même avait tenté un sabotage pour récupérer de l’argent des assurances. Même pour ça, il n’a pas su calculer correctement…
On devait tout tourner en décors naturels avec de faux canons mais bien évidemment, comme personne ne s’était occupé de rien, il a fallu tout construire en urgence et fabriquer… de vrais canons.
A cause de cet incident, le tournage était une nouvelle fois retardé ; et quand le tournage devait enfin débuter le 21 septembre, les deux chiens du Baron étaient malades, tout comme les chevaux, coincés à la frontière à cause d’une sorte de grippe chevaline. Avant même qu’une scène soit tournée, le film frôlait déjà le hors budget… Avec un montant pourtant déjà sous-évalué, la gestion était catastrophique : l’organisation était épouvantable et les gaspillages monumentaux. Suite à un problème de communication avec l’équipe de décoration qui n’avait compris qu’approximativement les directives, ils se sont mis à fabriquer de vrais canons, et non pas des répliques, coutant une fortune.
A la sixième semaine, il n’y avait plus d’argent disponible et ça commençait à chauffer sévèrement sur le plateau. Cet enfoiré de menteur de Schühly ne s’occupait de rien. Bien sûr, lui vous dirait que mon entourage et moi étions incapables de gérer une aussi grosse production. Cela ne l’avait pas empêché d’aller participer à des shooting pour des magazines où il fanfaronnait comme un producteur-star… Pendant ce temps, la production était un gouffre. De l’argent était volé à la production et les gaspillages continuaient. On devait tourner en décors naturels, mais bien évidemment, personne ne s’était occupé d’obtenir les autorisations et il a fallu tout construire en urgence.
Chaos debout
C’est là qu’est arrivé Film Finances. En gros, une entreprise qui veille à ce que les films soient terminés en cas de dépassement des budgets en prenant en charge du projet dès le dépassement. Une sorte d’assurance prise par les producteurs pour s’assurer qu’il soit tout de même terminé. Eux m’ont accusé de tous les maux et sont allés jusqu’à menacer de saisir mes biens personnels, ce qui est toujours agréable. Le tournage a été arrêté pendant un moment et beaucoup pensent que le film ne reprendrait jamais, moi y compris. Mais si je ne voulais pas me retrouver à poil, il fallait bien terminer le film. Colombia avait signé pour Terry Gilliam, pour mon univers, et il n’était pas question de changer de réalisateur, ce qui était déjà un début.
Donc bref. Sous le contrôle serré de Film Finances, on a repris, mais avec des réductions de coûts drastiques qui ont engendré des bouleversements dans le scénario. La scène sur la lune est devenue une scène pour deux alors qu’elle devait avoir 2000 figurants et la cité lunaire a dû être abandonnée. C’était pourtant l’un des visuels les plus originaux… C’était aussi la fin de la possibilité d’une participation de Sean Connery.
Heureusement, le regretté Robin Williams m’a sauvé les miches, et celles de tout le monde. On lui avait pourtant conseillé de ne pas le faire, mais à l’époque, il voulait travailler avec moi. Dieu merci, on a pu travailler ensemble dans de meilleures conditions pour The Fisher King. Il est arrivé comme la cavalerie. Son implication a apaisé les financiers : il était alors au top avec la sortie récente de Good Morning, Vietnam. Mais comme c’était un homme de bon sens, il ne faisait absolument pas confiance à la production. Il ne voulait surtout pas que Schühly tente de vendre le film sur son nom. C’est pourquoi il n’est pas crédité au générique. Suite à ça, le tournage a pu repartir et a enfin été terminé pour un budget final de 46,34 millions de $, soit deux fois le montant de départ.
Avec ce film, on a quand même récolté 4 nominations aux Oscars mais finalement, seulement 117 copies sont sorties aux Etats-Unis (48 durant les premières semaines). Le studio, malgré les bonnes critiques, avait complètement laissé tomber le film en l’enterrant définitivement. Le Baron, en laissant un trou de 200 millions, a généré une foutue légende noire autour du film et de mon nom. Tout le monde avait oublié mes trois premiers films qui, bien produits, avaient bien marchés et pour lesquels je n’avais explosé aucun des budgets relativement faibles que j’avais eu à disposition. Même si le désastre financier de Munchausen est bien plus lié au fait que le film ait été considérablement sous budgétisé qu’à moi, le mal était fait. Evidemment, la presse qui suivait en détail la création du film après la bataille de Brazil m’a enfoncé. Elle a fait circuler l’idée selon laquelle après avoir battu les studios, j’étais désormais devenu incontrôlable. Ils n’hésitaient pas à parler du film comme du plus gros flop d’Hollywood…
« L’argent et moi, ça fait deux »
Avec ce tournage, ma carrière a été entachée à jamais, laissant toujours planer le doute sur mes dispositions à l’irresponsabilité absolue. Evidemment, ma personnalité et quelques mauvais choix m’ont joué des tours. En conséquence, puisqu’il fallait bien retravailler, j’ai dû me confronter à un système que j’avais pourtant réussi à éviter jusqu’alors. J’ai même dû prendre un agent…
Mais étrangement, je dois aussi à ce tournage les racines d’une sorte de « mythe Terry Gilliam ». Aujourd’hui, ce qui semble malheureusement me caractériser aux yeux du grand public, ce sont mes échecs. Contrairement à d’autres, les miens ont été médiatisés, voir surmédiatisés. Ainsi, ils en sont devenus le symbole de ma carrière : celle d’un réalisateur loser (en témoigne encore la mort d’Heath Ledger en plein tournage).
Les attachés de presse semblent d’ailleurs penser qu’il s’agit d’un bon argument commercial, jouant sur cette image de rebelle poissard au sein du système. Je n’ai jamais cherché à devenir un symbole, mais on ne peut nier que cette vision soit aussi devenue un véritable argument de vente. Dichotomie intéressante : alors qu’en même temps, je suis constamment en quête de distributeurs pour mes films, on me récompense. On m’a accordé à Stockholm le titre de visionnaire. Je ne le savais pas jusqu’à ce que Stockholm le décide. Je supposais que j’étais juste un réalisateur. Maintenant, je suis un visionnaire. Mais pour la dernière fois, on pense que je bouffe littéralement l’argent, mais c’est faux ! Tout ça à cause de ce film, Munchausen, et peut-être de ce Cinématon de Gerard Courant en 1985…