Après 10 ans d’existence au cœur de Bruxelles, à programmer tour à tour rock psyché, garage, trap & co au milieu d’une salle de concert lourdement influencée par l’esthétique cabaret et années 50, Madame Moustache enchaîne les coups durs. Après le trou dans la trésorerie que représentait les 18 mois de fermeture pendant la crise sanitaire et une réouverture sur les chapeaux de roue, un incendie en septembre 2022 a stoppé net ce retour en force de l’institution bruxelloise. Et si Madame Moustache reste porte close le temps de refaire peau neuve, son esprit renaît de ses cendres le temps de quelques soirées mensuelles. Rencontre avec Maud Partouche, co-fondatrice du lieu, pour une leçon de survie sur piste de danse.

 

En cherchant sur internet votre nom, Maud Partouche, on tombe sur le profil LinkedIn d’une avocate à Paris et sur le Groupe Partouche, qui détient plus de quarante casinos et une centaine d’hôtels et restaurants. Avant d’ouvrir Madame Moustache, vous aviez donc déjà un gros CV.

Non, ce n’est pas moi ! Comme mon homonyme avocate, je viens de Paris, j’ai commencé des études en droit, mais je ne les ai pas terminées… Et pour le Groupe Partouche, j’adorerais être héritière mais nous n’avons rien à voir. On a le même nom, j’ai même bossé en tant que croupière à Paris, mais rien à voir.

Mea culpa. Madame Moustache, c’est bien vous tout de même ?

C’est bien nous. L’histoire a commencé quand mon associé Philippe et moi étions très jeunes, on avait vingt-quatre ans. C’était en 2009. L’idée, c’était d’ouvrir une salle de concert avec l’esprit d’un bar dansant. On voulait surtout plaire au public féminin et éviter l’ambiance discothèque. Donc on a trouvé ce nom, « Madame Moustache » et on a construit une ambiance un peu cabaret, circassienne, entre les années 20 et les années 2000, avec une programmation qui nous plaisait d’abord à nous, souvent du rock. C’était assez à part à Bruxelles car nous n’avons quasiment jamais programmé d’electro, par exemple. Et la sauce a pris tout de suite : pour le premier jour, je m’attendais à recevoir 100 personnes et on a fait 900 entrées. Il y avait vraiment un manque dans Bruxelles et ça n’a jamais désempli.

 

Vous avez essuyé plusieurs gros revers dans l’aventure : la fermeture pendant le covid et les problèmes importants de trésorerie, la procédure judiciaire puis l’incendie… après autant de problèmes, comment on fait pour repartir ?

On a connu toutes les périodes : les attentats de Bruxelles, le covid qui a été très dur, parce que nous sommes restés fermés dix-huit mois et on a eu de gros problèmes de trésorerie… au retour, le club a cartonné, puis il y a eu l’incendie il y a un an, le 23 septembre 2022. Je connais la date par cœur, c’était vraiment le problème de trop. On a vu tout partir en fumée et on est encore en bataille juridique avec des assurances qui ne nous paient pas, la reconstruction qui traîne, etc… on devrait commencer les travaux en janvier 2024 et rouvrir en juin. En attendant, on a décidé de continuer de véhiculer notre nom pour ne pas qu’on nous oublie et pour ne pas qu’on oublie, nous aussi, ce qui fait notre identité. Donc nous allons programmer des soirées mensuelles, comme à Madame Moustache, mais ailleurs : au Viage, juste à côté.

Ça vous permet de garder contact avec le public ?

Avec le public, les bookers, les artistes… parce que nous, à la base, on pensait fermer « juste » un an. Mais en fait, on disparaît pendant deux ans, donc on voulait renouer avec le public et ne pas passer tout notre temps avec des avocats. C’est aussi pour se faire plaisir et faire notre vrai métier. Et comme l’union fait la force, on voulait retravailler avec les co-organisateurs avec qui on a toujours travaillé. On avait déjà fait jouer Koudlam, alors pour la prochaine soirée j’ai recontacté Gilles Vanneste et je lui ai dit : « allez viens, on s’en refait une ! ».

« Personnellement, je déteste les boîtes de nuit, je suis claustrophobe »

Vous parlez d’un manque à Bruxelles : quelles ont été les relations avec les autres établissements lors de votre arrivée ?

