Je marchais lentement dans les allées du marchand de disques, livres, petits appareils d'électroménagers, jeux, bidules inutiles, un marchand soi-disant « agitateur culturel » qui voulait me vendre cinq CD pour vingt euros, ou trois DVD pour le même prix, et puis, légèrement écœurée, je suis retournée chez moi et j'ai pré-commandé le prochain album de I Love You But I've Chosen Darkness. Et ça, c'est possible grâce à Monopsone, un label français qui sort perle sur perle.

badges-mono-e1342094782670Monopsone a été monté par Denis « au creux de l’été 1999 ». Il  avait envie d’une carrière de musicien, «  sans pour autant avoir un talent créatif ». Après des années à s’impliquer dans des projets collectifs, comme l’organisation de concerts et de distribution, avec Poplane, le natif d’Orléans monte une structure sans autre objectif que de vivre de belles histoires humaines et de réaliser les disques des artistes qu’il apprécie. « Se mettre au service des autres, organiser, conseiller, donner du sens, c’est mon registre ». Pour leur permettre de diffuser leur musique, si importante au quotidien pour lui, il coche la case label, ce sera Monopsone. « J’ai pioché le nom dans un dictionnaire » explique-t-il. Car un monopsone est l’inverse d’un monopole. « Je le trouve toujours aussi pertinent ». Il sous-entend ce désir d’exigence, de rareté, et joue avec les codes de la musique : le petit label contre les grosses majors. Il est alors seul mais au fil des années, il recrute autour de ses amis. L’équipe est néanmoins resserrée :  ils ne sont que trois au départ, puis cinq, dispersés dans l’ouest de la France, à constituer le noyau dur du label. Ils évoluent sur un pont suspendu entre deux exigences : l’émotion et l’indépendance.

Amateur, sans amateurisme

Le label mise sur le bénévolat, le plaisir, le frisson. Il a été monté avec des fonds personnels. « On sait très bien qu’on ne récupérera notre mise initiale », mais l’essentiel n’est pas là. Monopsone « occupe tout le temps libre » à promouvoir des artistes, cela signifie « défendre bec et ongles leurs disques, les accompagner dans leur processus créatif, batailler pour leur donner de la visibilité ». Le catalogue a été ouvert par une série de vinyles 10″, baptisée Substracks, sous forme de split EP – un artiste différent par face -, avec une recherche graphique autour de la matière première ». Voilà comment Monopsone a débuté sa carrière de label indépendant. « C’était une sorte de manifeste : Monopsone s’adresse aux collectionneurs passionnés, aux curieux» Denis connaît Matthieu Malon, qu’il a fait jouer à Paris (« Un  grand moment de punk attitude, le proprio de la salle voulait nous couper le son, on en rigole encore », se souvient le chanteur) , et le label sort un album de son projet électronique laudanum, une collaboration qui continue encore quatorze années puisque Monopsone a sorti le très beau troisième opus du chanteur, Peut-être Un Jour, et plusieurs de laudanum. Un nouvel EP de Matthieu Malon est paru fin septembre, « Une Deuxième chance » (chance à laquelle le musicien, un peu trop inconnu du grand public, a largement droit, tant son influence en France est grande). C’est en 2000 qu’ils ont décidé de travailler main dans la main. Matthieu Malon est depuis resté fidèle au label.

Monopsone travaille par la suite également avec Epic45  (« à mon avis, l’un des meilleurs groupes britanniques en exercice »), Schengen, plus tard Erik Arnaud, Novö, Richard Aadams, Supercilious… Il y a eu aussi l’épisode  Abstrackt Keal Agram, qui sort en 2001 son premier disque chez Monopsone.  « L’album a connu un fulgurant succès, se souvient Denis, mais avec le recul, je regrette qu’on ne l’ait pas mieux travaillé ». Un succès qui leur échappe des mains. Le groupe file chez Goom. Pas grave : « Accrocher des noms au catalogue comme des trophées de chasse, ce n’est pas notre truc », se défend Denis. Matthieu Malon confirme : « C’est un des seuls labels que je connaisse qui se fout royalement de la hype, du buzz, du mainstream, des leaders d’opinion ou du qu’en dira-t-on. Ils sont là pour se faire plaisir, sortir de beaux disques, des collections qui vivent au-delà de l’artiste seul. C’est aussi une des rares structures qui soit aussi attentive au fond qu’à la forme : en témoignent les pochettes du label depuis sa création, avec un coup d’accélérateur depuis l’arrivée du photographe Stéphane Merveille ».

10373842_709463895785815_875212987837430267_nSortir des clichés

La rencontre entre le label et le photographe se déroule en 2009. « Ils m’ont proposé rapidement de faire des pochettes pour des sorties du label, notamment la collection Fragments, sortie en vinyle 10’’ à l’occasion des dix ans du label : Violens, Zaza, Epic45, The Declining Winter, Darko et Pan Aurora ». Monopsone attache une grande importance a la beauté des objets. Denis peut acheter un disque juste parce que la pochette l’attire. C’est un collectionneur, un amateur de belles choses. Il a importé ce bon goût dans son travail au sein du label. « On passe parfois plus de temps à se mettre d’accord sur une pochette que sur le tracklisting final ! » explique-t-il. Une relation de confiance est établie entre les artistes et le label. Stéphane Merveille a toujours une « carte blanche », œuvrant en collaboration directe avec les articles. Il est devenu un membre à part entière du label, « dépositaire de l’esthétisme de Monopsone » dixit le patron du label. Des pépites musicales, donc. Cet investissement personnel, ce catalogue à part, ces choix esthétiques valent  à Monopsone une place à part dans le panorama des labels français. Stéphane Merveille est admiratif : «  Il suffit juste de jeter un coup d’œil à leur catalogue pour comprendre l’investissement de ces passionnés qui n’ont que pour seule ambition de promouvoir la musique qu’ils aiment. Une dizaine d’années et 34 références plus tard, je pense que l’objectif est largement atteint ». Et, cerise sur le gâteau, ils se paient même le luxe d’imposer le logo monopsone sur le deuxième album de I Love You But I’ve Chosen Darkness.

Copains d’avant… et qui le restent

Monopsone, c’est aussi une bande d’amis. Qui ouvre ses bras à tous ceux qui ne choisissent pas la grande route mais les petites voies ombragées et moins encombrées par la foule. Le label ne mise peut-être pas sur une communication de masse mais joue la carte de la rareté et de la qualité, ce qui est à notre époque un choix de quasis insoumis.

La collaboration entre le groupe I Love You But I’ve Chosen Darkness et Monopsone est représentative de l’esprit du label qui fonctionne à l’affectif, en portant beaucoup de soin à  l’objet, tant au contenu qu’au contenant, avec une forte exigence de qualité globale. Les Texans ont sorti il y a huit ans l’album « Fear is Our Side », et « Dust » sortira le 28 octobre via Secretly Canadian aux États-Unis et dans le reste du monde par le label Monopsone. Un joli coup mais pas une surprise pour Denis : « On est là entre passionnés, entre personnes en marge du music business ». Un monopsone place un acheteur face à plusieurs vendeurs. Le label Monopsone a plutôt le monopole du prochain I Love You But I’ve Chosen Darkness mais on ne peut pas leur reprocher d’agir pour l’appât du gain. Seuls 500 exemplaires seront en vente. A sa sortie, le disque viendra rejoindre les 34 autres références (et 22 artistes signés) du label, dont le site vient d’être récemment relooké. De quoi se répéter, encore une fois, cette phrase de plus en plus évidente : « I love you but I’ve chosen Monopsone ».

http://www.monopsone.com/

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