Un doigt en moins, le majeur, un disque de plus, solo, et pas des plus mineurs. Si le « Los » de Chicros a été supprimé quelque temps après sa naissance, Judah Warsky n'en reste pas moins un artiste pluriel. Et bien évidemment singulier. Voilà son premier album. Lancé de manière plutôt abrupte, ça reviendrait à peu près à la même chose que de décerner une victoire de la musique à Daniel Darc catégorie Révélation. "Painkillers & Alcohol" c'est pourtant bien le premier, celui où Judah Warsky devient son propre leader.

Judah Warsky trace son propre cercle. Si la vie en est un, le sien doit avoir l’allure d’une toute autre espèce de figure géométrique aux multiples côtés (les groupes) avec autant d’angles (l’ingéniosité des concepts). Le tout guidé par une symétrie invariable, en parfaite ligne droite avec ses règles disciplinaires.
Par son omniprésence, Judah Warsky équivaudrait un peu à un Nicolas Ker, à la différence que l’hyperactivité se conjuguerait davantage avec la discrétion. Musicien d’aujourd’hui, chanteur aussi, d’hier, d’avant-garde, d’après-coup, toujours au centre et d’attaque pour dessiner des lignes de basse par-ci par là (le prochain Sir Alice, sur scène avec Fédou, et compagnie), tracer la prochaine lettre de Turzi au compas, du nom du prochain album logiquement nommé « C« . C comme ses Claviers, C aussi et surtout comme ses Chicros, son Crew. Omniprésence encore avec Painkillers, mais cette fois concentrée dans une seule et même pièce. Sur la pochette, on le voit d’ailleurs, son visage tel quel, en gros plan, le premier sur un disque Pan European (hormis ceux d’Aqua Nebula, toutefois maquillés ou nébuleux), façon de représenter l’unique cerveau de la manœuvre.

Sur « Painkillers & Alcohol », il y a à boire et à éponger. Du morceau éponyme, pop song sucre lent, downtempo et estomaquant, au big (bang) talk over chimique (L’Espace), à des tourbillons d’auto-tamponneuses décalquées au vin chaud (Failure To Comply), ou, de la même façon que la fanfare sur Open Bar, un chant qui sonnerait un peu faux (Universe, entendre : une ivresse). Après le Ep « Alcoholic’s Hymns » de Koudlam, désormais le « Painkillers & Alcohol » de Judah Warsky avec « sky » dans le nom, certains pourraient penser qu’il suffit de mettre Alcohol dans le titre pour être signé chez Pan European ; ceux-ci font preuve d’un(e) mauvais(e) foi(e). La preuve, le troisième Aqua Nebula a failli s’intituler « LSD ». Cet amour des lettres…

Ce soir, ça tombe bien : apéro au bureau du label. « J’écoute « Nutshell » d’Alice In Chains je pleure, « Indifference » de Pearl Jam je pleure, « Nothing Compares To You » de Sinead O’Conor, je pleure. Et là, « Painkillers & Alcohol », je pleure. ». Ca, c’est Sir Alice qui complimente psychédéliquement (c’est-à-dire en boucle) Judah Warsky. Chose incongrue, quand on y pense, que de remercier quelqu’un de nous faire pleurer. Une logique finalement presque exclusivement réservée à la musique. «  Je l’ai écouté 8500 fois. J’adore les slows, c’est la seule danse que je sache danser ! ». Ca, c’est Arthur, hilare. C’est une danse du cercle, au fond, le slow. Plus tard : « C’est marée basse ». Pendant que le disque, les joints, l’heure et le dictaphone tournent, Judah Warsky raconte tout : son point de départ, ses axes, ses contraintes, sa logique, ses univers parallèles, ses formations perpendiculaires, la construction de la langue, son architecture sonore, le bipartisme. Le tour de la question, sa vie, son cercle. Ouverture de la boucle.

Chicros ayant jarté le « Los » pour pas laisser croire à de la musique ska ou à une merdouille alterno. Judah Warsky, tu vas quand même pas changer le nom de peur que ça fasse, par exemple, leader de Black Métal ?

