En France, la country est méconnue, personne ne sait de quoi on parle. Les Allemands, par exemple, aiment la country, la rééditent, voir l’excellent label Bear Family Records. Mais ici tout le monde s’en fout. Pour comprendre ce genre musical il faut l’explorer, remonter aux sources, ne pas avoir peur de prendre le chemin le long des plaines américaines. C’est un voyage. Les Français ont une image caricaturale de la country. Ils s’imaginent des rednecks portant tous des chapeaux et des santiags. mais ils ne prêtent aucune attention aux chansons. Ils s’imaginent une musique de beaufs. Or si on explore un peu cet univers, on trouve une finesse. Oui, les chanteurs country sont des rednecks (ce qui n’est pas une insulte), mais remplis de délicatesse et de romantisme, comme le sont les cowboys, comme dans la chanson de Waylon Jennings sortie en 1975, Let’s All Help The Cowboys Sing The Blues, sur les relations amoureuses des garçons de la ferme.
Il est donc difficile d’appréhender la country dans l’Hexagone.
Cette culture est peu connue par ici. Pour bien s’imprégner, remontons jusqu’à Ernest Tubb, le Texas Troubadour. Ernest est né en 1914 dans une ferme près de Crisp au Texas. Il va, à partir de 1935, sillonner les Etas-Unis pour faire entendre ses chansons dans tous les juke-joints et les honky tonks. Le public s’identifie à lui autant qu’il s’identifie à son public. Il est un reflet de l’Amérique hillbilly. Il va donner ses lettres de noblesse à la country tout en conservant les racines honky tonk. Plus tard il y aura bien sûr Hank Williams. Dès la fin des années 40 jusqu’au début des années 50, il réinvente la musique américaine. Il est la première pop star bien avant Elvis et l’explosion du rock’n’roll en 1954 avec les artistes de chez Sun. Il les influence tous. Il jouae sa musique et chante avec son âme. Un vrai romantique. Carl Perkins dira : « il faisait du rock’n’roll sans batterie« . Hank Williams a enregistré à Nashville et participé au Grand Ole Opry, émission qui avait débuté en 1925 sur la radio de Nashville WSM. Le Grand Ole Opry va permettre au genre qu’on appelait encore à l’époque country and western d’atteindre une audience bien plus large que celle obtenue par les pionniers du genre, comme Jimmy Rodgers (inventeur du blue yodel) ou encore Bob Wills.
Ce dernier avait popularisé avec ses Texas Playboys le western swing, style né au Texas au cours des années 20, à entendre comme une musique de bal combinant la country des orchestres à cordes et le jazz des Big Band. Sa vocation première était de faire danser les gens dans les petites villes du sud des Etats-Unis. Et c’est encore avec le Grand Ole Opry que la musique va petit à petit se commercialiser. Bear Family Records a compilé sur les excellents « Dim Lights, Thick Smoke and Hillbilly Music », le hit parade country and western de 1945 jusqu’à 1970. Ces rééditions sont à l’origine du formidable essor que connaitra la country music. C’était le temps des costumes à paillettes et des grosses Cadillac. Les chansons sont au rendez vous, et les voix surtout. Tous ces chanteurs ontun organe qui permettent de transcender des paroles parfois simplistes. Il suffit d’écouter Treasure Of Love enregistrée en 1958 par George Jones pour y voir plus clair ( « I’ve got a pocket full of pennies/ But a heart full of gold » ). La country raconte la vie et elle peut parfois être sombre, pas tant éloignée des blues du début du siècle. On peut aussi citer Long Black Veil, chanson mortuaire à propos d’un homme accusé à tort de meurtre (gravée pour la première fois par Lefty Frizzell, avant d’être reprise par Johnny Cash ou The Band), Knoxville Girl par les Louvin Brothers qui raconte l’histoire d’une fille battue à mort par son petit ami ou encore la plus belle chanson sur la prison, Life To Go par Stonewall Jackson. Ces chansons vous prennent le coeur directement jusqu’à vous faire pleurer.
No country for young men
Malheureusement au tournant des années 70, ça se gâte. La country va se transformer en un produit commercial, souvent au détriment des artistes et des chansons. Comme l’explique très bien Peter Guralnick, dans son livre Lost Highway, « la country était une sorte de musique folk et un de ses traits distinctifs était le répertoire personnel de ses artistes« . A Nashville c’est tout le contraire. On avait à faire de plus en plus à une musique de studio qui délaissait l’inspiration artistique. Et forcément, à cette période on voit apparaître une nouvelle scène dite outlaw, qui va se rebeller contre l’inconsistance de la musique produite par Nashville, devenue trop urbaine. Cette scène souhaite renouer avec les racines de la country originelle, comme celles d’Hank Williams. Le brulôt anti-nashville chanté par Waylon Jennings, Are You Sure Hank Done It This Way?, prône un retour aux sources.
