Des faits, des freaks, du fun… depuis plus de 30 ans, un homme a fait sienne cette devise au travers d’une trentaine d’ouvrages encyclopédiques jouissifs sur les incongruités de l’espèce humaine. Alors que Martin Monestier vient de s’éteindre à l’âge de 79 ans, voici le portrait écrit par Denis Roulleau, de son vivant, et paru dans le Gonzaï n°5, en janvier 2014. Histoire d’un homme qui a dormi pendant trois ans dans un cercueil siglé de ses initiales !

Après avoir remarqué que les animaux castrés augmentaient de poids, de nombreux cannibales antillais et africains appliquèrent la même méthode pour faire grossir leurs prisonniers destinés à être mangés” ; “Au début du XXe siècle, les Chinois faisaient boire aux suppliciés une grande quantité d’essence et leur introduisaient par la bouche une mèche qui descendait dans l’estomac et qui dépassait de la bouche de cinq à vingt centimètres. Lorsqu’on allumait cette mèche, le condamné envoyait une immense gerbe de feu et explosait”… Voici le type d’informations primesautières que le lecteur, s’il ne s’est pas pendu haut et court avant la fin du premier chapitre, dénichera dans les ouvrages de Martin Monestier, traduits dans vingt langues, régulièrement réédités, et dont la plupart sont aujourd’hui disponibles aux éditions du Cherche-midi : Suicide. Histoire, techniques et bizarreries de la mort volontaire des origines à nos jours ; Histoire et bizarreries sociales des excréments ; Les Mouches ; Cannibales ; Les Poils ; Les Nains ; Les Enfants assassins ; Tueurs à gages ; Les Seins… Sans oublier, parmi beaucoup d’autres, Les Monstres (l’auteur en compte 350 millions dans le monde, de la femme à barbe aux sœurs siamoises), son best-seller régulièrement enrichi et actualisé. “Le point commun entre tous mes livres, c’est la mort et la conviction que l’humanité est foncièrement mauvaise. Le mal est beaucoup plus dynamique que le bien, je suis persuadé que c’est lui qui gouverne le monde”, confie-t-il. Tout en ajoutant que l’histoire des hommes, qui commença par le vol d’une pomme et se poursuivit avec un assassinat et un inceste, ne pouvait être un long fleuve tranquille. Parole d’athée !

“A 36 ans, je sombre en pleine crise mystique, avec des pulsions suicidaires qui me donneront l’idée d’écrire mon premier livre, en 1978, sur ce sujet très sensible ».

Martin Guerre

Vous l’aurez compris, Martin Monestier n’œuvre pas dans le Wikipédia consensuel ou l’Histoire de France softcore pour les nuls – qui le resteront de toute façon. Non, cet autodidacte à la curiosité maladive n’aime rien tant qu’explorer dans le détail les dessous peu reluisants du grand cirque de l’humanité, les perversions les plus infâmes et les tabous qui gênent aux entournures. Sa méthode ? Elle date de l’ère pré-digitale, et consiste tout simplement à compulser des milliers de documents en provenance du monde entier, à recouper les informations et à livrer les faits après les avoir écrits à la main. Et de le prouver avec son dernier pavé, Malfaisances et incongruités de l’espèce humaine – 1 400 pages illustrées, une monumentale quintessence des thématiques chères à l’auteur, qui a nécessité cinq années de recherches ininterrompues et de travail acharné. De la gérontophilie aux godemichés, en passant par des sujets plus légers – en apparence seulement – comme la gastronomie ou le charlatanisme, Monestier décortique les “excréments” de l’Histoire et débusque les secrets oubliés et honteux de personnages historiques. Ainsi, Louis XVI, qui resta sept ans sans consommer son mariage avec Marie-Antoinette en raison d’un resserrement du prépuce qui l’empêchait d’aller au bout du bout (d’après les commentateurs de l’époque, les petites lèvres de l’Autrichienne étaient loin de connaître le même problème) ou bien encore les funérailles de Victor Hugo, qui provoquèrent à Paris des scènes de débauche sans pareille, une rumeur affirmant que tous les enfants conçus la nuit précédant les obsèques du grand homme hériteraient de son génie. Les pantins médiatiques contemporains ne sont pas non plus à l’abri du jugement de l’érudit graphomane. Entre autres malfaisants cathodiques, Nicolas Bedos se voit ainsi gratifier d’un “L’esprit lui manque souvent, l’injure jamais” qui confirme l’aversion congénitale de Monestier pour les célébrités qui n’écrivent pas leurs livres (Nicolas Bedos, si, malheureusement…) et fanfaronnent devant les caméras pour vendre leur produit qu’ils n’ont parfois même pas pris la peine de lire : “J’ai été chroniqueur durant cinq ans dans l’émission Ça balance à Paris sur Paris Première. Cela ne se passait pas toujours très bien. J’ai demandé à Jamel, qui faisait le con sur le plateau, s’il cherchait un second prix d’interprétation, étant donné qu’il n’avait pas mérité le premier… Coupé au montage ! J’ai accusé Depardieu, qui est arrivé ivre-mort, de publier un livre de cuisine parce qu’il venait d’ouvrir un nouveau restaurant… Coupé au montage ! Suite à une critique incendiaire mais justifiée, Lio m’a même affirmé que je ne méritais pas de vivre… Bref, la moitié de mes interventions étaient censurées et Lescure commençait sérieusement à m’avoir dans le nez. J’ai tout arrêté, d’autant que le revenu de la pige couvrait à peine mes frais de déplacement…”