Oh non, le black métal, c’est plutôt antichrist ! Pas le cas de Judas, au contraire, il fait partie de l’Histoire. Pour les crédits de « A » de Turzi, on avait pris un nom, Arthur Rambo etc, et ils avaient choisi Jésus Warsky pour moi (à cause de la chanson Are You Thinking About Jesus). Mais je leur ai dit que je ne voulais pas être Jésus…

On te l’a déjà sorti ça à toutes les sauces ça, la figure christique, la barbe…

Puis c’est sacré. Pour moi non, mais pour d’autres gens. C’est un peu de la provoc’ gratuite de dire « ah moi je m’appelle Jésus ». Alors que Judas, personne ne l’aime ce personnage, tu peux prendre son nom, pas bien grave. Qui plus est, tromperie avec le « h » à la fin, c’est un nom juif américain.

Il n’empêche que tu désertes les autres groupes. Partir en solo, c’est une forme de trahison ?

Sans être un grand connaisseur en la matière, certaines versions prétendraient que Jésus aurait demandé de le trahir. Parce qu’il fallait accomplir son destin. Au début, je l’ai vécu comme une petite trahison, de m’éclipser. Garder mes compos pour un usage personnel.  L’envie de sortir les démos telles quelles, m’extirper de la volonté de les réenregistrer en groupe. Philippe (des Chicros) m’a immédiatement encouragé. « Painkillers & Alcohol » » annonçait même la couleur du quatrième album des Chicros, on l’a joué en live à maintes reprises. Néanmoins, ça aurait semblé bizarre de caser Asleep In The Train, O Cumbia. Dans le tracklisting, j’ai retenu Painkillers en tant que morceau fondateur. Mais bon, au début, pas l’idée de projet de disque, juste un morceau composé chez moi, un soir, défoncé aux antidouleurs et à l’alcool.

Donc voilà « Painkillers & Alcohol », suite à une rupture de doigt. Dans une mesure plus extrême, je pense à Robert Wyatt et « Rock Bottom » et, plus généralement, à ce lieu commun comme quoi la souffrance engendre des chefs-d’œuvres.

Bizarre que je n’ai pas pensé au rapprochement avec Wyatt – alors que c’est un des mes héros – qui avait arrêté la batterie parce qu’il ne pouvait plus en faire… Cela dit, la souffrance, n’exagérons rien, j’avais juste mon doigt cassé, je prenais des anti-douleurs en bonne chochotte et par prescription médicale. Mais en commençant ce traitement, j’ai vite trouvé l’effet agréable. Je ne ressentais plus la douleur, enfin si, un peu, mais si je n’en prenais pas, j’avais mal, donc j’en prenais. Du coup, je me retrouvais un peu défoncé tout le temps, pas trop dans mon habitude de prendre des pilules le matin – je fume des joints mais plutôt le soir. Très vite évidemment, tu t’accoutumes. Le cycle infernal. J’ai enregistré chez moi, de la main gauche ; les contraintes se révèlent toujours bénéfiques, bien sûr, j’ai toujours pensé que plus on s’en imposait, plus la création en ressortait grandie.

« Parce que la forme est contraignante, l’idée jaillit intense », c’est Baudelaire qui l’écrit.

Ca ne m’étonne pas qu’un auteur ayant travaillé en alexandrins soit d’accord avec moi ! Paradoxalement, la contrainte libère ; l’alexandrin, c’est parfait. Dans le cas d’un poète, quand tu commences à penser, j’ose croire que tu commences même à penser en alexandrins, du coup, j’allais dire plus facilement, le rythme s’impose déjà de lui-même. Dans les quelques morceaux, pas tout l’album, les premiers, à partir desquels j’ai commencé à penser différemment l’écriture des morceaux suivants pour en faire un disque cohérent.

Mais pour ce qui est de la douleur, on parle plus souvent de souffrance morale que physique. Le handicap, au lieu d’empêcher, favorise donc la mise à l’épreuve de l’art ?