La musique va alors changer. On passe d’une country formatée à un style plus honky tonk, qui renvoie à ces bars qui bordent les routes des Etats-Unis. La country music quitte Nashville pour aller s’implanter au Texas, Waylon l’immortalisera très bien dans Bob Wills Is Still The King. Il existe une version live où on peut entendre les cowboys hurler lorsqu’il prononce ces paroles :
« You can hear the Grand Ol’ Opry in Nashville Tennessee / It’s the home of country music, on that we all agree / But when you cross that ol’ Red River hoss that just don’t mean a thing / ‘Cause’ once you’re down in Texas, Bob Wills is still the king« .
Quelques artistes vont survivre à l’industrie nashvillienne grâce à leur personnalités fortes et incorrigibles, comme Jerry Lee Lewis, ou Georges Jones, avec sa voix de ténor qui était surnommé « No Show Jones » en raison de son alcoolisme notoire et de son incapacité à se présenter à ses concerts. Malgré cela, Frank Sinatra le considérait comme « le plus grand chanteur du XXème siècle. » Il y a aussi Faron Young aussi qui écrira la formule définitive « live fast, love hard, die young » bien des années avant les Who. Ces survivants représenteront une influence pour tous les jeunes chanteurs de la scène outlaw.
Honky tonk heroes
En 1973, trois hommes, aidés par quelques autres, vont réaliser une chose formidable: mettre en boîte dix morceaux en majeure partie composés par Billy Joe Shaver, chantés par Waylon Jennings et produits par Tompall Glaser. Vous obtenez « Honky Tonk Heroes ». Un des albums les plus symboliques du renouveau country. Chuck Prophet, du groupe culte des années 80 Green On Red, dira que « vous n’êtes pas un homme si vous n’avez pas écouté cet album« … Paradoxalement « Honky Tonk Heroes » a été enregistré à Nashville. Bien que Waylon soit né au Texas, il a débuté sa carrière à Nashville dans les années 60 au côté de Johnny Cash. C’est à ce moment là qu’il ressent une frustration. Les producteurs tentent de gommer sa touche personnelle pour laisser place à des chœurs envahissants, à une guitare steel pleurnicharde, en gros : à une uniformisation du son de Nashville. Mais cet album est différent, on a affaire à une approche plus rock du son honky tonk, y compris dans l’attitude. Waylon se laisse pousser la barbe, porte les cheveux longs et ne quitte jamais son chapeau, tout comme Billy Joe Shaver, qui n’est rien d’autre qu’un cowboy débraillé et surtout un des premier singer songwriter à avoir sorti un album outlaw, le fameux « Old Five And Dimers Like Me » en 1973. Waylon jennings sait s’entourer. Avec Cowboy Jack Clement, le mythique ingénieur du son de chez Sun qui a déniché des talents comme Jerry Lee Lewis, ils vont sortir en 1975 « Dreaming My Dreams », album magique et féérique. Plus lent que le précédent, rempli de ballades, ce disque est sûrement le plus abouti de Waylon. Chaque chanson de « Dreaming My Dreams » raconte une histoire lointaine ou pas où se mêlent fierté et regret, nostalgie et résignation.
