Un homme des montagnes, parfois russes, avec des yeux blues : à 71 ans, Jean-Louis murat des suites d’une phlébite et c’était peut-être le dernier des bluesmen français. Mais au-delà des polémiques qui refont surface un peu partout à l’occasion de la mort du chanteur (les fans de Johnny n’ont pas fini de cracher sur sa tombe), préférons ici la voie de la sagesse et rendons hommage au fougueux démiurge, à son travail et ses 30 ans de scène en revenant à la source de son art.

Tremblez, détracteurs de Murat et autres fans de Renaud, l’Auvergnat a prévenu, dans sa chanson L’au-delà :

Que gronde l’orage
entre les rochers
mourir en montagne
mourir foudroyé
mon âme cette chienne
cette enragée
c’te pie musicienne
va pas la fermer

Après des débuts timides sur scène (l’album Murat Live de 1995 est proche de la rigidité cadavérique), il avait atteint le statut de figure chamanique à guitare incandescente dès le Mustango Tour en l’an 2000. Le double Muragostang, publié dans la foulée, restera sans doute comme le meilleur témoignage en public de cette capacité à ensorceler son audience.

Jean-Louis Murat était un mystique qui s’ignorait, mais sa religion était le blues, à toutes les sauces. « J’aime bien chanter Homère sur une grille de blues« , disait-il. Dans tout vrai bluesman sommeille un vaudou. Murat était l’extraordinaire voodoo de la chanson française.

Bien sûr, il avait pu lasser par son comportement suffisant et ses provocations altières dans les années qui suivirent (plan marketing foireux associé au syndrome de la grosse tête ?). Je me souviens de sa fameuse pique : « pour la grippe A y a des vaccins, pour Renaud l’euthanasie ». Il me l’avait offerte dans le cadre d’une interview. Pour ne pas arranger les choses, ses productions devenaient de plus en plus exigeantes, voire hermétiques pour le « grand public » (Madame Deshoulières sur des poèmes de la femme de lettres du 17ème siècle, 1829 sur des textes de Pierre-Jean de Béranger, Charles et Léo – des Fleurs du mal chantées sur des musiques de Ferré, etc.). Face à l’indifférence des foules de moins en moins sentimentales, la taille de ses salles se réduisait ainsi proportionnellement.

Aucune description de photo disponible.

Mais Jean-Louis Bergheaud faisait partie de ces créateurs dont l’œuvre riche, singulière, complexe et souvent surréaliste de surcroît réclame un supplément d’âme dans un monde formaté par les feel good movies et la feel good music qui n’ont de feel good que le nom (prends-en, c’est de la bonne, tu te sentiras mieux après). Les chansons de Murat – comme celles de Thiéfaine, Manset, Dominique A, CharlElie Couture et quelques autres Mohicans français – regorgent de pulsions de vie et de mort, raison pour lesquelles elles tranchent avec les pulsions de lobotomie en cours un peu partout.

Sur disque, la nonchalance électrique de l’Auvergnat avait laissé place depuis quelques années à un chill au goût de retour d’Ulysse en terre d’Ithaque, après un parcours semé d’embûches dont sa survie au chant des sirènes (Mylène Farmer, Camille, Morgane Imbeaud, Carla Bruni). Un retour aux sources du blues, en ce qui le concerne. La pochette de son dernier album studio, La Vraie Vie de Buck John, ne trompe d’ailleurs pas. Au-début, on aurait vite fait de croire apercevoir Maradona publiant un album posthume. Mais non, il s’agissait bien de notre Jean-Louis national.

La Vraie Vie de Buck John: Jean-Louis Murat, Jean-Louis Murat: Amazon.fr: CD et Vinyles}

Sur scène, les titres s’envolaient en volutes bluesy insaisissables, le septuagénaire assurait toujours du feu de Dieu, touché par la grâce de l’extase. Voir pour s’en convaincre son concert donné à Montreuil le 26 novembre 2022 (il y a six mois!) et disponible intégralement sur YouTube.

Murat y apparaissait enfin à l’aise sur scène, visiblement heureux d’être là, exhalant un plaisir communicatif quand il a pendant si longtemps été sur la défensive. Plus présent, plus remuant qu’avant, il semblait au sommet de son art sur cette tournée finale. Proche d’un Ferré dans ses mimiques, dans son magnétisme et, disons-le, dans son génie. Pas plus tard que six jours avant son décès brutal, il fallait le voir gazouiller à Tulle, pour ce qui allait être sa dernière représentation, heureux comme une mésange bleue aux anges dans son nichoir. Ironie de l’histoire, il se produisait ce soir-là en formule trio, au cordeau guitare-basse-batterie, bouclant la boucle blues inconsciente d’un Jimi Hendrix Experience sorti des limbes.

On l’imaginait vieillir comme John Lee Hooker, penché sur sa muse éternelle en jouant les notes bleues étoilées jusqu’au fond du troisième âge. Il se sera finalement éteint dans l’automne de sa vie. Un ange déchu passe, et l’on peut retrouver des bouts de lui dans cette chanson, Aimer, avec dedans, cette épitaphe qui résonne comme l’écho de toute une vie

Il faut aimer
Que le corps vive en ce monde
Vive heureux chaque seconde
Comme un amant ruisselant

 

Sébastien Bataille, Jean-Louis Murat : Coups de tête (Carpentier, 2015) : biographie préfacée par Dominique A, avec les participations de Bertrand Burgalat, CharlElie Couture, Mathieu Ferré, William Sheller et Jean-Bernard Hebey (premier et dernier producteur de Murat). A commander ici

Jean-Louis Murat: Coups de tête : Bataille, Sébastien, A, Dominique: Amazon.fr: Livres

4 commentaires

  1. Une grande tristesse de puis jeudi …je n’en reviens toujours pas de la disparition si brutale de Jean-Louis Murat , chanteur atypique , poète et provocateur parfois incompris de ses pairs. Je préfère retenir ses chansons magnifiques et ses succès « Col de la Croix-Morand » , « Foule Romaine », « Sentiment nouveau » , « Au mot sans souci » que ses frasques médiatiques qui l’ont profondément desservi . Quelle ironie sa mort alors qu’un premier Best of de ses tubes était prévu dans le commerce le lendemain de l’annonce de son décès ..

  2. Jean-Louis, dîtes moi que tout ceci n’est qu’un canular minable des médias anthropophages, que vous êtes planqué à Orcival grattant votre 12 cordes au milieu du verger en compagnie des libellules et des lapins. Bordel, j’en ai marre que vous soyez mort, maintenant revenez.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*
*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

partages