« James Chance était de retour à New York, et la nouvelle se répandit qu’il était à la maison. Tant de monde s’y rassembla qu’il n’y avait plus de place, même devant la porte. Arrivent des gens qui lui amènent un homme qui ne sait plus danser, porté par quatre hommes du Bronx. Comme ils ne peuvent l’approcher à cause de la foule, ils découvrent le toit au-dessus de lui et descendent le brancard sur lequel est couché l’homme blanc. Voyant leur foi, James Chance dit à l’homme : « Mon fils, tes péchés sont pardonnés. Par la force du Sax et du funk qui suinte, lève-toi, bouge ton gros cul et danse. L’homme se leva, prit aussitôt son brancard, et sortit devant tout le monde. Tous étaient stupéfaits et rendaient gloire à James, en disant : « Putain, nous n’avons jamais rien vu de pareil. » ( Evangile de la 52ème Rue, 20 ans après James Brown)
Au commencement de tout, il y eut James Chance, un petit homme sec comme un coup de trique, débarqué du midwest, descendant sur New-York à travers les nuages de l’hiver 1976.
Epris de jazz et de funk atonal, l’homme mis tout son coeur à l’ouvrage, sorti un premier brûlot, Teenage Jesus and the Jerks, accompagné de son apôtre Lydia Lunch. Trente cinq ans plus tard, lorsqu’on lui demanderait s’il se sentait encore icone no-wave, le petit homme répondrait « bullshit » – une constante chez lui-, parce que le jazz est encore tout, que la tension reste son maître, que la contorsion sonne parfois mieux qu’une étiquette à la con. Mais comme le Malin, James Chance possède aussi plusieurs noms. Certains disent l’avoir vu sous d’autres formes, se prénommant James White, James Chance ou James White and the Blacks. A chaque fois, il est question de couleurs, de notes chaudes et de pains dans la gueule des spectateurs qui ne dansent pas assez vite. Aussi vite que s’imprime la légende, l’empreinte de ses petits souliers vernis s’étale sur les parquets de la contre-culture. Il n’en est, pour ainsi dire, jamais sorti.
S’il n’est jamais devenu noir, James danse tout de même avec ses yeux. Swingue du regard, sans regarder son interlocuteur, vise pourtant juste. Comme un boxeur. Il aime ça d’ailleurs, s’en amuse, lui qui n’aime que ce sport, mais celui d’avant hein, des années 40 ou 50, Barney Ross et ces noms recouverts par la poussière, comme le jazz de ses ancêtres. Cinquante sept ans après sa naissance, on dit qu’il bouge encore, qu’il marcherait même sur l’eau, faisant sortir les algues de son sax lorsque le backing band tapisse le sol d’une sueur quasi solide. Alors quoi? James Chance, boxeur de notes, Street Fighting Man du rythme? « Quoi, comme les Stones? Bullshit mec, j’suis pas ce genre de type. Et j’crois pas à toutes ces conneries sur la contre-culture des années 60′. Avec le pouvoir entre les mains, ces utopistes n’auraient sûrement pas su quoi en faire! ». Maintenant que Miles Davis et James Brown sont six feet under, lorsque James Chance parle ou s’époumone, tout le monde ferme sa gueule. Get up with it, stay on the scene, like a sax machine.
Paris, mars 2010, réalisation: Julien Perrin
Illustration: Jüül