La country : un agent conservateur
C’est évident qu’en France, on ne peut pas comprendre ce genre de romantisme rural, surtout pas à Paris. Aux Etats-Unis ils sont toute une bande de losers magnifiques. Jerry Jeff Walker, Hank Williams Jr, Kris Kristofferson. Ce dernier est surement le songwriter le plus prolifique des années 70. Qui n’a jamais entendu The Pilgrim-Chapter 33, chanson hommage à tous ces chanteurs country qui vivent sur le fil, ne peut comprendre cette musique. Les mésaventures ils connaissent ça, déceptions amoureuses, manque d’argent, drogue et alcool, et parfois même prison. C’est le cas de Merle Haggard qui passera quelques mois à San Quentin. Cela le marquera à jamais, à tel point qu’il en sortira une chanson (Branded Man). Pour le coup, lui n’a jamais enregistré à Nashville, même au début de sa carrière, mais en Californie à Bakersfield, ce qui en fait un outlaw de la première heure. Il faut dire aussi que c’est un conservateur au sens noble du terme, comme le prouve son single Okie From Muskogee, clairement anti-hippies. Le mot « conservateur », en France, est un gros mot. Alors qu’il s’agit simplement de raconter les racines de l’Amérique, comme s’est efforcé de le faire James Talley tout au long de sa carrière. Chanteur sans artifices, d’une grande simplicité, son conservatisme politique le pousse aussi bien à défendre le droit des travailleurs qu’à dénoncer « les guettos noirs ». Pour les chanteurs country, défendre ses valeurs est synonyme de liberté, ce qui est très bien expliqué dans Keeps Texas Beautiful par Jerry Jeff Walker, encore un Texan qui nous offre, le temps d’une chanson, la beauté des paysages vierges. C’est sûr qu’ici on ne comprend pas cela. Ce qui frappe chez tous ces chanteurs c’est leur simplicité, à la vie comme à la scène. A l’instar de Charlie Rich. Ex-star de chez Sun, il fera une grandre carrière country dans les années 70. Il est l’exemple parfait du chanteur honnête et humble. Ses disques seront incompris du grand public. Trop variés, touchant à tous les styles, tendant parfois vers le jazz dans les arrangements, mais desquels se dégage une forte sincérité artistique. Charlie, comme Waylon, font partie de ceux qui m’ont fait aimer la country, aimer écouter ces histoires qui ne sont rien d’autre que l’histoire de l’Homme, l’expression de ce qu’il y a de pire et de meilleur en lui.
Même s’il y a des amateurs de country music en France, elle n’est pas appréciée à sa juste valeur, on la sous-estime. Pour preuve, très peu de chanteurs country sont passés par ici. Vous allez me demander s’il existe encore une country aujourd’hui ? Oui. Il existe deux sortes de country: la country formatée à la Taylor Swift et la country issue des « héros » cités plus haut. Nous ne retiendrons que la deuxième, évidement. Depuis les années 80, elle s’exprime sous différentes formes. Que ce soit Chuck Prophet, Dwight Yoakam ou Hank III. Leur musique ne se ressemble pas mais l’état d’esprit est là. C’est Waylon Jennings qui en parle le mieux : « il y a beaucoup de chansons qui sont country, même si elles n’en ont pas d’arrangements. [La country] c’est le chanteur, pas l’orchestration. »
12 commentaires
Nickel ce petit article.
Mais où sont donc Townes Van Zandt, Guy Clarke et toute la clique d’Heartworn Highways ?!
Vous cherchez Townes Van Zandt ? Il est en vie dans mon coeur.
Si je savais sur quel bouton appuyer, je mettrais des « like » et des pouces levés partout.
entièrement d’accord avec vous Santucci : il y a une frivolité congénitale chez la plupart des français qui les empêche d’envisager la country autrement que sous l’angle de la parodie ou de la moquerie (l’âge d’or du Nashville sound aseptisé et sirupeux coïncidant avec l’apparition massive de téléviseurs en France n’a certainement pas aidé – c’était notre minute d’Histoire, merci de votre attention – et les efforts de Laurent Chalumeau (relire « Me & Bobby McGee ») pour rétablir la vérité historique ont semblé vain).
Excellent article (mais pas un petit mot sur Townes Van Zandt ? )
Well, that’s a damn good article son. SUEY !
Merci pour les commentaires. Désolé pour les artistes oubliés, mais si je raconte l’histoire de la country, je peux écrire un livre. A la prochaine.
Ecrire un livre sur la country , ça serait une excellente idée , vue la qualité de cet article je serais client dès sa parution.
chouette arti
ticle (sorry) …ms c »‘est vrai qu’il manque Guy Clark….(quel génie ….il dépasse les genres d’ailleurs)
Super article , en France les festivals country c est camping car , Luke Bryan dans les enceintes a la place de Sturgil Simpson et square dance ( pas du tout une dance country en fait ) … Heureusement le vénérable ( 30 ans d existence ) et puriste Fanzine le cri du coyote existe toujours. Sinon ne pas négliger Haggard et le backersfield sound de Buck Owens ( influence principale de Yoakam ( c est aussi sur son modèle de guitare que joue Smear sur l unplug de Nirvana si je ne dis pas de betise) C est bien si Gonzai traite un peu de cette musique .
DOC WATSON ? NITTY GRITTY DIRT BAND ?
Van Zandt et Gram Parsons malgré leurs grandes qualités , sont un peu la caution » Country » des gens qui n y connaissent pas grand chose.