Exactement ce qui s’est passé. J’aurais sans doute fait des concerts que je n’ai pas fait, que je ne pouvais pas assurer en tant que bassiste ou guitariste. Au lieu d’accomplir tout ce qui constitue un peu mon programme normal d’une semaine (répét, concerts…), je restais chez moi à faire de la musique. J’en ai pris mon parti, j’ai commencé à câbler et, ma femme n’étant pas là, je pouvais foutre le bordel dans le salon, laisser tous mes synthés sortis. J’aime l’urgence. Souvent, quand tu te retrouves dans un super studio confortable, rien n’en sort, c’est un syndrome répandu. Valable pour moi aussi. Quand je vivais dans un pavillon en banlieue, que mes parents étaient partis, j’avais installé un studio dans ma piaule, avec magnétophone à bande, batterie, synthés, amplis, micros. Et ma productivité diminuait par rapport à trois ans auparavant, quand mes parents y habitaient, quand je bidouillais avec mon magnétophone 4 pistes, quand je faisais de la musique doucement parce qu’ils dormaient juste en dessous. On ne peut pas aspirer à la liberté quand on l’a déjà acquise. Et la musique, c’est un peu toujours – en tout cas la pop – un cri d’aspiration à la liberté. Dans le confort, tu ne transmets pas vraiment une forme de libération. Il ne faut pas être confortable.

Contrairement à l’hypothèse de ton ami comme quoi Wyatt l’aurait fait exprès (narrée plus tôt), pour toi, l’accident n’avait donc rien de volontaire ou d’inconscient ?

Pas du tout. Je ne pratique pas de sport, pas de skate, pas de vélo, je ne me bats pas ! En général, toutes les activités pouvant résulter dans la douleur, j’évite. Pas de tatouages,  pas de piercing. Jamais compris le délire d’avoir mal.

Tu aimes te donner du mal en tout cas. Plus que le concept, la contrainte, LE DEFI : du disque « Radio Transmission » à la reprise décidée en live en direct, dans ton idée de mettre des titres commençant par A pour « A », voire dans les lives à domicile. Arthur parlait la dernière fois de « poésie » pour décrire Pan European et, en ce qui te concerne, c’est presque de la poésie Oulipienne, de l’exercice de style.

Petit, j’ai découvert l’Oulipo grâce à mon grand père, libraire et très grand admirateur de ce courant,  surtout de Queneau. J’avais 16 ans à sa mort et à ce moment-là, j’ai dressé l’inventaire de tous ses livres, des milliers, ça a pris des semaines. Dans ceux de Queneau, j’ai retrouvé des correspondances qu’il entretenait avec lui – il a même eu l’occasion fabuleuse de le rencontrer. Le mercredi, j’allais chez mes grands parents, ils m’amenaient au musée et, en temps de pluie, on lisait, et il m’a fait un jour découvrir Exercices de styles. Une claque phénoménale à huit ans, sciant. Une expérience qui m’a entraîné évidemment vers d’autres lectures de l’Oulipo. Pas par hasard si Wyatt m’a parlé ; il a quand même reçu la décoration de la grande gidouille de pataphysique. Pas pour rien que j’aime Steve Reich ou d’autres artistes qui utilisent une certaine logique – presque mathématique – avec un système qui se met en place et qui, après, ne tend qu’à se détraquer.

Des contraintes de dingue pour accéder à des libertés supérieures.

Voilà. Dans Turzi, je joue d’une main, de l’autre, je tripote les boutons, là je pouvais toujours, malgré l’absence de mon majeur. Du coup, le bon point dans l’affaire : je me suis amélioré de la main gauche ! Alors que, sur disque, je jouais les morceaux d’une main et d’une autre, en live je me sers des deux mains à la fois.

