Marseille, un mardi soir d'avril, quartier la Belle de Mai. Entre deux immeubles flambant neufs, dont une résidence privée jouxtant ce qu'on ne peut appeler qu’un terrain vague, et c

Marseille, un mardi soir d’avril, quartier la Belle de Mai. Entre deux immeubles flambant neufs, dont une résidence privée jouxtant ce qu’on ne peut appeler qu’un terrain vague, et cernée par les murs sales et les tessons de bouteille, l’Embobineuse, autoproclamée « théâtre de fortune » vomit du spectateur sur le trottoir à l’entrée : une première. Soyez sympas, Embobinez moi !

Dans cette ville de soleil et ce quartier pourri, même la pluie s’est invité ce soir : n’était-ce l’accent, rien ne trahit le sud ; et si les yeux se mettaient à parler, ils raconteraient plutôt une banlieue du nord de l’Europe. Abandonnée depuis longtemps, crasseuse et pas bankable pour un sou : du pain béni pour les investisseurs à long terme. Tout le contraire de l’équipe de l’Embobineuse : une salle, une vraie. Avec programmation tous azimuts. L’affiche de ce soir est signé le Dépanneur, équipe fondue de rock qui ne booke que du bon. Du bon ? Ce soir, woui ce soir, ils ont fait venir Kid Congo. L’homme du Gun Club, le Brian remplaçant Bryan chez les Cramps ou filant le coup de manche à Nick Cave : la salle vomit donc du spectateur sur le trottoir ; sous un crachin d’outre-manche.

Une file “adhérents” étant annoncée, me voilà à l’intérieur en moins de deux : Corinne, du Dépanneur, défouraille du billet dans un hall blindé, entre deux explications et inscriptions – l’Embob, c’est associatif, vous vous en doutiez un peu, non ? – tandis que Félix gère la file suscitée, celles des déjà adhérents : l’occasion rêvée de vous présenter Félix.

La première fois que j’ai vu ce type, c’était une femme. Je veux dire, j’ai cru que c’était une femme : il se baladait dans la salle en porte-jarretelles, maquillé comme un carré d’as avec une voilette devant le visage. J’ai demandé à un pote qui connaissait alors mieux les lieux que moi :

– C’est qui ce mec super bien déguisé en meuf ?

– C’est Félix.

– Et il fait quoi, habillé comme ça ?

– Il fait partie de l’Embobineuse.

-… Euh, mais il peut arriver N’IMPORTE QUOI ici, alors…

La dernière fois que je l’avais vu, avant de le regarder faire le vigile de premier ordre, c’était dans un sujet sur Costes, à Tracks, j’avais dit à Priscilla : « Putain, regarde, c’est Félix ! ». Mais là, la minette devant moi qui avait essayé de gratter sans avoir sa carte… Elle s’était fait rebomber façon puzzle :

« Non, aucun passe droit, j’ai horreur de ça, je supporte pas ça, tu prends la carte, un centime est un centime !”.

Sa non-coolitude, outre qu’elle me surprend, me ravit. Être droit, mais de travers.

La salle. Frottements de cuirs pour arriver au bar, tout le monde sur son 31 (enfin, presque…) des gueules, des vraies, des sourires un peu partout, quelque chose comme une joie diffuse, pas baba, mais bien bien. Ouais tiens, on est bien. Pas béats, pas branchés, pas débranchés, pas encore pliés, encore vivants, encore affamés, encore curieux, encore un peu saouls, pas encore éteints ; quelque chose comme l’effervescence du Paris Alterno des années 80, les chiens et les seringues en moins.

Kid Congo, devant son estanco -tee-shirts, CD, vinyles- se marre tranquillement avec quelqu’un, il a un look de rocker et une tête de dessin animé ; tout va bien. Je vous fais le tour du propriétaire avant qu’il ne traverse la foule direction la scène.

L’Embobineuse, c’est un long et large couloir. Aux murs, de grands rideaux rouges Lynchiens, recouverts de dessins, de posters, de peintures, de flyers et au plafond un ours en peluche géant coupé en deux. Un peu partout, des vieux canapés, des fauteuils, des chaises et tout au fond, la scène. En rentrant à droite, le bar, avec chaînes pendues au-dessus. Ca et tout un tas d’autres trucs. Ce qui le sépare des chiottes à la turc ? Un caddie où viennent s’entasser les cannettes. Et de l’autre côté, une vieille voiture. Vous avez bien lu : une voiture. Et l’histoire ne dira pas tout ce qui s’y est déjà passé… Le reste, console de son, lumières : on s’en fout un peu. Kid Congo passe à côté de moi, c’est l’heure.

Oui, c’est l’heure : celle que durera le concert. Pas le plus grand concert de rock, pas le plus fou, pas le plus en sueur (quoique, réflexion faite, il fait sacrément chaud), pas le plus renversant. Mais quand même. Un quasi-quinquagénaire nous tient la dragée haute, flanqué de ses trois Pink Monkey Birds.

Le plus grand kiff de la soirée ? Avoir sous le nez un frontman ne se contentant pas d’enchaîner les accords.

Quand on a gratouillé pour le Gun Club, les Cramps et Nick Cave, on sait faire SORTIR des trucs de sa guitare. Et ça, c’est comme le vélo, même à 50 piges ça ne s’oublie pas. Alors entre deux grimaces et trois refrains, Kid Congo fait gicler les watts et autant vous le dire, c’est ce que je préfère dans le rock : quand il dérape, qu’il ne peut plus s’écrire sur des partitions, qu’il quitte le cerveau et descend le long de la colonne ; dans ces moments-là, il peut arriver n’importe quoi. D’ailleurs, c’est ce qui arrive : tandis que la foule (oui, à certains moments, 200 personnes, c’est une foule) s’agite, lève les bras, remue du bassin et recommande une bière, je me dis que la vie finalement, ça peut valoir le coup, qu’il faudra un jour attribuer l’invention du rock’n’roll à Thomas Edison et que les meilleurs concerts sont ceux où le spectacle se trouve des deux côtés de la scène.

Une heure plus tard donc, la foule bouillonne toujours, plus belle que jamais (oh ça va, on peut se lâcher de temps en temps), le seul mot qui me vienne (et me revient et me revient, encore, encore et encore, c’est clair, comme ça ?) est « effervescence » : des abrutis mystiques ont inventé des religions à cause de trucs comme ça. Je me contenterais de répéter que pour sa première ultra blindée, l’Embobineuse s’est offert un pur moment de rock’n’roll.

Je sors de là avec un sourire idiot et sur le chemin du retour, je repasse devant le terrain vague et sa résidence privé. Et je ne trouve plus les mots.

Trois jours plus tard, la salle donnera carte blanche au label tourneur Neuronexion, avec le galvanisant Electronicat et son voodoo electro en tête d’affiche : je vous reparlerai bientôt de l’Embobineuse.

Photos: Pirlouiiiit (Live in Marseille)

http://www.lembobineuse.biz

http://www.myspace.com/kidcongoandthepinkmonkeybirds

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