Un jour, comme l’écrit Blondin, nous prendrons des trains qui partent. Ceux-ci atterriront alors certainement dans des paysages pareils à ceux d’un Futuroscope sans touristes. Des plaines d’attractions évacuées et des vallées de pavillons abandonnés. Récit d’une dérive dans le parc du présent visionnaire, en compagnie des lapins crétins, de J.G.Ballard et de Martin Solveig.

Le summertimes blues avait commencé de tisser sa toile sur Paris quand, accompagnée de W, je décidai d’honorer le voyage de presse offert par le parc de Chasseneuil-du-poitou. Nous étions tous deux résolus à soigner la nostalgie qui accompagne les débuts d’été, à grands coups d’Imax, de robocoaster et autres walkthrough sensoriel. Le train partait à 7h46. Le futur c’était maintenant.

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I. Ce qui ne vous regarde(ra) pas

Goûter le silence d’une gare est un plaisir subtil : nous apprécions celui de la station déserte du Futuroscope, ses passerelles en surplomb de paysages remodelés par l’homme, avant de nous mêler au bavardage de nos confrères journalistes. La visite organisée se déroule sous un ciel sans couleur, dans l’ennui des choses comprises et de la novlangue de l’art contemporain. Après échange de cordialités avec les responsables du Futuroscope-crée-en-87-44-millions-de-visiteurs-2ème-parc-français-76-millions-de-chiffres-d’affaire-en-2013, W et moi faisons tinter nos cuillères à café pour applaudir les discours officiels tout en rêvant à des soucoupes plus volantes.

Dans les allées du parc, des installations artistiques répondent au sérieux du thème « L’art d’en rire ». Debout, dans un cabas orange fluo de trois mètres de hauteur, un homme nous interpelle : « Et si, au bout de nos achats, nous devenions nous-même une sorte de produit à acheter et à emporter ? ». Nous écoutons sa question sans aller jusqu’à nous la poser. Ailleurs, on nous désigne deux gros porcs en équilibre sur une poutre de métal : « une manière de souligner que bien des actes de vos vies sont suspendis et qu’il nous faut apprendre à marcher en trouvant l’équilibre ». Aucun expression ne traverse nos visages. W marmonne : « ce n’est pourtant pas que les installations soient bonnes ou mauvaises en soi, mais bien plutôt que leurs intentions artistiques se fondent dans le lieu, qu’elles n’ont pas à être dévoilées. Le terme de Land Art n’a peut-être jamais si bien porté son nom, parce que les meilleures « oeuvres » conçues pour le futuroscope ne sont pas celles qui se plient à l’amusement de ses visiteurs ou à la logorrhée du présentateur, mais bien celles qui se mettent au service aveugle du parc comme entité démiurgique, ces pigeons de métal qui surveillent froidement les abords d’un bâtiment aveugle, ce cochons aux aguets qui crée un lien diffus entre 1984 et La Ferme des Animaux, ou encore cette éolienne placée au somme d’un tertre et qui semblent adresser des signes aux architectures environnantes, par dessus la tête des visiteurs inconscients. »

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Les choses qui nous fascinent, somme toutes, ce sont comme toujours les choses qu’on ne nous désigne pas. On aime à regarder ce qui ne nous regarde pas. Aux côtés des oeuvres, il y a ces fontaines pornographiques aux allures decum canon, ces escargots d’allée voués au désastre piétons et puis, au loin, l’enfant au t-shirt Bruce Lee qui saute nerveusement sur sa pomme de pain. A vous donner faim. Nous traînons nos gargouillis vers le restaurant gastronomique du parc, Le Cristal, pour y expérimenter sa cuisine moléculaire made in INRA.