Pour rester sur la poésie, il y a ce texte de William Blake…

Sur Garden Of Love. Souvenir de mes nombreuses lectures de recueils. A l’époque, avec l’accumulation de morceaux enregistrés aux quatre pistes, la musique allait plus vite, trop vite, et les textes ne suivaient pas obligatoirement. Étudiant, je lisais énormément de poésie anglo-saxonne, j’adorais. La scandaison explique l’écriture naturelle en anglais, même si ce n’est pas ma langue natale, il fallait l’exploiter, tout de suite. Petit à petit, je captais la façon dont ils envisagent le sens du rythme, la redondance des phrases en rebond. Dans les recueils, dès que le rythme me plaisait, je laissais des petites marques sur la page, ces phrases pouvant se superposer à la musique dans le cas d’un manque d’inspiration textuelle. Il y a longtemps que je l’avais repéré, ce Garden Of Love ; une chanson s’imposait d’elle-même, une évidence suprême. Moins pour le propos que pour sa construction, en octosyllabes – courantes en anglais – mais avec cette déviation : d’abord une première strophe, quatre octosyllabes, une deuxième, quatre octosyllabes, la troisième, deux, le troisième vers fait dix pieds et le quatrième douze. Lors d’un concert récemment donné avec Axel Criger, un argentin, on logeait dans une église, tout en haut d’une colline, et il y avait ce gigantesque harmonium que j’ai samplé, samplé dans tous les sens, en plein de configurations différentes. Garden Of Love est composé uniquement de sons de cet harmonium.

Dans la chronique sur « Painkillers & Alcohol« , Bester évoque ta mère astrophysicienne : c’est un premier pas vers L’espace ?

Un lien direct, bien sûr ; le texte, c’est ma mère qui l’a écrit. Il vient d’une publication scientifique dans un beau livre, où chacun préparait son expérience, avec un peu de philosophie ou autre et elle, elle détenait ce texte un peu poétique. Je suis tombé dessus presque par hasard, je l’ai lu, j’avais ce morceau qui s’intitulait déjà L’Espace, sans paroles et, impeccable, celles-ci collaient à merveille. Voilà pour la deuxième étape, la première restant l’enregistrement spontané. Quand j’ai su qu’un disque se développait, tout s’est mis a changé : il s’est alors fermé de la même façon qu’il s’était ouvert, la symétrie, la logique. Je fais un album solo : je mets en musique des mots écrit par ma mère, je fais un morceau pour ma femme… Au dos de la pochette, on peut y lire la dédicace à ma famille.

Du coup, en ce qui concerne l’astrophysique, tu entretiens un rapport particulier avec le cosmique, la cosmic (ou encore des groupes comme Space Art, Jonezun Crew, Cybotron…) ?

Pendant les vacances, j’allais au centre aéré de Medon, pas loin des observatoires, plein d’enfants de physiciens, d’astro-quelque-chose. Globalement, j’ai grandi entouré d’observatoires, ça me paraissait  normal, comme un breton qui aurait grandit avec des phares autour de lui. Après, il se trouve que tout un courant de la musique que j’aime, on l’appelle « cosmique ». Mais bon, il s’agit juste d’une terminologie : est-ce que ça a vraiment à voir avec l’espace ? Les scientifiques, ils préfèrent le classique. Pour eux, elle représente la musique qui va avec l’harmonie, à la fois scientifique et magique. Pas pour rien qu’on considère 2001 comme le meilleur film sur l’espace ; sois disant que Kubrick avait choisi Pink Floyd ou je ne sais quoi, en réalité, on y entend que du classique, et c’est ce qu’il faut. L’appellation « cosmique » je comprends ce que ça veut dire –  cosmik berlinoise ou cosmic disco, ça me parle – néanmoins je trouve le mot impropre pour la décrire.

Et tes parents en pensent quoi, de ta musique ? Entre Chicros et ce disque-là aux sonorités disons rapidement plus « électroniques » ?

Ma mère ne savait pas pour son texte ! Je l’ai enregistré un jour où elle était à la maison, elle a écouté. Après oui, ils aimeront toujours bien, ils m’ont toujours laissé faire, tant que je ne suis pas en train de leur taper de la thune ! Ils arrivent à apprécier, oui, quoiqu’il arrive, comme moi j’arrive à apprécier les dessins de ma fille de trois ans ! Par rapport aux Chicros, « Painkillers » ce n’est pas non plus de la techno qui tabasse, pas d’agressivité – une personne âgée peut l’écouter. Il faut vraiment tendre l’oreille pour se rendre compte qu’il est conçu par ordinateur.