C’est le charme de Bruxelles : je trouve les gens vraiment très accueillants. Je n’ai pas ressenti une grande concurrence ni de compétition, d’ailleurs si des gens viennent pour de la techno je leur conseille les voisins du C12, par exemple. Il faut que les gens puissent exprimer leur identité et trouver un lieu qui leur plaise, il n’y a pas de mal. Et la population est extrêmement éclectique, je n’ai jamais compris d’où venaient les gens ni pourquoi. À la fin, je n’envoyais même plus d’invitations, j’annonçais juste l’événement et on faisait 800 entrées. Donc je pense que les gens se sentaient bien chez nous. Il y a toujours eu de la bienveillance, on a toujours fait attention au public. On n’a jamais eu de bagarre, les gens venaient avec leur univers, leurs fringues, tout le monde était bienvenu tant qu’ils étaient respectueux. C’est un côté insouciant que je ressens vraiment à Bruxelles. Maintenant, tout ça était très ancré dans un lieu, donc je ne sais pas comment se passera le déplacement de clientèle vers les soirées mensuelles qui auront lieu ailleurs.

Le lieu a effectivement une atmosphère qui lui est propre. D’où vient cette idée d’avoir cette esthétique de cabaret très raffinée, avec des soirées et des genres presque aux antipodes de ce modèle ?

Je pense simplement que ça nous représente. J’ai toujours baigné dans le théâtre, le spectacle… j’adore les esthétiques de Tim Burton ou de David Lynch. En fait, au départ, on voulait nommer le lieu « Madame Moustache et son freak show » et j’avais décidé que le freak show, ce serait les clients. Bon, le nom était un peu trop long. En termes d’esthétique, on voulait l’ambiance des années 50, on avait fait une cabine DJ dans une roulotte, on voulait un vrai fumoir pour que tout le monde se sente à l’aise, des zones de calme, un grand espace pour danser… c’était réfléchi, mais aussi assez instinctif. Personnellement, je déteste les boîtes de nuit, je suis claustrophobe. Mais j’adore danser et faire la fête. Quand j’étais jeune, j’aimais bien les petits bars de Montmartre où je pouvais danser sur du rock avec un verre de rouge.

« À la fin, je n’envoyais même plus d’invitations, j’annonçais juste l’événement et on faisait 800 entrées »

Côté pratique, le plancher en bois c’était un choix judicieux ?

Non, pas du tout. Tout le monde veut que je mette du béton mais je ne lâcherai pas. Bon, j’ai refait quatre fois le parquet en treize ans : ce n’est pas économique, mais il n’y a rien de mieux. Le bois ne fait pas mal aux genoux, tu peux danser toute la nuit, tu ne le sens pas. Par contre, fais la même chose sur du béton, tu verras la différence. Et il y a le côté bal à l’ancienne, ça me rappelle des souvenirs d’enfance avec des vieilles salles tout en bois, un public très intergénérationnel, les fêtes foraines où m’emmenait ma mère, qui était très amie avec les forains… ce sont mes plus beaux souvenirs, en fait.

Vous étiez un bon vivier garage et psyché dans les années 2010. En dix ans, quelles scènes avez-vous vu émerger, péricliter ou se casser la gueule ?

Oui, on a eu cette grosse période. Mon associé était bien connecté à cette scène, mais c’était surtout quelque chose qu’on aimait. On faisait jouer pas mal de groupes américains émergents que l’on découvrait un peu au hasard, avec une première partie belge. D’ailleurs, c’était souvent cette première partie qui ramenait le plus de monde. Mais vient un certain moment où on voit qu’on a fait passer un peu tout le monde une fois, deux fois, trois fois… on est ensuite passé sur la trap et la scène queer hip-hop, que j’adore aussi. En fait, on s’adapte aux tendances : par exemple, en tant que petite salle, on convenait très bien aux groupes garage qui débutaient et qui sont ensuite passés sur de plus grosses adresses. Par exemple, on était les premiers à programmer Ty Segall en Belgique. D’ailleurs, quand il a joué à l’Ancienne Belgique des années plus tard, il a dit « mon meilleur concert ici, c’était à Madame Moustache ». Il faut dire qu’on accueillait bien les groupes.

« Perdre l’autorisation légale de tenir une discothèque, c’est ma hantise ».

Depuis quelques années, les clubs bruxellois vivent une période difficile, avec le choc de la fermeture temporaire du Fuse en janvier suite à une plainte du voisinage pour le bruit occasionné par le club. Vous vous sentez sur la sellette ?

