Un mec capable de tenir 5 minutes 55 sur une chanson parlant d'un marchand de glaces à base de « ding ding » et de « wouh wouh » tout en la rendant complètement addictive mérite un hommage encore plus gros que le plus gros des Cornetto. En attendant la Flèche (d'or) le 29 mars prochain, petite carte (d'or) chez Gonzai à Jonathan Richman.

« When you get out of the hospital, let me back into your life ». C‘est ce genre de phrases qui pourrait définir à elle seule la perception que j’ai de Jonathan Richman. Une sorte de sincérité drolatique, touchante et décalée. Un romantisme naïf, aussi brut et émouvant qu’un bouquet de fleurs à moitié arrachées, chopées dans le jardin des voisins par un gamin de six ans. Autant dire que quand j’ai eu l’occasion de rencontrer ce mec il y a quelques années dans une petite MJC rouennaise,  j’ai d’abord cru à un fake. Richman à la ‘MJC Rive gauche’, c’était aussi probable pour moi que Radiohead au Pop In. Pourtant, aussi vrai que des choses qu’on n’imagine décemment pas possibles comme des Brigitte qui font sold-out partout, Jonathan avait bel et bien radiné sa guitare et son pote Tommy Larkin dans le 7-6 pour une heure trente de spectacle.

Road(runner) to Rouen

Cinq ans avant ma rencontre avec lui, c’est avec I Was Dancing In A Lesbian Bar, titre de 1992,  que je l’avais découvert. La vidéo de ce mec en marinière et pantalon à pinces, chantant son vendredi soir dans un bar de lesbiennes d’une zone industrielle, appelait à refaire le chemin en arrière: Back in the USA.
1969, du haut de ses collines de Boston, Jonathan découvre le Velvet Underground et ça s’entend. Après avoir squatté un temps chez le producteur de la bande de Lou Reed et s’être encanaillé avec le groupe, Richman rentre chez lui et c’est en 1976 que sort The Modern Lovers, premier album où figurent Roadrunner, Hospital, Modern World ou Pablo Picasso, titres étalons de sa future légende de pionnier du proto-punk-garage et autres catégories dont on pouvait encore être pionnier à la fin des seventies, avec tous les autres pionniers des mêmes catégories qu’on-sait-même-plus-à-la-fin-qui-a été-le-premier. S’il fallait finalement appliquer un quelconque « proto » à ce type, ce serait un modèle particulièrement représentatif du type qui gagne à être (re)connu. Richman, ça pourrait être un voisin, un grand frère à l’univers un peu chéper’ qui vous fait écouter sa démo de I’m A Little Airplane en vous expliquant qu’il a eu l’idée de la chanson en faisant l’avion avec une lampe de poche sur la tête dans Fenway Park le samedi d’avant. Tout ça le plus sérieusement du monde, comme si l’avenir d’American Airlines en dépendait. Même maintenant qu’il est tombé amoureux de l’Europe – ce qui lui fait chanter des espagnolades plutôt dispensables aujourd’hui – Jonathan a toujours incarné ce côté (est) de l’Amérique à l’attitude et à l’humour plus UK que Yankee: une certaine classe dans l’excentricité, un authentique côté suranné. Suranné comme lorsqu’il m’avouera adorer Maurice Chevalier et avoir envie de travailler avec Nana Mouskouri ou avec Van Morrison.

« Si mon cœur pouvait penser, et si ma tête pouvait sentir, j’aurais un autre regard sur le monde. » Van Morrison

Dans un français quasi parfait, après avoir chanté trois phrases de Que c’est triste Venise dans la bonnette du micro, il dira qu’il n’aime pas bien la presse écrite ; il avait d’ailleurs jadis envoyé une lettre aux Inrockuptibles pour les engueuler d’avoir déformé ses propos. Il préfère la radio Jonathan, comme dans Modern World, Radio On. Il préfère aussi les petites salles, les MJC, Café de la Danse, Flèche d’Or. Merde, j’aurais dû lui parler de Rosa Bonheur tiens, I Was Dancing In A Lesbian Bar

« Tou me compwends? », me dira-t-il plusieurs fois au cours de l’interview. « Putain mais Jonathan si tu savais comme je te comprends, et c’est bien pour ça que je t’aime d’ailleurs », aurais-je dû répondre… Quand j’entends Girlfriend, The Morning Of Our Lives ou My Love Is A Flower (Just Beginning To Bloom), je ne sais jamais si j’ai envie de rire ou l’inverse. C’est la guitare qui me donne envie de pleurer, et cette voix de Vicks Vaporub qui me fait rire ; à moins que ce ne soit là aussi l’inverse, je n’arrive plus à savoir à la fin. Mais faire rire et pleurer quasi en même temps, ça peut paraître super bizarre, mais qu’est-ce que c’est bien.

Parce que là où Van Morrison en a fait un vœu pieux, Jonathan semble avoir réussi à avoir cet autre regard sur le monde. Un regard bienveillant. Et la bienveillance, c’est peut-être ça aujourd’hui, l’amour moderne.

En concert à la Flèche d’Or le 29 mars, plus d’infos ici 

2 commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*
*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

partages