Ce n’est un secret pour personne, depuis la démocratisation du home-studio et des réseaux plus ou moins sociaux, tout le monde ou presque peut faire de la musique et la partager. Histoire de tester l’affaire grandeur nature, je me suis rendu récemment sur Garageband, logiciel d’autoproduction de la marque que tout bon crevard de hipster adore détester. En une soirée, et sans disposer de la moindre connaissance musicale, je suis parvenu à pondre… un morceau. Oui, madame, un morceau.

Mes instruments ? Le clavier de l’ordi, et un joli brin de voix, pour qui serait équipé d’un sonotone en fin de vie. Lucidité oblige, j’ai pris la décision unilatérale de garder pour moi cette pépite fécale, jugeant le world-wide-web déjà suralimenté de productions diverses et avariées, et estimant que non, décidément, le monde n’est pas encore prêt à entendre cet étron sonore pourtant du plus bel effet.
La conséquence de cette démocratisation à outrance de la musique ? Un joyeux bordel ambiant (ça c’est coolos), et la flippante sensation pour l’auditeur lambda de se retrouver confronté à un champ des possibles infiniment éloigné de l’epsilonesque (et ça, c’est pas coolos du tout). En clair, si le « trop de musique disponible » ne tue pas l’auditeur curieux, il le fragilise grandement à coup de crises d’angoisse successives : « bon sang, mais je suis certain que je suis en train de rater LE groupe du moment dont on reparlera dans 20 ans avec émotion… De toute façon, il y a trop de groupes. J’ai plus qu’à me remettre un disque de Belle and Sebastian et chialer comme un gosse à qui on aurait confisqué son boudoir ».

Soyons honnête. En bon geek, j’ai besoin chaque semaine de ma dose de nouveautés, de re-découvertes extraites des abysses de l’histoire (ah, ces rééditions, ce somptueux groupuscule des 70’s que même le gars il avait oublié qu’il avait sorti un album à l’époque tellement il était carbonisé par la dope et les saucisses de Morteaux…), mais là, je dis stop, trop c’est trop. Si trop de couleur distrait le spectateur, trop de musique égare trop souvent l’auditeur.

monkeyband

La ruée vers l’or(dinateur)

Alors que faire ? Se limiter, se sevrer ? Retourner à la bonne vieille collection physique d’une cinquantaine de cédés militairement alignés sur ton étagère Conforama ? L’expérience est tentante, mais ne sombrons pas ici dans une réaction trop aigüe, car l’extrémisme mobilier mène rarement au nirvana, quand bien même ton étagère serait en pin. Point de sevrage donc, mais une nécessité assez étrange et pas coolos du tout pour découvrir des disques que tu n’as jamais entendu et que tu veux écouter au moins autant que le 107.7 dans un bouchon : l’organisation.

Aujourd’hui, nombreux sont celles et ceux qui passent pratiquement autant de temps à chercher de la musique qu’à en écouter réellement, un casque posé sur les oreilles, chaussettes trouées au pied et verre de Valstar à la main. Alors pour limiter ce temps de recherche et optimiser le temps d’écoute disponible, nous devons (parfois même sans nous en rendre compte) tous en passer par là : l’organisation.

Plusieurs méthodes sont envisageables et nous n’évoquerons ici que les plus emblématiques, car en toute honnêteté, cela fait quelques semaines que je ne suis pas allé goûter aux joies simples du crate-digging au Nigéria (et je suppose que vous êtes dans le même cas). Je n’ai donc pas jugé utile de faire un focus sur cette technique post-coloniale qui ne vous concerne pas.
La première technique du mélomane averti est simple : il se pointe la bouche en cœur sur des sites spécialisés (Pitchtruc, Gonzaï, les Inrocks, Magicrpm, etc) et se rencarde sur les nouveautés, les curiosités à découvrir, les quelques merdes à éviter (généralement, c’est là qu’on trouve les meilleures galettes donc mangez-en à l’apéritif pour accompagner des quenelles Petit-Jean). Rien à dire, tout ça c’est bien chouettos, mais au final, on a un peu l’impression de se retrouver guidé par les grands gourous vers ce qui est et ce qui n’est pas. Je cherche de l’indie, mais ces guides abîment mon indépendance à grands coups de notes décimales ou d’étoiles attribuées arbitrairement à chaque chronique de disques ou presque.

Alors après ce premier tour de piste quasi-institutionnel, le mélomane archéologue poursuit sa quête et file tout droit vers des blogs ultra-spécialisés tenus (hypothèse 1) par des no-life vivants encore chez leurs parents à l’âge de 40 ans et quelques gigas ou (hypothèse 2) par une équipe soudée et méthodiquement organisée de geeks. Lors du premier contact avec ce type de blog, tu te retrouves bien souvent submergé par le tsunami de références que tu ne maîtrises pas et dont tu n’as JAMAIS entendu parler. Pour synthétiser : tu te sens tout petit et très con. Pourtant tu adores la soul et tu te considérais jusque-là comme un petit expert en la matière. Problème : tu n’es plus en train de flamber devant tes potes lors d’un barbecue dominical à Montargis-sur-Marne mais devant l’œuvre d’un ou de plusieurs types qui semblent avoir décidé de vouer leur existence à te mettre la tête sous l’eau en te mettant à chacun de leur post face à ton ignorance crasse de…la soul. Bilan : re-crise d’angoisse.