C’est ma hantise : perdre mon permis d’environnement, c’est-à-dire l’autorisation légale de tenir une discothèque. On doit le renouveler tous les quinze ans en demandant l’avis des voisins et pas grand-monde apprécie le bruit… on voit un changement politique et social et je me demande jusqu’où va aller ce changement, s’il restera de la place pour nous. Ou si la nuit va disparaître au profit des événements d’été, en extérieur, comme les festivals. C’est très attractif : on paie un ticket et on voit plein d’artistes que l’on aime au même endroit, au même moment, dehors… mais est-ce que les gens veulent d’une ville sans lieu pour sortir ? Je n’ai pas la réponse. Je suis aussi assez mitigée quant à la nouvelle génération et l’omniprésence des téléphones. Voir 3 personnes qui filment en bougeant à peine, ça fout un peu les boules. Je parle comme une vieille, mais bon.

D’un autre côté, la région bruxelloise a reconnu le clubbing et la vie nocturne de la ville comme partie intégrante de son patrimoine immatériel.

Oui, c’est une bonne chose, mais je me demande dans quelle mesure c’est quelque chose de concret. Le Fuse était aussi protégé, par exemple, mais ça n’a pas empêché la fermeture. Je ne sais pas exactement quelle protection juridique cela nous donne.

Je rebondis sur votre volonté de plaire au public féminin, dont vous avez parlé tout à l’heure. Comment avez-vous composé avec le mouvement Balance ton bar (NDLR : mouvement de libération de la parole sur les agressions sexuelles et la soumission chimique dans le milieu de la nuit), il y a deux ans ?

Je pense que tout le monde y est un peu passé. On a eu pas mal de réunion avec la fédération et le comité de la nuit, pour trouver des idées pour rendre les espaces plus safe. Pour ma part, j’ai toujours veillé à ce qu’il y ait du monde aux toilettes, des talkies à chaque poste, à distribuer de l’eau gratuitement… on est un petit lieu donc c’est peut-être plus simple d’y faire attention, on voit tout. À côté de ça, pour le bar, j’ai toujours voulu avoir des hommes en marinière. Je trouve l’idée magnifique, c’est mon côté rêveur. Les barmans, comme tout le reste de l’équipe, ont toujours été formés à cette bienveillance. La sécurité sait que je suis ouverte, si quelqu’un a trop bu, je veux que ce soit eux qui appellent le taxi, quitte à ce que je le paie de ma poche. Et donc au bout du compte, je n’ai pas eu beaucoup de problèmes suite à Balance ton bar. On a quasiment 70% de clientèle féminine. Je ne sais pas si c’est parce que c’est tenu par une femme…

« Voir 300 personnes qui filment en bougeant à peine, ça fout un peu les boules. Je parle comme une vieille, mais bon »

Il ne doit pas y avoir beaucoup de femmes à la tête des établissements de nuit. Comment vous le vivez ?

Je l’ai réalisé pendant le covid. Tous les acteurs de la nuit se sont rencontrés, pour s’unir et chercher des aides et des solutions. Et j’ai vu que j’étais la seule femme, effectivement. Je pense que quelque part, ça rassure et ça adoucit les rapports de force. Je dois traiter avec beaucoup de monde, par exemple avec le personnel de sécurité : on doit leur expliquer les critères, l’accueil des clients, l’ouverture d’esprit… on sent qu’il y a un changement, que cette ouverture arrive, mais quand je vois certains profils, je me dis que c’est pas gagné. Il faut penser à la sécurité de tout le monde, au respect des lois, aux problèmes avec le voisinage… d’ailleurs j’ai dû prendre deux appartements sur les côtés, que j’ai insonorisé à mes frais. Parfois je me dis que c’est complètement masochiste, comme métier. Mais c’est une passion et on a commencé avec des yeux d’enfants. On voulait que tout le monde s’amuse, ça a toujours été le but et c’est ce qui permet d’accepter la difficulté. C’est aussi ce qui est beau avec le fait de travailler dans la représentation : il n’y a plus de problèmes. Le quotidien n’existe plus, c’est un peu comme une télé-réalité, on joue un rôle. On voit Ty Segall qui se prépare, l’équipe qui s’active, la file devant le club… et que le spectacle commence.

Toute les infos sur Madame Moustache sur le site officiel.
Pour la soirée de samedi 11 novembre, les billets sont ici.

4 commentaires

  1. j’aime bien le lieu ,et notamment au niveau bière il y a du choix mais par contre « on était les premiers à programmer Ty Segall en Belgique » c’est le genre d’argument qui me , fais fuir ,j’ai toujours considéré le buzz autour de ty segall surfait c’est un musicien hyper surestimé , sa musique ne me touche pas elle glissse sur moi ,c’est de la merde en barre 24 carats ,je n’accorde aucun credit a ce mec

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