Quelques remarques bien senties, et il en fut donc fini du quart d’heure de gloire hebdomadaire de l’ami Monestier, fouteur de merde cathodique par excellence et par honnêteté. Et pourtant, alors qu’il suffit aujourd’hui à une bimbo décérébrée d’exhiber ses protubérances mammaires pour obtenir son propre show télévisé, le parcours personnel de Martin Monestier mériterait en regard, à lui seul, une chaîne câblée entièrement dédiée. Car là encore, à l’image des milliers de pages que l’auteur a noircies sur les horreurs commises par ses semblables, la réalité dépasse la fiction.

« J’avais transformé ma maison en église, et mes fenêtres étaient des vitraux constitués à partir des radiographies de mon corps. »

Voyage au bout de l’enfer

Né Martin-Sixte Vitanyi en 1942 à Marseille, d’un père juif hongrois déporté à Buchenwald (il n’apprendra son existence qu’à l’âge de 19 ans) et d’une mère femme de lettres, le petit Martin, fasciné par Jack London, a seulement 14 ans lorsqu’il quitte l’école et rejoint un kibboutz en Israël. Partisan de l’Algérie française (“j’étais fasciné par toute l’imagerie de l’Empire, j’y croyais…”), il rejoint en 1961 les unités sahariennes de l’armée française, qui lui donnent le goût du voyage et de l’aventure. Le bidasse se réincarne ensuite en photoreporter pour l’agence Sygma. Après plusieurs tours du monde, il raccroche définitivement l’objectif en 1978, écœuré par le traitement médiatique de la visite du chancelier allemand Willy Brandt en Israël. Ce dernier était tombé en sortant de l’avion et, de ce séjour historique, les journalistes n’avaient retenu, pour beaucoup, que cette gamelle malheureuse. “J’ai alors 36 ans, je sombre en pleine crise mystique, avec des pulsions suicidaires qui me donneront l’idée d’écrire mon premier livre, en 1978, sur ce sujet très sensible. À l’époque, j’ai dormi durant trois ans dans un cercueil. J’avais transformé ma maison en église, et mes fenêtres étaient des vitraux constitués à partir des radiographies de mon corps. Je jouais avec le feu… et à la roulette russe, à trois reprises, tout seul. Une balle dans le barillet, une chance sur six d’y passer ! La troisième fois, un journaliste et un photographe du Nouvel Observateur qui en avaient entendu parler étaient présents afin d’en rendre compte. Ils ont été horrifiés, car je pense qu’ils n’imaginaient pas que j’allais réellement appuyer sur la gâchette. À ma connaissance, l’article n’est jamais paru, et je n’ai plus jamais entendu parler d’eux… Paradoxalement, toutes ces folies m’ont permis de me reconstruire.” … Et de continuer à écrire de précieux ouvrages qui, bien souvent, entrent en résonance avec une vie privée qui ferait passer Koh-Lanta pour un séminaire de relaxation à l’hospice des vieux glands. “Je voulais me débarrasser d’un rival amoureux et j’ai passé cette annonce sous pseudonyme dans Libération : Recherche homme jeune, connaissant les armes, pour mission très délicate, très bien rémunérée. Ecrire à Naïm.’ J’ai reçu tellement de réponses, essentiellement des amateurs – dont l’un me proposait même sa spécialité, “faire exploser” la victime –, que j’en ai oublié ma propre affaire et écrit Tueurs à gages.