Alors tu poursuis ton chemin en faisant demi-tour (ok, tu adores la soul, mais es-tu vraiment prêt à te fader via Rapidshare ou Mediafire des téléchargements qui prennent des heures pour découvrir, ô joie, que ce groupe inconnu vendu par le blog comme une pépite funk-rock se révèle coupable d’une musique encore plus sucrée que celle des Kool and the Gang au sommet de leur gloire ?), et tu décides, comme toute bonne Bartoli qui se respecte, de retourner aux fondamentaux. Te voilà donc gambadant vers un kiosque à journaux pour te procurer de la presse papier : Tsugi, Magicrpm, Trax, Mojo, Uncut, Rock and Folk… En feuilletant les bestiaux, tu sens bien que tu n’y es plus, que l’excitation et les premiers émois d’adolescent sont un peu retombés et qu’aucun mag papier ne te fera bander comme le mensuel n°48 des inrocks en son temps. Bref, te voilà perdu pour la cause ou pas loin de l’être.

youth-crate-digger

Alors que faire ? Aller surfer sur les sites des labels ? Te perdre sur Discogs pendant des jours en mettant tellement de trucs dans ton panier qu’au final tu repars sans rien acheter ? Non, décidément, tu décides en bon citoyen moderne de donner du sens à tout ça en te rendant chez un disquaire. Ton vieil ami Virgin ayant récemment mis la clef sous la porte pour cause de rupture de stock sur les tubes de vaseline, et la Fédération Nationale d’Achats des Cadres étant ce qu’elle est, tu optes pour un bon vieux disquaire de proximité. Coolos, certes, mais tu sens bien qu’en ce lieu, il existe souvent une charte invisible du style « Debussy niet » ou « le premier qui me cause reggae s’en prend une car je ne jure que par l’indie folk de l’ouest parisien ». N’ayant pas les deux pieds dans le même sabot, tu t’adaptes en faisant le tour de différents disquaires, avant de te retrouver confronté au deuxième drame de ta vie : la crise. Celle de ton compte bancaire qui n’est malheureusement pas en capacité (et nous le déplorons tous) de te permettre d’enchaîner les achats au rythme souhaité (il faut bien avouer qu’à ce stade tu t’es pointé chez le disquaire bardé des informations collectées ici et là) par les magazines, les maisons de disques et autres acteurs du milieu (rien à voir avec celui de Don Corléone). Tu sens l’angoisse monter alors tu achètes rapidement un disque de chez Born Bad (imbattable sur le rapport qualité/prix) et tu te casses aussi vite que les crocs que tu as aux pieds te le permettent.

La solution ? T’enfermer chez toi et y faire venir l’intégralité de la médiathèque municipale du quartier. Donc tu vas sur le Kiloutou de la musique, le valeureux Deezer (désolé pour son concurrent suédois, mais solidarité nationale oblige) et tu recommences à surfer façon Longboard dans le dédale des pochettes proposées. Rapidement, tu t’égares à nouveau et tu en chialerais presque. Alors tu abandonnes, ouvre ton iTunes et lance dégoûté une playlist, celle des « morceaux les plus écoutés ». Au diable donc la recherche épuisante des nouveautés, il n’y a que ton meilleur pote qui sera en mesure de te conseiller deux ou trois bonnes choses lors du prochain barbec’, et ce n’est peut-être pas plus mal.

Sur ce, je vous laisse, j’ai un deuxième étron à composer sur Garageband (et quelques blogs à éplucher).

10 commentaires

  1. Cela pose tout de même une question de fond (oui il en faut un peu) : les meilleures découvertes ne sont-elles pas celles qu’on fait par soi-même ? Et si oui, ne doit-on pas en conclure que la chronique n’a plus de sens, autre que celui de permettre au type de se pignoler ? Je plaide coupable, enfermez-moi.

  2. Depuis que j’en lis, je me dis que cette affaire de chroniques est effectivement avant tout et principalement une bonne auto-pignolade de l’auteur. Et d’ajouter qu’il n’y a pas de mal à s’auto-pignoler avec un bon petit clavier, puisque les temps sont durs, ma pauv’ lucette. Ceci étant, les chroniques véritablement intéressantes sont je crois celles qui mélangent le fond (indispensable) sur le groupe, le label, avec la forme (une histoire, un point de vue, une anecdote, un parti-pris même de mauvaise foi..). Il n’y a rien de plus chiant qu’une chronique expédié en 15 lignes avec le même style que si l’auteur décrivait un baril de lessive.
    PS : t’es déjà enfermé depuis quelques années. Personne ne t’a rien dit? Ah, les bâtards.

  3. Qu’on me rende le Club Dial, sa sélection du mois (Best of Love, volume 1) et son catalogue aussi restreint qu’éclectique. La vie était tellement simple en 1996 (tiens, je viens de trouver malgré moi le titre de mon prochain Ep, que je posterai bientôt sur Garageband avec une pochette second degré remplie de dauphins morts) (multicolores).

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