Lorsqu’un Jésus de Nazareth mourut en année 0, ses disciples commencèrent à transmettre la légende ; ils véhiculèrent ses miracles et développèrent ce qu’on appellerait plus tard la « foi en Jésus Christ », à l’origine de deux siècles de guerres et de réconciliations autour d’un homme cloué sur une croix en forme de panier de basket. Pour le Christ, la fin s’était faite sans filet et ce fut le début de sa légende. Les successeurs, aussi nombreux soient-ils, ne parvinrent jamais à monter aussi haut. Question de détente, peut-être.
2003 ans plus tard, un événement presque similaire se reproduisit. Le 16 avril 2003, Michael Jordan, 40 ans, jouait son dernier match avec les Washington Wizards, une équipe de seconde division avec laquelle il avait choisi de terminer sa vie sur terre. Une route de Damas sans révélation au bout de laquelle l’attendait une défaite et seulement 15 points au compteur. Mais à l’inverse de Jésus terminant sa course seul et sur les rotules, MJ ne se doutait pas que, caché quelque part dans l’arène, un jeune gamin nommé James l’observait, attendant patiemment son heure.
L’élu
C’est à partir de là que l’histoire s’accélère à grandes foulées. Alors que Jésus poireaute depuis deux siècles pour qu’un barbu reprenne son flambeau, MJ n’aura pas eu à attendre longtemps. Sorti du terrain en avril 2003, il sera rapidement remplacé par un mutant de 2 mètres 3 et 113 kilos dont on dit, quinze ans plus tard, qu’il peut encore soulever les foules avec son petit doigt. Cet homme est presque capable de jouer à tous les postes, il a trois bagues de champion NBA accrochées à ses doigts, fait partie du club très restreint des sept joueurs de l’histoire à avoir marqué plus de 30 000 points pendant leurs carrières et sa barbe de djihadiste converti cache un cœur gros comme ça ainsi qu’une polyvalence comme on n’en a pas vu depuis l’invention de la télécommande multi-fonctions. Cet homme, c’est King James. Il porte le même numéro que Dieu.
L’un de ses surnoms, The Chosen One (l’élu, en V.F.), résume bien la situation dans laquelle s’est retrouvé Lebron James le jour de sa naissance. Il est d’abord né à Akron, Ohio, à moins d’une heure de route de Cleveland, où il fait ses débuts après avoir été drafté en première position, deux places devant Carmelo « caramel mou » Anthony, l’autre basketteur à bandana qui fait rapidement débander. C’est une digression, car l’important est ailleurs, à Akron, ville insignifiante des pneus Goodyear où le petit Lebron a grandi sans ombre paternelle. « Akron, c’est ma maison, c’est un membre de ma famille, c’est mon père » dira-t-il une fois arrivé au sommet. Son père, Lebron, ne l’a pas connu. Il a grandi dans les quartiers chauds de la ville avec sa mère qui bossait pour deux. Le petit James, lui, n’oubliera rien.
Après son premier titre de MVP, en 2009, c’est au QG de son adolescence, à Akron, au Lycée Saint Vincent-Saint Mary, que Lebron décidera de venir fêter sa récompense. C’est là qu’il a fait ses armes et développé ce que certains appellent un talent surhumain pour le ballon orange. « Never forget where I came from » dit-il le jour de la remise du prix. C’est tellement beau qu’on dirait du Bob Dylan. Cette saison-là, Lebron a marqué en moyenne 28 points, chopé 7 rebonds et distillé 7 passes décisives en moyenne. C’était il y a presque dix ans, et alors que la logique terrestre aurait voulu que ses stats baissent avec l’âge, le King James affiche, l’air de rien, des chiffres encore meilleurs en 2018. Cet homme est-il humain ? Spoiler alert : non.
Ni gauche ni droite
Bien avant l’avènement du enmarchisme de Macron, Lebron a refusé de choisir entre les forces en présence. Pour faire simple, disons qu’il est ambidextre. C’est l’un de ses nombreux super pouvoirs, et qui lui donne la capacité de marquer dans à peu près n’importe quelle position, à n’importe quelle distance et surtout, à n’importe quel moment. Au-delà des stats, des victoires et des récompenses, une chose est sûre : Lebron ne joue pas au basket ; il fait du patin à glace. Mieux même, c’est une danseuse. L’un de ces rares joueurs de NBA qu’on puisse prendre du plaisir à regarder même sans avoir aucun des fondamentaux requis. Une jouissance oculaire non censurée en quelque sorte, un plaisir familial, que de voir ce paquet de muscles glisser, à chaque match, sur le parquet ; traumatisant les arceaux avec une fureur animale et comblant ainsi l’envie bien légitime des spectateurs de sauter sur leurs sièges et canapés – c’est un autre sport – à chaque action conclue par un dunk à décorner les bœufs. Durant la première partie de sa carrière, ce sera la marque de fabrique de Lebron et YouTube est gavé d’actions mémorables où les adversaires semblent tout simplement se mouvoir au ralenti.