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Midnight Express

La place manque ici pour évoquer plus en détails les nombreuses tribulations de ce Diderot et D’Alembert à lui tout seul : il est resté à Cuba durant six mois, sur l’invitation de Fidel Castro, pour écrire l’histoire de l’île à travers sa monnaie (“j’étais le renard de droite dans le poulailler de gauche”) ; il a erré deux jours autour du lac Baïkal (Sibérie), strictement interdit aux étrangers, avant d’être arrêté et invité immédiatement à prendre place dans un avion pour Moscou (“le plus incroyable, c’est que les services de sécurité m’ont remis une énorme littérature antisémite en français, en me demandant à moi, juif par mon père biologique, de la diffuser en France…”) ; il collectionne les dessins d’étrons (“j’ai la reproduction de l’étron d’un pape, et de celui d’une none qui l’accompagnait. Ils sont totalement différents, alors que nous savons qu’ils étaient soumis au même régime”) ; il considère les mouches comme le pire ennemi de l’homme (“Près de 80 000 espèces se partagent la planète, elles se sont même invitées dans les sous-marins atomiques et les navettes spaciales”) ; il a déjà mangé du boudin humain ; il a construit sa maison de ses propres mains… Sa bosse, Monestier l’a roulée, et pas qu’un peu, s’improvisant même barbouze volontaire dans une opération digne de Midnight Express et d’Argo, opération qu’il raconte dans ces colonnes pour la première fois. “J’étais photographe. Je connaissais un trésorier du RPR, véreux mais très sympa, qui me demande conseil à propos de la fille d’un de ses amis, qui s’était fait arrêter en Thaïlande avec de la cocaïne dans son sac. Son copain avait glissé la came dans ses bagages, à son insu. Elle risquait l’emprisonnement à vie. Non seulement j’avais une idée, la substitution, mais j’allais moi-même la mettre en œuvre, pour le sport ! Je suis arrivé en Thaïlande en tant que photographe, avec plusieurs mannequins dont une, au parfum, que j’avais spécialement sélectionnée pour sa ressemblance avec la prisonnière. Je prends un avocat, qui achète le juge. Celui-ci ordonne la libération de la fille, que je récupère assez facilement. Le problème, c’est de lui faire passer la douane de l’aéroport munie des papiers du mannequin, qui les avait au préalable déclarés perdus aux autorités. Et là, je sens que les douaniers nous scrutent, flairent le mauvais coup. Ils commencent à m’interroger, à fouiller ma valise, franchement c’est l’une des plus grandes peurs de ma vie. Mais bizarrement, ils ne s’occupent pas du tout de la supposée mannequin, et je commence à comprendre : le groom de l’hôtel, qui m’avait vendu de l’opium, m’avait certainement dénoncé moyennant finance. En fait, les douaniers cherchaient l’opium – que j’avais, pas fou, laissé à l’hôtel, caché dans le tube néon de la salle de bains. Ne trouvant rien, ils nous laissent nous envoler pour Paris, où je remets leur fille aux parents. Dix ans plus tard, j’apprends par hasard que la gamine est toxico. Là, je me suis dit qu’elle avait pipeauté, qu’elle n’avait pas de méchant petit copain et que c’était sûrement sa propre cocaïne !”

Aujourd’hui assagi, mais l’esprit toujours alerte, Martin Monestier, du Sud de la France où il réside désormais pour des raisons de santé, ne parcourt plus le monde. Il continue néanmoins de disséquer nos mœurs, et reste un observateur averti et iconoclaste d’un monde qui ne tourne décidément pas rond. Finalement, devant tant de malfaisances humaines, une question brûle les lèvres : et l’amour dans tout ça, Martin Monestier ? “L’amour, bien sûr… Il est à l’origine de la plupart des comportements les plus destructeurs : jalousie, violence, trahison…” On ne se refait pas !

Photos : collection Martin Monestier

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