Pour les branleurs qui ont commencé à s’adonner à leur passion coupable avant l’arrivée d’Internet, la recherche du Graal s’apparentait plus au chemin de croix qu’à la promenade de santé. Le porno était un sujet tabou dont on parlait peu avec les filles, alors qu’elles en matent toutes de nos jours. Du moins celles qui consentent à l’avouer.
Les produits de niche – tels « gagging lactating mums »- n’existaient pas. Il fallait prendre sur soi et se les procurer via les sex-shops et leur faune interlope. Depuis, la branlette et le porno sont devenus cool et c’est tant mieux. Logiquement, la difficulté à se procurer de la matière masturbatoire a permis l’émergence de valeurs sûres, comme Laetitia. Cette icône s’est lancée grâce au Minitel et a su créer son univers, cru et foutrement excitant. Vingt-trois ans plus tard, elle est toujours là, tandis que ses consœurs se sont échouées sur l’autel de la réalité, en même temps que leurs illusions. Hors du cul, point de salut !
Laetitia me raconte sa vie et ses projets, sans cache-sexe, dans une pizzeria proche de la Gare Saint-Lazare. Sa spontanéité et son assurance permettent de briser la glace rapidement. Pas de bol, sa caméra vient de tomber en panne : « Elle a avalé trop de sodomies, elle n’a pas supporté et m’a lâchée. Je vous rassure : j’ai une caméra intérieure, dans la tête, je vous filme pendant qu’on parle !» Née quand Brigitte Bardot jouait Camille dans Le Mépris, cette mère d’un fils de 15 ans a pris les devants pour le protéger : « Je ne suis pas une maman comme les autres, je filme les gens qui s’aiment. Je savais quand j’étais petite que je voulais être sous les feux de la rampe. Je passais mon temps à faire la vedette et à amuser la galerie. Je suis devenue libertine et j’ai trouvé ma voie après avoir tourné des films à 18 ans avec des réalisateurs qui étaient nuls. Ils me forçaient à faire des scènes avec des mecs qui ne me plaisaient pas. Au bout de dix films, j’ai décidé d’arrêter pour me lancer seule. Le Minitel, donc : les gens se cachaient et protégeaient leur anonymat contrairement à maintenant. Les consommateurs sont devenus plus capricieux et veulent tout et tout de suite »
Sa notoriété, elle la doit aux deux grandes séries de films X qu’elle a réalisés. L’Ecole de Laetitia d’abord, dans laquelle elle réunissait de jeunes actrices et les filmait en pleine action. Julia Chanel, Draghixa et Olivia del Rio ont ainsi fait leurs débuts sous la houlette faussement autoritaire de Laetitia. Les épisodes d’Intimité Violée par une Femme la mettaient en scène chez des particuliers, les conseillant et leur apprenant à s’éclater. Elle pouvait à l’occasion baiser avec ses hôtes si ceux-ci lui plaisaient. « Les couples que je rencontrais dans les années 90 étaient assez soumis. Ils attendaient de moi que je leur prodigue des conseils : les femmes me demandaient comment s’habiller, quelles positions essayer. Cela ne serait plus possible aujourd’hui. Mon gamin est au courant de pratiques que les couples de l’époque apprenaient passé vingt-cinq ans. Les gens n’ont pas attendu d’avoir cet âge pour recevoir Laetitia et essayer la sodomie, ils ont déjà tout fait. Les femmes se faisaient offrir une guêpière pour l’occasion. C’est fini tout cela ! Et j’ai toujours voulu réaliser, pour pouvoir moi-même choisir mes partenaires. Quand l’ambiance me plaisait, je touchais Madame ou Monsieur histoire de participer. Rien n’était planifié, parce que si l’on prépare une rencontre, cela ne se passera pas comme prévu et sera décevant. L’excitation vient de l’improvisation. Une fois, j’arrive dans le hall d’un immeuble pour filmer des gens. Un couple semblait m’attendre dans l’ascenseur. Je les chauffe, ils me chauffent à leur tour, on va chez eux et là, je comprends que ce n’était pas les personnes qui m’attendaient. Ca s’est fini dans l’appartement à baiser ensemble avec les voisins. »
A l’époque, Laetitia détonnait avec son énorme caméra à l’épaule, symbole hypersexué du pouvoir doux et respectueux qu’elle exerçait sur ses acteurs d’un jour. « La technologie a permis leur miniaturisation. Or, je déteste ce qui est petit. C’est valable pour les bites comme pour le reste. Le matériel a perdu en qualité : le grain de l’image, le son… Et puis quand Laetitia, la reine du porno débarque avec une caméra minuscule, c’est quand même moins impressionnant. » Laetitia répugne à filmer des gang-bangs qu’elle trouve laids et avilissants, mais prend un énorme plaisir à réaliser des gros plans en plaçant sa caméra là où ça se passe, « une sensibilité de femme avec un regard de mec ». Son influence sur la production amatrice actuelle est patente mais ses films festifs sont à mille lieues des avatars dégradants et machos qui pullulent sur le Net. « Je ne suis jamais meilleure que quand les autres sont mauvais. Je ne veux pas me forcer et ne regarde pas les films de la concurrence, ne voulant pas être influencée. Je trace ma route, je vis seule car je ne veux pas vivre en couple, je suis insupportable et ne supporte pas de dormir avec un monsieur. Je n’attends pas non plus que les hommes soient soumis, c’est bon pour les films à thèmes. J’ai fait l’amour avec des trans, des travestis, des hommes seuls, des femmes seules mais ce sont pourtant les couples que je préfère. J’aime voir des gens amoureux. J’ai marié des gens et probablement provoqué des divorces. Un mec m’a demandé un courrier pour compromettre son épouse. Je l’ai envoyé bouler !»
A la grande époque, Laetitia débarquait à Cannes en hélicoptère pour recevoir ses Hots d’Or et dirigeait le Paradisio, club libertin montpelliérain. Sa carrière est aujourd’hui plus confidentielle mais vous pouvez toujours essayer de placer son nom dans un dîner chez des potes, il y a fort à parier que vous passerez pour un être exquis aux goûts très sûrs. Aujourd’hui, Laetitia alimente son site officiel (www.la-Laetitia.com) où l’on peut voir et revoir ses quatre cents films. « Mes fans vont lever Laetitia, dormir Laetitia, je vais être omniprésente ! Je n’ai pas peur du streaming : les douaniers ont débarqué un jour chez moi pour m’annoncer qu’ils avaient trouvé trois tonnes de V.H.S. piratées dans un camion. » Elle se penche sur l’écriture de sa vie au travers d’anecdotes et prépare le lancement d’un site gay, trav et trans : « Je connais des soumis qui ont envie de se faire mater par Maîtresse Laetitia. » On ne se refait pas.