Vendue au prix d’une voiture de collection aux enchères, bête rare traquée par les amateurs fortunés comme un éléphant en plein safari et propulsée au rang d’objet culte grâce au modèle possédé par David Bowie, la Radiofonografo rr126 est cette étrange boite en bois qui depuis 1965 fait tourner des disques sur son capot, au risque de faire aussi tourner la tête des audiophiles déraisonnables. Retour sur l’histoire de cette invention de la marque italienne Brionvega, relancée ces jours-ci par des puristes loin de se douter que la machine doit sa naissance à un ingénieur nazi.

Les pochettes de nos disques préférés impactent-elles notre écoute ? Le « Bitches Brew » de Miles Davis aurait-il été si révolutionnaire sans la contribution de Mati Klarwein ? Tous les albums récents de Thee Oh Sees tapisseraient-ils la chambre de milliers d’ados si John Dwyer n’accordait pas à un soin tout particulier au visage de ses galettes 33 tours ? Au moment du dernier jugement, quand vient le moment de rendre des comptes au comptable de notre existence, il faut irrémédiablement passer à la caisse : oui, nos pulsions sont également guidées par les apparences et le coffre ; cette fameuse « streamline » conçue par le designer industriel Raymond Loewy et qui consistait à sublimer les objets du quotidien en en encapsulant la technicité moche dans des cercueils consuméristes de toute beauté.

Missile sonique

Cet éloge de la vitesse, qui permettra à Loewy de concevoir la mythologie des voitures américaines fuselées comme la Starliner, on le retrouvait déjà au début du 20ième siècle chez les Futuristes italiens. Il faudra néanmoins attendre la fin de la Seconde guerre mondiale pour que Giuseppe Brion et Leone Pajetta donnent naissance à Brionvega, une marque électronique grand public qui doit sa popularité, minime mais solide, à un produit devenu culte : la Radiofonografo rr126. Une platine modulaire de la taille d’un buffet semi-normand, et dont la particularité tient au fait que ses enceintes « bougent » autour du meuble central.

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Fabriquée comme une Ferrari, avec des gants et un soin tout particulier accordé aux finitions, la platine haute fidélité sort des usines pile au moment où Beatles et Beach Boys se tirent la bourre pour produire les sonorités les plus exigeantes des années 60. Moralité : la création de Pier Giacomo et Achille Castiglioni est une grosse bagnole qui ne rentre pas dans toutes les oreilles. Produite en série limitée, la Brionvega rr126 permettra d’abord à une poignée d’élus de décoller, et parmi lesquels un certain Bowie renfloué par le succès de son Space Oddity, publié la même année que l’alunissage de Neil Armstrong.

radiofonografo noce ambientate18

Un design space age

Si la Radiofonografo rr126 est depuis devenu un objet de collection ardemment recherché par les exilés discaux, c’est aussi parce qu’elle est au fil des décennies devenue l’une des pièces majeures du mouvement space age, typique du 2001 l’Odyssée de l’Espace de Kubrick. Un hasard ? Pas vraiment. Le design de la platine vinyle, pour peu qu’on prenne le temps de regarder attentivement la machine qui nous a coûté deux bras, laisse apparaitre le sourire évasif d’un robot en son centre. L’allure courbée fera le reste : aux angles droits cassants, la Brionvega préfère les coins coupés ; à la fois platine ultime et meuble de salon absolu pour qui a l’argent nécessaire pour pousser les murs.

👩🏻‍🎨 on X: "krystal is using a mid-century modern brionvega turntable that was manufactured in the 60s by pier giamcomo and achille castiglioni. the shape of the record player can be stacked

Un design space age donc, à placer aux côtés de la fameuse Weltron, et qui est tout sauf une coincidence : dès le début des années 60, les patrons de la marque visitent les ateliers de la NASA, alors en pleine compétition avec la Russie pour conquérir l’espace. Bien belle manière de placer le point Godwin : c’est finalement grâce à l’ingénieur allemand préféré d’Hitler (Wernher von Braun, créateur des fusées V2) que les Américains remporteront la bataille des étoiles en 1969 avec Apollo 11 (dont l’aménagement intérieur fut partiellement pensé par Loewy). L’entreprise Brionvega peut quant à elle se frotter les mains : elle vient de mettre en orbite une gamme complète de mobilier dédié aux mélomanes prêt à défier l’apesanteur.
Outre la Radiofonografo rr126, le Radio Cubo et la TV Algol se démarqueront à la même époque par des lignes qui, même 60 ans après, permettent à ces objets, même éteints, d’illuminer une pièce. Posséder un modèle Brionvega, c’est déjà en soi l’assurance d’avoir un sujet de discussion pour vos invités.

Brionvega - Dimensioni Brionvega 1971 Advertising | Brionveg… | Flickr

Un rêve à 7500 €

Soixante ans après ses débuts, la Radiofonografo rr126 n’en finit plus d’être un bon placement. Chacun des modèles d’époque se vend aux alentours de 7500 €, une somme inaccessible pour le commun des mortels, et qui ne fait qu’attiser le désir brûlant de remplacer votre conjoint bruyant par cet objet mélodique. La vente du modèle de Bowie en 2016, pour la somme astronomique de 296 000 €, sera de ce point de vue une rampe de lancement vers la postérité de cette berline italienne dont l’atout est qu’elle bat tous les records de vitesse esthétique à l’arrêt. En comparaison, l’autre modèle maison commercialisé en 1971, la Totem de Mario Bellini, fait pâle figure.

Totem rr231 Bianco Brionvega

A l’heure du streaming et autres platines en plastique – et outre le fait que l’inventeur des platines minimalistes Pro-ject mériterait la peine de mort – la Radiofonografo rr126 est donc autant un fantasme qu’une réalité cauchemardisque : en croiser une chez un brocanteur garantit des sueurs, en acheter une provoque sans doute des remords (« avais-je vraiment besoin de cet objet inutile dans mon salon ? ») et le fait d’en parler suffira à vous faire comprendre que vous venez inévitablement de rentrer dans le club très fermé (et détestable) des mélomanes davantage obsédés par l’apparence que par les disques qui se coucheront, chanceux, sur cette platine inestimable.

Quant à celles et ceux qui se demanderaient combien coûte un modèle neuf, qu’ils fassent réviser leurs pacemakers : les prix oscillent entre 13 000 € (en version blanche) et 20 000 € (pour la version en bois merisier). Le Radio Cubo, lui simple version FM au design maison, est vendu 300 dollars ; ce qui, admettons-le, fait tout de même un peu cher pour écouter Nicolas Demorand et Léa Salamé se faire signer des autographes radiophoniques par les people du moment en promo. Une bonne nouvelle néanmoins : 80 ans après ses débuts, la marque Brionvega connaît actuellement une seconde vie grâce à sa reprise par des artisans italiens ayant ressorti tous les plans historiques pour recommercialiser chacun des produits susnommés. Ne reste plus qu’à revendre votre Rolex ou faire l’impasse sur les vacances en famille avec, en ligne de mire, un voyage spatial à bord d’une platine aux allures de soucoupe volante.

Le site officiel, uniquement si vous venez de gagner à l’Euromillion. 

3 commentaires

  1. grOSSe arnaque! un mec achete d bootlegs de iron maiden sur le parvis du fib66 et les revend dedans 3 fois le prix! some idiots there ?

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