A l'heure où j'écris ces lignes, je ne sais même pas si La famille Wolberg est encore dans les salles,  les hasards de la distribution l'ayant coincé entre la dinde aux marron

A l’heure où j’écris ces lignes, je ne sais même pas si La famille Wolberg est encore dans les salles,  les hasards de la distribution l’ayant coincé entre la dinde aux marrons et les hommes bleus d’Avatar.

Pourtant ce film étrange, tombait pile pour la fin de l’année, le moment des bilans et des si cruciaux top ten : à la fois incroyablement juste et agaçant par moments, âpre et qui vous prend à la gorge la minute d’après. Un OVNI, œuvrant dans le genre pourtant glissant du film familial, mais sans scènes de ménage dans la cuisine, porte qui claquent et réconciliations in extremis, à la fois déconcertant, et incroyablement juste, qui mêle le sud-ouest sous la neige, des acteurs échappés d’on ne sait où, et une B.O. déchirante. Rencontre avec Axelle Ropert, réalisatrice de La famille Wolberg.

Gonzai : Est-ce qu’on peut revenir sur ton parcours, comment es tu devenue critique notamment ?

Axelle Ropert : J’ai commencé à fréquenter la cinémathèque vers 19-20 ans, via une bande de cinéphiles que j’avais rencontré au lycée Henri IV. Avant j’étais une spectatrice assidue mais pas très fervente mais avec eux je suis rentrée à la cinémathèque, j’y suis allée comme une folle entre 20 et 30 ans, à l’époque des grands boulevards et de Chaillot. Grâce à ces même personnes, j’ai parallèlement fait la connaissance de Jean-Claude Biette, de Jean-Claude Guiget et de Pierre Léon qui étaient de grands critiques de cinéma. Peu à peu j’ai commencé à en lire, j’ai notamment eu une passion pour Rivette critique de cinéma. Donc j’ai commencé comme cela, d’abord à la défunte Lettre du Cinéma, puis aux Inrocks.

Gonzai : Et – question rituelle – quels réalisateurs t’ont le plus marquée ?

Axelle Ropert : Je suis une grande fan du cinéma français et je tiens à le dire car il n’a pas tellement la côte chez les cinéphiles et les critiques actuels. Sans la Nouvelle Vague, je n’aurais jamais fait de films, c’est sûr. Rohmer est pour moi le plus grand des cinéastes et il y a une autre bande du cinéma que j’admire énormément, à savoir la bande Vecchialli, Biette, Guiguet, Marie-Claude Treillou, de la maison de production Diagonale. Sinon, de façon un peu banale, le cinéma classique américain : Tourneur, Preminger, Lang, Lubitsch, Minelli.

Gonzai : C’est vrai que les cinéastes français se réclament plus souvent de Godard ou de Garrel et c’est plus rarement de Vecchialli !

Axelle Ropert : C’est tout simplement parce que le cinéma de Diagonale n’est pas du tout récupérable par la mode, quelle qu’elle soit, alors que Godard et Garrel le sont beaucoup plus. Vechialli n’est plus du tout à la mode, ce qui me désespère car il a fait de très bons films. Je pense aussi que le cinéma de Diagonale est profondément provincial alors que pour faire du cinéma à la mode, il vaut mieux faire du cinéma parisien ; je dis ça alors que je suis parisienne jusqu’au bout des ongles. Je n’ai même pas d’exemple de jeune cinéaste actuellement qui voudrait ressembler à ça.

Gonzai : Donc tu commences la réalisation avec Etoile Violette, très différent de La famille Wolberg.

Axelle Ropert : J’espère ! C’était très raide Etoile Violette. La mise en scène c’est quelque chose qui m’a terrifiée pendant très longtemps parce que quand on s’initie à la notion de mise en scène avec Lang, Preminger ou Jacques Rivette, on a l’impression que c’est un art tellement souverain, hautain, et mystérieux, que c’est impossible d’y arriver. Je pense que ce qui m’a donné le courage d’essayer d’une part c’est quelqu’un comme Pierre Léon que j’admire et dont j’aime énormément les films, et d’autre part c’est le goût des acteurs.

