Cet été, alors que la canicule s’abattait sur la planète entière, j’ai subitement pensé à Keith Richards 75 ans au moment de l’écriture de ces lignes. Au jour d’après sa mort, plus précisément. Et je me suis demandé à quoi ressemblerait un monde sans lui.

A vrai dire, je mens un peu. Tout a débuté un peu plus tard, en découvrant une édifiante interview d’Yves Cochet, à peine plus jeune que Keith Richards. C’était en septembre, et cet ancien responsable politique d’Ecologie Les Verts annonçait la fin de l’Humanité dans une vidéo « collapsologique » où il expliquait, dans le plus grand des calmes, que la moitié des êtres humains disparaitrait d’ici 2050. Vous avez certainement déjà entendu ses propos ; l’homme a fait le tour des plateaux. Face à des journalistes circonspects, Yves explique depuis quelques semaines à qui veut bien l’entendre que tout VA basculer d’ici 2030 et qu’il faut donc se préparer à l’apocalypse, maintenant.

Dans un premier temps, ces propos alarmistes m’ont fait penser – allez savoir pourquoi – au livre écrit en 2008 par Mark Blake, Qu’en pense Keith Richards. Un ouvrage où l’auteur interrogeait Keef via ses aphorismes les plus célèbres (exemple à propos des funérailles écologiques : « Le truc le plus bizarre que j’ai sniffé ? Mon père. Il a été incinéré et je n’ai pu résister à l’envie de le mélanger à un peu de poudre »). Et puis, une fois passée cette première divagation, une autre plus sérieuse m’est venue à l’esprit : il se pourrait bien que, contre toute attente, Keith Richards vive la fin du monde.

Born to be old

C’est que, en mettant de côté la relative médiocrité des albums des Stones depuis 40 ans[1] et en passant l’éponge sur le caractère très dispensable des disques solo du guitariste ; bref en dépolarisant le débat sur « le plus grand groupe de rock de l’histoire encore en activité », Keith est peu à peu devenu un objet d’étude sociologique particulièrement intéressant.

« I was number one on the who-is-most-likely-to-die list for 10 years. I was really disappointed when I fell of the list ! ». La phrase a été prononcée en 2016 par le guitariste à qui tous prévoyaient une mort précoce depuis environ… 50 ans. Avant d’en arriver à l’idée centrale de ce papier, c’est le moment de vous lister toutes les fois où il aurait dû mourir, afin que vous puissiez contempler avec moi, mes frères, l’improbabilité de la suite de l’article :

– Il aurait dû mourir en 1944, un an après sa naissance, lors du Blitzkrieg allemand qui rasa une grande partie de Londres.

– Il aurait dû mourir électrocuté en 1965 lors d’un concert où il était en train de jouer The last time (sic). Electrocuté par un micro mal branché, kaput pendant 7 longues minutes, Keith revint à la vie et gagna un surnom : the man who death forgot.

– Il aurait dû mourir brûlé vif dans sa maison après qu’une cigarette mal éteinte ait foutu le feu à la baraque où il créchait avec Anita Pallenberg.

– Il aurait pu mourir à Altamont en 1969, ce qui lui vaudra cette autre phrase géniale : « Altamont, ça ne pouvait arriver qu’aux Stones, mec. Regardons les choses en face : ce ne serait pas arrivé aux Bee Gees ».

– Il aurait dû mourir tué par un coin de table en 1998 après être tombé d’une chaise où il s’était perché pour prendre un livre dans sa bibliothèque.

On passera évidemment sur toutes les autres fois où Keith Richards avait pris trop de drogues ou simplement trop bu et l’on conclura que Keith Richards est pour ainsi dire né pour être vieux. Incrusté dans le papier peint depuis 60 ans, voici donc un homme qui a connu presque autant de premiers ministres anglais que la Reine Elizabeth II (pourtant plus vieille de 20 ans que lui), qui avait 23 ans au moment de l’alunissage d’Armstrong en 1969 ; un homme qui a connu l’époque où il fallait se laver à l’eau froide au fond du jardin, l’époque de la télé en noir et blanc et des premiers téléphones filaires et qui, à lui tout seul, a su inventer un mode de vie rock’n’roll qui tuerait des milliers de gamins tentant de copier sa morning routine à base de Nuclear waste (un cocktail compilant vodka, orange et Fanta), de coke et de Jack Daniels.

Résultat de recherche d'images pour "keith richards 2019"Sur internet, on trouve ça et là des photos de rockeurs morts jeunes et à qui la postérité graphique a donné un vieux visage : Kurt Cobain, Jim Morrison, tout le wagon des abonnés du club des 27 pour résumer, et à qui Photoshop donne l’illusion d’une vieillesse. Dans le cas de Keith, avec sa gueule de singe antique, comme auparavant pour feu Lemmy, les vérités scientifiques n’ont plus vraiment d’importance. Debout depuis six décennies (SIX DECENNIES), Keith continue vaille que vaille, quoiqu’un peu plus péniblement, de faire le show. Après l’alcool, c’est maintenant la clope qui serait dans le viseur du plus gros pompier du cirque rock’n’roll. Mais le fait est que le bougre est toujours là.

Le futur n’existe plus

Où l’on en revient à Yves Cochet. Ayant enterré la majorité de ses rivaux (et même ses médecins qui lui donnaient 6 mois), Keith Richards aura, si les Dieux lui accorde un sursis, 87 ans en 2030. Les probabilités de cette longue vie sont certes assez minces, mais rien que cette hypothèse donne de quoi réfléchir à ceux qui comme vous ont du temps à perdre en lisant cet article.

A l’heure de la Youtubisation du monde, maintenant que passé, présent et futur se mélangent sans discontinuité dans un tuyau temporel géant, Keith Richards, même pas mort, a déjà gagné la partie. Il infuse sur l’ensemble des générations, vieux banquiers comme gamins en manque de sauvagerie, et condamne chaque lendemain à exister avec lui. La rétromania, évoquée avec talent par Simon Reynolds en ce début de décennie, trouve là son plus sujet d’étude. Si Yves Cochet dit vrai, si la fin du monde gratte ces jours-ci à la porte, il existe donc bien une chance que ce dernier brûle avec l’auteur du riff de Satisfaction. Cela en dit beaucoup sur le côté herculéen du bonhomme, mais aussi beaucoup sur l’état du rock, maintenu sous respirateur artificiel depuis trop longtemps. Aux dernières nouvelles, Jerry Lee Lewis, 84 ans, continue de maltraiter encore quelques pianos avec ses pantoufles imbibées d’alcool. Et là, on ne sait pas trop ce que Keith en pensera, quand nous serons tous morts.

[1] Exception faite éventuellement de Voodoo Lounge avec notamment le magnifique Thru and Thru chanté par Keith

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