Il y a aussi cette idée de mixer expérimental et pop. Et si, pour toi, « psychédélisme », c’est surtout un synonyme de « liberté », la « pop » renvoie aussi au format, à la « chanson » plus cadrée.

Davantage une question de langage.

On peut donc employer le terme de « bilinguisme », par exemple parler le krautrock et le r&b, le rap et la samba…

De toute façon, si on est bilingue ou polyglotte, on porte logiquement un intérêt pour l’étymologie.

Toi, puisque tu écoutes de tout, tu te considères musicalement comme un polyglotte  ?

Je me vois comme un mec ayant appris le latin et le grec pour être au fait de tout. Et la pop, c’est la langue que je parle.

Ta langue maternelle.

Voilà. Et ma langue paternelle, c’est le rythme, sud-américain. Qui a, enfin de compte, toujours été là, que ce soit dans les lignes de basse de Chicros ou dans les claviers de Turzi.

Tu te souviens de ton premier contact avec la musique ?

Depuis longtemps, j’essaye de capter la plus vieille vision de la toute petite enfance, en m’accrochant à ce que je peux. Je reste intrigué par cette période pendant laquelle on a aucun souvenir, comme un rêve. En tout cas, j’en ai un, assez concret ; j’étais bloqué, je ne pouvais même pas me tenir assis et j’entendais Nowhere Man des Beatles, (prenant une voix suraiguë) « He’s reaaaaaaal nowhere man… ».

Depuis, tu chantes, tu peux pratiquer plusieurs genres musicaux, tu joues de plusieurs instruments, tu joues avec les codes, tu joues pour des B.O, tu joues chez les gens, tu joues dans la douleur… Si un mélomane se dit qu’il voudrait tout écouter avant de mourir, est-ce que ton objectif ultime serait de tout jouer ?

On parlait de l’Oulipo, Borges, cet infini de possibilités, de combinaisons, de poèmes, de fictions… Bien sûr, quand tu es fan de musique, tu as envie de tout écouter, connaître, maîtriser. Les rimes et les figures de styles possèdent des noms spécifiques, les anacoluthes, les zeugmes, des termes un peu exotiques. Pareil pour la musique, tu as le boléro le merengue, le tcha tcha tcha, ces trois rythmes-là, quand tu les écoutes, tu comprends pourquoi  chacun a un nom différent. Quand tu tombes amoureux d’une femme, tu veux tout connaître d’elle, pareil pour la musique.

Dans une interview, tu as dit : « MGMT sont psychédéliques parce qu’ils disent qu’ils le sont, même si leur musique n’a rien à voir ». Ca te fait chier l’histoire des étiquettes. Le plus intéressant et pour que tout le monde soit content, c’est peut-être que ce soit les artistes qui apposent le nom du genre de leur musique. Par exemple, pour Koudlam, c’est Cyprien qui avait trouvé « elec-thropique », Dead Sexy Inc décrivaient leur musique de « frenchelectropunksuperchicborntoloserawpower69 ».

Au début, je me disais « on s’appelle Los Chicros et on s’en branle, les mecs vont faire l’amalgame avec un groupe de ska, ils verront que c’est de la pop, et que c’est trop marrant ! » En fait non, ils supputent que c’est machin…

Et Los Campesinos !?

Ouais mais eux ont le droit, ils sont gallois, ils peuvent se permettre des choses que tu ne peux pas quand tu es gaulois. Je pense que le post-modernisme, c’est du 20ème siècle, on est passé à autre chose qui n’a pas encore de nom. Après, je n’en inventerais pas un, trop gimmick. Quand on me demandait pour Chicros, je répondais : entre la synth-pop et la cosmik berlinoise, mais avec des côtés musique sud-américaine, alors que rien ne correspondait vraiment. Ceux qui ont tenté le mélange voient tout de suite à quel état ça renvoie, et donc quelle musique cela évoque. Asleep In The Train aussi, dormir dans un train. Quand je pensais que ça allait être un disque de Chicros, l’idée c’était que chaque morceau prenne le nom d’un lieu.