Gonzai : C’est vrai que les acteurs sont tous incroyables…

Axelle Ropert : Dans la mesure où il y avait beaucoup de dialogues très écrits je ne voulais surtout pas des acteurs littéraires, souffreteux et romantiques, je voulais casser ça et donner ces textes à des acteurs assez terriens avec des corps solides, un sens de l’humour très consistant. Pour le rôle du père j’ai donc pensé à François Damiens qui est le roi de la caméra cachée en Belgique. Quand à Valérie Benguigui, elle joue énormément, dans beaucoup de comédies françaises, dans lesquelles elle a des rôles pas très gratifiants, et je me disais qu’il fallait l’employer différemment. On me dit souvent que ce sont des contre emplois, mais ce ne sont pas des contre emplois, c’était plutôt facile et naturels pour eux de faire ces personnages.
Quand aux seconds rôles, il y a Jean-Luc Bideau qui est comme François Damiens à la fois très terrien et très sensible, avec une espèce de corps hors du commun. Il y a aussi Jean-Christophe Bouvet qui joue le médecin de la famille et qui est un acteur que j’adore. Et puis les deux enfants sont un peu différents de ce qu’on voit dans le cinéma français parce que je ne voulais surtout pas de ce naturel sympa qu’ont souvent les enfants au cinéma, et je voulais qu’ils aient un truc bizarre, donc j’ai pris un petit garçon très mélancolique et ténébreux et une jeune fille très étrange parce qu’on ne sait jamais si elle a douze ans ou vingt-cinq ans.

Gonzai : Et d’où vient l’idée de départ de la famille Wolberg ?

Axelle Ropert : C’est très lié et très personnel à l’arrivée d’un petit garçon dans ma vie, mon fils, je le dis parce que même quand on fait des films pas très biographiques, la vie s’entremêle à ça et je dois dire que La famille Wolberg est inventée de A à Z, ce n’est pas du tout l’histoire de ma famille, j’avais envie de faire un film de famille qui explore un truc totalement désuet , possiblement nunuche, extrêmement dur à filmer, qui est l’amour familial, sachant que ce n’est pas du tout un sujet à la mode, on peut très facilement tomber dans la mièvrerie ou dans la désuétude.

Gonzai : C’est vrai que le film français familial c’est tout de suite Pialat ou Desplechin, soit le drame, la haine…

Axelle Ropert : Voilà ce sont des films de tuerie, ou alors des films absolument horribles comme Le premier jour du reste de ta vie, j’en parle parce que c’est un film que j’ai vu avant de faire le mien. Il y a énormément de similitudes sur le plan du scénario, et cela m’avait vraiment déprimée de me rendre compte que dans le fond mon projet de film appartenait à un pan du cinéma commercial que je déteste. Je me disais qu’il fallait absolument l’extirper de cette tendance du cinéma français, à savoir le grand film publicitaire, gentillet des famille.

Gonzai : Et est-ce que c’est dur de faire un film comme ça en France aujourd’hui ?

Axelle Ropert : Dans mon cas cela n’a pas été difficile du tout, car on a eu sans trop de difficultés le financement classique du premier film d’auteur, c’est à dire avance sur recette et région et une chaîne. Ce qui est plus difficile, c’est la suite. Faire un premier film en France ce n’est pas si dément, c’est plutôt durer qui est difficile. Il y a dix fois moins de seconds films que de premiers films par exemple.
En tous cas je connais trop de gens qui sont martyrs du cinéma pour dire que le mien a été difficile, bon il n’y avait pas beaucoup d’argent, j’aurais aimé tourner plus longuement, faire un film plus long, mais il a été facile à monter, en plus j’ai eu des acteurs très généreux qui ont beaucoup facilité le tournage.

