Exposer Stanley Kubrick comme on expose un film, comme on laisse la lumière entrer par la lentille et imprimer ce qu’elle voit à un moment précis, sans jamais oublier que ce n’est pas seulement le sujet que l’on voit, mais le choix d’un cadre, d’une lumière, d’un moment. C’est l’homme derrière la caméra qui choisit ce moment précis et pas un autre.

Exposer Stanley Kubrick donc, c’est choisir, quoi, comment, qui. Ici planent les archives Kubrick, des tonnes de documents accumulés chez lui en Angleterre, et qui sont depuis sa mort organisés, triés sous la bienveillante autorité de Jan Harlan (beau frère de Kubrick et producteur de ses derniers films, NDR). On est donc, et c’est souvent le cas chez Kubrick, dans une histoire de famille et de données: le registre de l’hôtel et la femme de Jack, la mémoire de l’ordinateur et le cosmonaute, les souvenirs d’Alice et son mariage…

Mais exposer une archive n’est pas toujours simple et on se doit de produire de l’image. On montre les archives mais on montre aussi leur image ; par exemple le fichier sur Napoléon, pas de fiches mais un meuble massif en bois et ses tiroirs, on ne montre pas les données mais le tri, la machine, la boîte. On essaye, en fait, de représenter le cerveau.

L’exposition Stanley Kubrick reste un show, l’erreur serait d’y chercher une exposition Kubricienne, et sans doute est-il sage de ne pas l’avoir tenté. Il s’agit là de dire Kubrick ; de rappeler, de poser – disons comme simples points de départ – des briques, quelques ébauches de plans… Au risque peut-être de créer une image d’Épinal pour un homme qui s’est toujours retiré pudiquement derrière ses films, qui a refusé – par indifférence sans doute – le jeu de la publicité. La différence peut-être entre Fear and Desire, le premier film que Kubrick refusait de voir montré, et le reste de son œuvre, c’est justement ce pas en retrait, cette bascule du discours vers le cinéma. Le cinéma n’advient finalement que par une juste distance avec la parole, le mot au cinéma n’est pas celui du théâtre ou du quotidien, il est d’ailleurs souvent superflu.

Kubrick cinéaste-cerveau, Kubrick cinéaste populaire. S’engager entre ces deux hypothèses, ce serait franchir le seuil, entrer dans l’hôtel, la salle de bal, la salle de jeu, le camp d’entraînement. Ce n’est plus les observer de loin en spectateur, mais c’est s’engager ou, pire, reconnaître que l’on est déjà engagé dans les systèmes dysfonctionnels qui fondent son cinéma. Reconnaître que son cerveau est finalement aussi le nôtre.

Quelle exposition Kubrick pourrions-nous arpenter ? Une exposition qui ne soit pas dans le fétiche et la chronologie, mais dans une perspective Korzibskienne, une exposition de liens, de rapprochements, de connexions synaptiques. Une exposition des toiles de Viviane Kubrick, pas une ou deux mais vingt, quarante, non pas comme des à-côtés mais comme un vrai point de chute, après tout les sentiers de la gloire, le long cheminement dans les tranchées, les couloirs du château, mènent à elle.

Une bibliothèque, des livres, des notes, parce que Kubrick ne scénarise pas, il épuise des romanciers, lit au hasard, relit, réécrit, discute du roman victorien, de la science-fiction. L’œuvre de Kubrick a ceci de particulier qu’elle est constituée d’adaptations de livres (souvent de grands livres), et jamais pourtant le film ne s’adosse à l’écrit, au contraire il s’y confronte, il dit la toute-différence du cinéma et de l’écrit, et en même temps sa profonde dépendance.

Une exposition des images de Weegee, toutes les images de Weegee sur le tournage de Folamour, parce qu’il y a là un court-circuit. Weegee, l’une des références du jeune Kubrick photographe, vient photographier le tournage de Folamour, le passage des rues de New York au plateau de Folamour pensé par l’homme qui construisit les décors de nombreux James Bond, ces bases secrètes, fantasmes d’un pouvoir atomique et spatial.

Il y a des fragments et des reflets de ces expositions possibles à la Cinémathèque Française. L’exposition pour ceux-ci mérite un déplacement studieux, en semaine pour plus de calme, à un moment où l’on puisse prêter attention aux notes dans les marges, car Dieu, dit-on, est dans les détails.

Stanley Kubrick // Exposition à la Cinémathèque Française // Jusqu’au 21 juillet 2011
http://www.cinematheque.fr/fr/expositions-cinema/kubrick/

1 commentaire

  1. Au sortir de cette expo, Kubrick réussit cet exploit de transformer le champ de vision des rues (humains compris) en un film qu’il aurait pu tourner…

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