Comme « B » ?

Plus général, type Mountain. Pour ça qu’il y a L’Espace, Universe… Asleep In The Train, encore, chaque morceau devait refléter un endroit. Garden Of Love aussi, le jardin de l’amour. Et Catch Me Now, la mer, une sonorité qui m’évoquait un bateau, enfermé dans une cabine.

« Painkillers & Alcohol » c’est aussi un peu à l’opposé de « Radiotransmission«  et son côté zapping à la Lamb’s Anger, très raccord finalement avec l’ère du temps, et la façon de consommer les morceaux reliés par la touche « avance » du iPod. Là, c’est court, 8 titres, mais les chansons s’étirent, le genre de blocage sur eiiihhhh eiiiihhhhh eiihhhh, et cette idée de clip en deux temps, trois mouvements (le patinage, la divagation dans les couloirs, et l’assoupissement dans le train)…

« Radiotransmission » se place un peu en album témoin de la fin d’une époque et du début d’une autre. A la fois, le zapping comme à la radio qui n’existe plus, et la vitesse fulgurante d’un titre à l’autre, comme on l’applique aujourd’hui. Effectivement, « Painkillers » c’est l’inverse : eiiiiiihhhh eiiiiiihhh, voilà une bonne définition de l’album, c’est le véritable fil rouge, le point commun entre tous les morceaux : le temps se suspend comme quand on laisse appuyer sur la touche.

Comme « I try I try I try I try I try I try I try I try… »

J’aime qu’on puisse saisir l’évidence d’un concept, pour savoir ensuite apprécier la façon dont on le décline. Juste après Failure To Comply, O Cumbia verse dans plus de subtilité : le son est incarné par un accord arrêté et sa répétition en boucle.

Cela dit, pas de guitare, pas de basse. Finalement la même lignée que Chicros, faire beaucoup avec pas grand chose.

Toujours le côté « chicros », on ne se refait pas, hein. Le prochain disque, on le désire vraiment beau, qu’il sonne « normal », pas faire lo-fi juste pour faire un effet et sans autre raison que ça. La faire « straight », la chanson d’amour. Mais c’est vrai qu’il n’y a pas d’incohérence, ni avec Chicros, ni avec Turzi.

D’ailleurs, avec Chicros, ça s’est passé comment chez les gens ?

Intéressant, marrant. Le plus souvent, le gagnant avait fait venir des amis, on restait un peu sur place pour se mêler à la soirée. Mais une fois, on a atterri chez un mec qui n’avait invité personne, qui avait décidé de se faire son petit perso de concert !

Ce disque répond à l’idée du label Chicrodelic dans sa vision plus douce et mélodique du psychédélisme. J’écoutais parallèlement le troisième Aqua Nebula, ton disque est en effet son versant sucré. Du coup, pourquoi l’avoir sorti chez Pan European ?

En fin de compte, c’est fatigant de sortir ton disque sur ton propre label. Tu te dis que c’est bien, que c’est la liberté ; c’est vrai, c’est le cas, si tu veux crée une œuvre un peu tarée, difficile à pitcher. Il n’empêche que certains rôles s’avèrent compliqués à tenir pour un artiste. Comme promouvoir mon propre disque, faire un peu du prosélytisme ; impossible, pas dans ma nature. Quand Arthur aborde le disque, il va utiliser des termes très élogieux. En ce qui me concerne, je peux, je peux le faire pour Total Peace ou autre… Enfin, si d’ailleurs, je pourrais après tout, il est bien, le disque, hein !

Pas de désaccord avec tes propres choix, est-ce que tu peux affirmer qu’il s’agit là de ton disque le plus personnel ?