Gonzai : Je voulais savoir s’il y avait des modèles ou des références avoués, moi je trouve qu’on n’en voit pas tellement finalement dans le film…

Axelle Ropert : C’est bizarre car je vais tout le temps au cinéma et je me revendique comme étant innervée au cinéma. Et en même temps j’ai l’impression en effet que le film n’est pas directement relié à quelque chose.
Avec la chef op, il y avait deux modèles qui étaient d’une part Hôtel des Amériques de Téchiné, pour la lumière sublime de Nuytten, et un autre film très beau et pas connu du tout : Liaison Secrète de Richard Quine avec Kim Novak et Kirk Douglas, une histoire d’adultère à San Francisco au bord de la mer, en cinémascope. Sinon et bizarrement, tout le cinéma français que j’aime n’est pas du tout un modèle On me parle souvent de Rohmer à propos du film mais je trouve que ça n’a aucun rapport, mais bon dès que c’est pas naturel les gens citent Rohmer…

Gonzai : Et dans le cinéma français contemporains est ce qu’il y a des gens que tu suis, dont tu attends les films ?

Axelle Ropert : J’aime particulièrement Vincent Dietschy qui avait fait un premier film sublime il y a une quinzaine d’années, Julie est amoureuse, et qui a fait une comédie lunatique il y a deux ans Didine avec Géradline Paihlas, c’est un type que je trouve brillant, hyper fiévreux. J’aimerais qu’il tourne plus.
Est-ce qu’il y a des cinéastes dont je me sens super proche ? Eh bien très peu, ça m’attriste un peu de dire ça, même si je dois dire que sinon Rohmer et Rivette restent pour moi des figures très importantes. Je trouve notamment que le dernier film de Rivette, qui a été si peu vu et si peu aimé, est le plus beau film de cette année.
Il y a surtout des films que je peux aimer ponctuellement, plutôt que des cinéastes de ma génération ou plus âgés dont j’admire le travail, c’est peut être un peu sévère, mais il me semble aussi que c’est très difficile de réussir une œuvre en entier, il y a une dureté du cinéma qui fait que l’on peut réussir film à film, mais une œuvre entière ce n’est plus possible.

Gonzai : Et le cinéma américain ?

Axelle Ropert : Dans la critique parisienne, je vois bien la différence de traitement qu’il y a entre le cinéma français et le cinéma américain et cela m’irrite un peu. Par exemple cette année, il y a un film que j’ai adoré : Ne te retourne pas de Marina De Van, film qui a été vilipendé par la critique alors que je suis sûre que si ce film avait été signé par une jeune femme américaine on aurait crié au génie. Donc je n’aime pas la dureté critique qu’il y a envers le cinéma français et l’espèce de complaisance qu’il y a envers le cinéma américain. Par exemple Michael Mann n’est pas du tout un bon cinéaste et Public Ennemies c’est nul.

Sinon, j’aime beaucoup le cinéma américain surtout pour les acteurs, plus que pour les metteurs en scène d’ailleurs, j’ai une passion pour Christopher Walken, Nicole Kidman, Bill Murray, James Wood, je les adore. S’ils étaient français je saurais tout de suite quoi leur faire faire ! En tous cas je suis très heureuse de faire des films en France, en tant qu’auteurs on est protégés,  La famille Wolberg, je ne suis pas sûre que j’aurais pu le faire aux Etats Unis, jamais je n’aurais trouvé le financement par exemple.

Gonzai : Avec quels acteurs français rêverais-tu de tourner ?

Axelle Ropert : J’ai une passion pour Gérard Depardieu, que j’adore, même si je pense que c’est une passion qui restera lettre morte parce que c’est trop difficile de tourner avec lui, mais c’est un acteur sublime. Mais bon il est trop dur sur un tournage, ce n’est pas possible, puis de toutes façons je pense que c’est quelqu’un qui ne s’intéresse plus au cinéma donc il faut avoir une sacré force de caractère pour le faire tourner.
Sinon j’aime beaucoup Isabelle Huppert, Mathieu Amalric, Clothilde Hesme, Marina Hands, Chiara Mastroianni, mais j’ai un petit faible pour les acteurs un peu spéciaux, j’aime bien quand les acteurs ont un petit truc bizarre, comme François Damiens justement, ou Depardieu ou Bill Murray, et dans la jeune génération il n’y en a pas beaucoup.

Gonzai : Quels sont tes projets pour la suite ?

Axelle Ropert : Là je suis en train de terminer le scénario du prochain film de Serge Bozon qui sera un polar féministe extrêmement insolent et trivial, à mille lieues de La France, et là je commence à écrire mon prochain film, qui sera très différent de La famille Wolberg.

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