(C) Lulu Berlue

Sortir un concept album en 2024 relève-t-il de l’acte de résistance ou du suicide commercial ? Qu’à cela ne tienne, le trio toulousain Karkara sort « All Is Dust », une sorte de bande-son space opera atomique qui narre une aventure dystopique sur fond de space rock, krautrock et stoner.

Toulouse, capitale de l’aéronautique et du spatial mais pas uniquement. De la ville rose émerge des groupes fascinants comme Slift, dont l’excellent space rock l’a mené vers une planète où s’exerce une telle gravité qu’il est devenu stoner. Par contre, on nous avait jusqu’à présent dissimulé leur cousin Karkara qu’ils ont certainement rencontré en squattant la section musique du campus Toulouse Aerospace.

Après deux albums sur Stolen Body Records, avec « All Is Dust », Karkara signe cette fois une collaboration en forme de triumvirat entre les labels français Le Cèpe et belge Exag, en plus du Britannique qui leur a accordé leurs premiers pas discographiques.

La galaxie 

Pour ce nouveau venu, Karim Rihani, Hugo Olive et Maxime Marouani ont eu l’audace de proposer un concept album, format disruptif en son époque aujourd’hui révolue. À travers les chansons qui sont conçues comme les chapitres d’une épopée, « All Is Dust » conte un scénario somme toute assez classique, de science-fiction post-apocalyptique, qui partage les prévisions communément admises de ce qu’adviendra notre monde si l’on ne freine pas la production et la consommation de masse. Pour les besoins de l’intrigue mais aussi certainement pour se fondre dans l’instrumentation des morceaux, une dimension mystique y est associée.

La planète, ravagée, s’est transformée en désert sauvage. Polluée, l’eau y est impropre à la consommation. Ce qu’il pourrait rester de biodiversité, comme tout écosystème, se retrouve à l’agonie sous ce climat inhospitalier. L’Humanité ? Elle s’est constituée en systèmes claniques, réfugiés dans les vestiges de ce qui était auparavant désigné comme l’habitat des civilisations modernes. À l’instar de Madmax ou Ken le Survivant, l’ordre social est comme dans des temps immémoriaux régi par la loi du plus fort.
L’idéaliste anonyme, héros de ce space opera sur la terre ferme, a comme dans de nombreux récits dystopiques entendu dire qu’il existait quelque part un lieu chimérique à l’écart de « la misère et la maladie », où « les derniers hommes civilisés avaient réussi à retrouver l’équilibre primordial de la nature. Une terre bénie appelée Anthropia ».

Évidemment, celui qui garde encore foi en l’Humanité malgré l’effondrement, dont le quotidien est rythmé par « la privation et l’espoir », va abandonner ses proches pour tenter de rejoindre cette cité et, à la manière d’un récit initiatique, ses péripéties l’amènent à s’élever spirituellement et à philosopher sur le monde qui l’entoure. Cette histoire bien scénarisée, elle se lit dans le « Book of Samälé » qui n’est autre que la pochette intérieure du format vinyle de l’album. 

La collision

Même si l’on ne peut que saluer l’effort entrepris pour cet arc narratif fourni, à découvrir dans son intégralité si vous achetez le disque, chaque chanson s’écoute très bien isolément. Lors de ma première écoute, je n’avais pas la moindre idée qu’une intrigue se cachait derrière ces titres. C’est certainement là que réside l’ingéniosité d’« All Is Dust ». Malgré le caractère narratif de l’album, Karkara ne va pas à l’encontre du mode de consommation musical actuel le plus en vogue, à comprendre, celui qui consiste à engloutir tout un tas de morceaux divers, d’artistes variés, sans connaître les albums dont ils sont issus. En prime, ces compositions ont été enregistrées et masterisées par Olivier Cussac, qui ajoute une dimension cinématographique à l’œuvre, approche qui lui est familière puisqu’il est lui-même compositeur de musique de films. 