2. Molécules et indigo

Dans le décor d’une maison de retraite futuriste, sorte de futur déjà passé, le titulaire de la toque blanche internationale nous promet « la science et l’art réunis dans une assiette, de la cuisine pour les pupilles et pour les papilles ». Moi, je n’ai qu’un seul désir en tête : je veux échanger un regard prolongé avec cette grosse femme aux cheveux indigo. La comprendre. Sonder son intériorité. Expérimenter avec elle la gomme de caroube. Découvrir à ses côtés « l’effet dragon » promis par le menu. Les plans de table ayant décidé de nous séparer, il me faut l’observer de loin ; l’aimer discrètement quand elle rit face aux effets moussants, gélifiants et craquants de la nourriture en transit dans son assiette ; l’adorer chastement quand elle pousse des cris de musaraigne en avalant du dioxyde de carbone gelé, cette neige carbonique qui ne fond pas mais qui « sublime », passant directement d’un état solide à un état gazeux ; et avoir envie de lui faire un amour sans bruit quand elle finit par avaler l’ensemble de ses sphères de menthe à l’alginate de sodium en une bouchée avant de s’en désoler en gloussant « mais je ne me souviens pas de les avoir mangées, je ne me souviens pas de les avoir mangées ! ».

L’heure de l’effet dragon arrive. Deux serveurs Folamour, blouses blanches et lunettes de sécurité Frey, se tiennent au dessus de larges marmites d’azote gazeuse. « Nous allons vous livrer nos meringues glacées, mais veuillez bien suivre les instructions avant de les avaler… ». Regard torve. Ton patibulaire. Nous commençons à trembler et eux, à s’avancer vers leur premier cobaye, pour lui glisser, du bout d’une cuillère percée, une meringue entre les babines. Le cobaye grimace. Un temps. Son nez crache soudain une épaisse fumée blanche. Autour d’elle, l’ambiance prend feu. Des rires explosent de tous les côtés. Les faciès se déchainent. Les hommes se tapent les cuisses. Les femmes se tirent les cheveux. Moi, je n’ose plus bouger. Cette femme qui inaugure le test des meringues à la Morgoth, ce n’est autre que ma grosse amie aux cheveux indigo qui, tout en soufflant, m’offre le regard privilégié que j’attendais depuis le foie-gras. Tandis que ses narines évacuent deux ou trois derniers petits nuages de fumée, nous nous aimons violemment. Le repas prend fin.

Dehors, la chaleur du midi finit de parfaire notre léthargie de gros bouffeurs. Le ventre plein de molécules, nous nous trainons en peine sur des escaliers métalliques. Il y a ceux qui rêvent de plonger et ceux qui rêvent de ronfler : plus personne n’a le cerveau assez émacié pour continuer à parler. Les guides nous abandonnent. Les journalistes disparaissent. La novlangue s’évapore. Le repas laisse place au repos, et on part ronfler dans un autre futur possible : l’antre des Lapins Crétins.

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  1. Vol au dessus d’un nid de cons-cons

Les lapins crétins, avec leur balais à chiottes sous l’aisselle et leurs yeux d’héroïnomanes en phase terminale, ont germé en 2006 dans le cerveau contaminé de Michel Ancel (concepteur chez Ubisoft) pour ensuite se déployer dans la série des jeux vidéos Rayman contre les lapins crétins, s’exporter en BD, servir d’effigies aux marques Renault ou Coca-Cola et finir, en 2013, par s’installer au Futuroscope, sous la forme d’un musée de la débilité. Dans la première salle de celui-ci, on découvre donc une collection de tableaux plus crétins que ce devin de St Brieuc qui lit l’avenir dans des tranches de jambon industrielles, où les toiles les plus célèbres de Van Gogh, Hopper et autres David Friedrich sont infestées de lagomorphes hystériques, quand dans la seconde, on admire une bibliothèque du bon goût où « Bonjour Tire-Fesse » de Françoise Sagouin côtoie « Le crétin imaginaire » de Molaire ou « Toutes les crétines du monde » de Pascal Quignon. Face à ces propositions, nous versons des larmes invisibles et bien malin qui saurait dire si de rire ou de pleur.