À l’instar de Kobe Bryant ou de Russell Westbrook, Lebron n’aurait pu être qu’une attraction, une machine à points ou à triple double, un attaquant de plus. Mais si le second numéro le plus célèbre de l’histoire mérite qu’on s’y intéresse, c’est parce qu’il est presque capable de jouer à tous les postes ; et rien que pour ça, un match de Lebron, même une défaite, est un régal comme on n’en a pas vu beaucoup avant, et comme on n’en verra plus beaucoup après. L’idée même qu’un tas de barbaque de 2 mètres puisse à la fois être meneur, arrière ou encore ailier fort fait de lui une combinaison surhumaine entre Jordan (le sens du tir décisif), Karl Malone (la brutalité) et Magic Johnson, pour la lecture du jeu et ce don pour les passes, qui traduisent en filigrane une générosité sur le terrain dont peu sont capables. Lebron, distributeur et multiplicateur de pains comme Jésus ? Attendez, on se calme. Si James a fini par devenir King James, c’est parce qu’il est à la fois le bon et le mauvais, et surtout aux antipodes de l’étiquette de Mr Nice Guy détenue par Stephen Curry, l’homme apte à réussir un trois points même depuis le parking du stade.
The Decision
Toute bonne histoire possède sa part de dramaturgie. Celle de Lebron est celle d’un aller-retour entre ses terres natales et le pays de la trahison. Tout bon fan de basket se rappelle de l’épisode dit de « The decision », au cours duquel James décida, en 2010, de larguer les amarres pour le Miami Heat en récoltant au passage deux titres NBA mais aussi la réputation du mec le plus ingrat du circuit, traître d’une ville qui lui avait pourtant tout donné. Cleveland abandonné, son joueur fétiche fera sien l’adage affirmant que « choisir c’est renoncer ». Et en décidant de préférer la gloire, Lebron inaugurait ainsi, au début des années 2010, l’un des plus beaux hooks de l’histoire des séries sportives. Certains s’en seraient contentés, car les sports collectifs contemporains s’accommodent assez mal de la fidélité. Exception faite de Jordan, encore, rares sont les stars contemporaines à être restées toute leur carrière au même endroit. Shaquille O’Neal, pour citer celui qui le rejoindra brièvement aux Cavs en 2009, aura connu six clubs dans sa longue carrière. Et ce n’est qu’un exemple de la culture du trade qui, maintenant qu’agents et argent ont le pouvoir, a complètement libéralisé le jeu.
Lebron, lui, gagnera donc deux titres avec le Heat puis, pris d’un remords tels que seuls les héros disposant d’une conscience peuvent en avoir, décidera de rentrer à la maison pour offrir un titre à sa famille, Cleveland. C’est ce qu’on appelle la repentance. La morale est belle, mais le chemin sera long jusqu’à la bague, finalement obtenue en 2016 au prix d’une victoire contre les Warriors de Curry. Deux actions resteront gravées dans les mémoires : le fameux block du game 7, et le shoot à 3 points qui mortifiera l’équipe d’en face, et signé Kyrie Irving, rookie of the year en 2012 chez les Cavs du temps où Lebron était parti bronzer à Miami. Réunis en 2014 au retour de l’enfant roi, les deux deviendront l’une des plus belles doublettes du circuit, jusqu’à ce que le disciple ne veuille surpasser le maître.
Toi aussi, mon fils
En fait, l’histoire de James ressemble à un morceau de rap (logique quand on connaît son amitié avec Jay Z ou Kendrick Lamar). C’est le son de la revanche perpétuelle et des règlements de compte, une comptine urbaine où l’ennemi surgit de nulle part et vous brise la nuque par derrière.
Cette trahison, celui qui pensait avoir lavé ses pêchés en revenant à Cleveland l’a vécue à son tour, voilà un an, quand le petit Irving décida en 2017 qu’il voulait, tel un arbre empêché de pousser par un séquoia, grandir dans sa propre équipe. La conclusion de cette poignardise, c’est, quelques mois plus tard, un double assassinat à la Brutus : Lebron, exsangue, vivote désormais chez les Cavs en tenant la baraque à lui tout seul au risque de se faire éjecter des playoffs de façon anticipée ; Kyrie, enfin maître de son propre domaine chez les Boston Celtics, s’est finalement blessé en fin de saison en laissant ses nouveaux coéquipiers livrés à leur sort pour la phase finale.
Est-ce la fin d’une épopée débutée en 2003 ? Si tel était le cas, l’élu aurait déjà parcouru le chemin bien plus que n’importe quel autre joueur, et les exemples ne manquent pas pour dire que sa main, elle n’a que rarement tremblé ; du moins jusqu’à ce dunk raté, pendant la dernière saison, où Lebron, finalement, prouvait que s’il était faillible, il était encore plus humain.
Ainsi donc se termine pour l’instant le règne de Lebron, l’homme qui après avoir quitté son peuple décida de revenir à Cleveland pour réaliser ses prophéties et qui, trahi par un Judas nommé Kyrie, semblait condamné à mourir seul sur sa croix ou à ressusciter une seconde fois, sous un autre maillot. Croyant ou pas, un signe ne trompe pas : Lebron James a aujourd’hui 33 ans.
6 commentaires
niggers eat ur pussy
Les Playoffs en ce moment sont énorme et Cleveland terre d’accueil d’Howard le canard et Lebron James vont avoir du boulot face à une très bonne équipe d’Indiana !
23 chiffre de Dieu?
ah ok , Mickael Looney Jordan!
« Gracieux » pour qualifier James… Merci pour le fou rire.