Complètement. De tous les disques auxquels j’ai participé jusqu’ici, c’est le seul où j’ai vraiment tout contrôlé de A à Z. Reste à savoir si d’autres verront le jour, mais s’il y en a un, ce sera donc celui-là. En réécoutant les morceaux, je sentais bien le goût de l’achevé, le sentiment de n’avoir rien à ajouter par dessus. En l’état, ils s’avéraient, à mon sens, nettement plus originaux, éloquents. Par chance, Arthur a approuvé direct la démarche. Pour en revenir à l’Oulipo ou à Steve Reich, ce que j’aime, ce n’est pas tellement qu’il y ait un concept qui sous tende la chanson, mais que la chanson, sous-tendue par ce concept, soit faite de telle façon qu’on le comprenne rapidement et facilement. J’ai essayé de me passer complètement en influence. Je vois les deux morceaux sortis, les chroniques, les comparaisons : Grandaddy, Flaming Lips, Mercury Rev, Daniel Johnston, Wyatt… Un paquet.

Ce qui est bien avec le sample, c’est qu’il s’agit d’inspirations « conscientes », et pas forcément la somme de références qui parfois peut échapper… Du coup, est-ce que tu peux parler des samples ?

Ouais, le sample…

En sample tout est possible ?

Voilà, super, tu me files la réponse !

Bon et sinon, tu vas aller voter ?

François Hollande. Dans la politique, comme dans tous les domaines, il y a les passionnés et les dilettantes. Comme un bon snob de musique que je peux être – même si j’évite le plus possible – parfois je peux ne pas prendre au sérieux l’avis de gens qui n’y connaissent rien. Alors que leur avis vaut autant que le mien. Un réflexe parisien de merde mais bon, c’est comme ça. D’un autre côté, je sais qu’en politique, je suis un philistin. Tous les hommes politiques, en tout cas les deux grands partis, comptent sur des mecs comme moi, des mecs du milieu, des mecs qui ne se piquent pas trop de politique, et qui vont voter… au milieu. Par conséquent, des mecs qui vont voter Hollande, pour faire en sorte qu’il soit qualifié au deuxième tour. Même si, en mon for intérieur, je voudrais voter pour Melenchon, mais je ne le ferai pas.

Judah Warsky // Painkillers & Alcohol // Pan European.
http://paneuropeanrecording.bandcamp.com/album/painkillers-alcohol 

En concert le 9 mars avec Damo Suzuki, Publicist et Aquaserge à la Gonzaï III à la Maroquinerie. 

10 commentaires

  1. Merci pour la découverte
    il y a trois vidéos disponibles de Judah sur Youtube dont une qui fait penser furieusement à du Terry Riley(même si la démarche n’est pas la même)
    Sinon,je suis abasourdi que le chanteur de Can soit encore vivant et dans un état correct vu son parcours plutôt extrême;
    Dommage encore une fois que je ne sois pas un enfoiré de parigot,sinon je serais venu sur place!

  2. J’ai retrouvé la puissance de la ou de ma douleur dans Painkillers & Alcohol, j’aime beaucoup. Un peu de mal à écouter l’album en entier mais bon cette chanson là, je kiffe bien.

  3. Merci Sylvain !!!
    Parfois j’aimerais arrêter ce genre de calembours… !
    Poulpy, je pense que ce qui distingue « Painkillers & Alcohol » du reste de l’album, c’est tout simplement son immédiateté. Une belle ouverture, un peu « trompe-oreille » du coup, parce que les morceaux qui suivent sont plus ampoulés, mais finalement plus touchants et encore plus « sucre lent ». Mes préférés après « 8500 écoutes » : « Garden Of Love », Failure To Comply » et « L’Espace » ! Bise à vous.

  4. A Stéphane : si tu aimes Terry Riley, peut-être apprécieras-tu, sur le même label que Judah, Jonathan Fitoussi ! Pour venir voir Damo Suzuki et Warsky, rien de mieux qu’un weekend à Paris (ça tombe un vendredi). C’est un conseil comme un autre !

  5. Belle / belle / belle itw en tous cas, ça donne envie d’écouter le disque !
    Je confirme : le Fitoussi est classieux, bien bien space.

Répondre à Rosario Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*
*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

partages