A l’issue du musée, un petit train sensoriel nous attend, dans lequel les lapins entendent nous faire revivre 2000 ans d’histoire en 5 minutes de gag. Plaisir et vitamines. Car les lapins crétins, comme toutes les figures radicalement grotesques – de celles de Jérôme Bosch aux autres de Nicolas Cage ou de Homer Simpson – ont ça d’intéressant qu’ils vous obligent, par mimétisme, à vous considérer vous-même comme une parodie, à vous croquer en caricature et, ce faisant, à prendre une fulgurante distance vis à vis de la réalité. Le rire gratuit est une fusée qui nous décolle du présent. Nous quittons notre torpeur initiale. Ce que nous réclamons, maintenant, c’est le trip Martin Solveig et son attraction de clubbing futuriste « Danse avec les robots ».

4. Transe avec les robots

Devant la cave à stroboscopes de chez Martin, un type en pyjama suçote un sorbet. Il fait maintenant très chaud dans le parc, et pénétrant le club, je repense à ma grosse amie indigo, m’attendant à la retrouver en sueur, chuchotant à l’oreille des robots. Mais non. La piste de danse du club Solveig n’est peuplé que d’individus aux dents de lait et sur la quinzaine d’écrans géants disséminés dans la boîte, seul Martin s’exprime. En Big Brother de l’innocent, l’hologramme du DJ répète inlassablement : HELLO, JE VAIS VOUS FAIRE DANSER. Sous lui, des bras de fer géants bercent une petite poignée de visiteurs au son de Beyoncé. A vous donner envie de vous enjailler. Nous passons donc le tourniquet et nous engouffrons donc dans les fauteuils de métal de l’attraction. Ici, bercés par la mélancolie des manèges vides et par le spectre des pop-stars éphémères, nous laissons Martin nous renverser. La tête en bas, le beat en haut, on se surprend à rêver.

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Et si le futur, c’était ça ? Une boîte de nuit qui vous engouffre en plein jour, une piste de danse sans sueur où seuls des robots vous invitent encore à danser, une voix qui boucle des punchlines aux abonnés-absents et cinq tubes qui reviendront pour l’éternité. Danse avec les robots, en basse saison, a la qualité de son apparente misère : on imagine mal plus juste restitution de la solitude des boites d’ennui, du vide caché derrière l’hystérie des néons et de la nostalgie des danses machinales. Nous ressortons de l’attraction pleins d’un grand vide moteur. D’un vide japonais. Dynamique et confiant.

5. Le désert des attractions

Là haut, les nuages ont adopté notre humeur. Imposant leur vapeur, ils menacent les quelques attractions que nous n’avons pas eu le temps d’essayer. Le parc est plus dépeuplé que jamais. Nous qui rêvions de nous éclater dans « Balancier des sportifs », de nous avachir dans le « Splash des loustics », voire même de siroter un vittel-fraise au 37ème étage de « l’Aérobar », sommes chagrins de nous voir refuser l’accès à ces attractions pour « cause d’intempéries ». Mais il y aura toujours le paysage. Autour de nous, le béton et les arbustes se livrent une bataille sans merci quand les pavillons archisculpturaux de Denis Laming, sous ce ciel sale, appellent le souvenir des nouvelles de Ballard et de la poésie pour zones industrielles de Houellebecq. Trempés par la bruine, au milieu des tours de métal, nous marchons vers nulle part en ne discutant de rien, savourant simplement la petite apocalypse qui vient. Sur notre chemin, deux hamacs. S’y assoupir un quart d’heure pour se remettre les rêves en places, puis – l’orage va éclater – repartir errer.

Où sont passés les journalistes de ce matin ? Où le guide narcotique et où l’enfant écrabouilleur de pommes de pain ? Où, surtout, ma grosse au poil indigo et aux narines de dragon ? Autour de nous, il n’y a plus personne. Dans ce complexe, plus rien à faire. Nous traversons donc une dernière fois le « jardin des humeurs » et, grimpant sur la plaine de Poitiers, finissons par abandonner ce parc déserté, heureux d’avoir pu, le temps d’un après-midi, quitter notre tristesse d’aujourd’hui pour visiter la mélancolie de demain.

http://www.futuroscope.com/
Photos : William Burren

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