« All Is Dust » s’ouvre sur Monoliths et son intro cosmique dessinée par les synthés de Hugo Olive, également bassiste du trio. D’abord narratif sur le plan vocal et accompagné d’une phrase de guitare aux airs mystiques, l’instrumentation vient ensuite bombarder sur du psyché stoner à la manière de ceux qui ont fait connaître le rock toulousain aux États-Unis. Le chant de Karim Rihani se fait alors moins menaçant, plus aérien, la batterie de Maxime Marouani mitraille de roulements sur le riff de guitare avant son solo fuzzy, modulé par la wah-wah. Le morceau oscille entre phases kraut brassin Neu ! et space rock stoner avec une esthétique de science-fiction amplifiée par les bribes sonores de la fin qui rappellent le bruit des pistolasers de Star Wars. 

Dans The Chase, qui narre un affrontement du protagoniste contre des sales types qui veulent sa peau, je me suis dit que si les chasseurs de nos zones boisées écoutaient le morceau lors de battues, on assisterait certainement à un massacre innommable. Sur cette chanson, la voix devient plus angoissante, froide et comminatoire lorsqu’elle ne gueule pas sur le refrain, avec une guitare solo à l’esthétique sempiternellement mystique et une section rythmique motorik. L’ambiance générale de l’instrumentation relève désormais plutôt de Thee Oh Sees, mine de rien. Un saxo joué par Jérôme Bivelot vient vrombir dans un simulacre d’improvisation pour marquer le dernier tiers sur une rythmique stoner.

 On Edge, après son intro marquée par une phrase répétitive de guitare est, sur le début, davantage dépouillée et repart sur un chant aérien accompagné par une batterie qui revêt des airs de marche funèbre. Cette fois bien plus stoner dans ses intentions, c’est l’angoisse sidérale sur le dernier tiers. Un peu comme si Thomas Pesquet apprenait que ses réserves de carburant ne lui permettaient pas de rentrer sur Terre. L’atmosphère de Moonshiner s’inspire peut-être plus de King Gizz, le chant y est aussi davantage candide lorsque les sifflements d’oiseaux qui tapissent l’intro cessent. La transition finale se déverse parfaitement vers Anthropia, la chanson suivante. Celle-ci ne débute réellement qu’à partir de 1’30 et s’encastre également sans mal avec le dernier morceau qui se révèle comme sa continuité.

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Sur All Is Dust, le roulement de batterie démarre ce titre sidéral lorsque le chant débute. Aux alentours de 2 minutes, Karim se met désormais à hurler pour marquer le désespoir du personnage évoqué dans le récit, avant de laisser place à une trompette plus légère, jouée par Simon Barriere, qui étonnement ne détonne pas sur leur approche musicale. Puis, ça gueule à nouveau comme un chant de supporters alcoolisés pendant un match de foot, avant de s’exprimer par son solo de guitare, à dimension toujours un peu mystique, ponctué de larsens. À 4 : 40, retour de la trompette qui joue un air plus festif avant que le chant ne revienne tout atomiser. On croirait alors le morceau terminé mais ça repart dans du gros stoner à décorner un bouc à la sixième minute, puis, clôture sur guitare mystique et voix narrative menaçante. Une fois la tempête sonore passée, l’outro finale pourrait à nouveau s’enchaîner sur le premier morceau comme une histoire sans fin figée dans le continuum espace-temps. Petit plus, dans l’insert du disque vinyle se trouve les paroles des chansons. Le premier couplet d’All Is Dust est le seul qui bénéficie d’une traduction en arabe.

Qu’on l’écoute comme le concept album qu’il est ou bien comme un album de rock psyché bien vénère, c’est vraiment réussi. Même si les deux trios toulousains sont aussi potes que leur musique est jumelée, Karkara n’avait encore jamais partagé la scène avec Slift jusqu’à ce mois de mars. Certainement pour se concerter sur une stratégie de conquête galactique, ces frères d’armes tourneront ensemble en avril. Pour la release d’ « All Is Dust » à Paris, ça se passe à la Mécanique Ondulatoire le 6 avril pour une soirée exclusivement Le Cèpe Records durant laquelle les Rouennais Dye Crap présenteront également leur nouvel album.

Karkara // All is Dust // Sortie chez Stolen Body Records, Exag’ Records et Lecèpe Records
https://karkara.bandcamp.com/album/all-is-dust

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