En 1981, le climat politique en Europe est tendu, froid. A l'ouest du Mur, Guerre Froide propose une cold wave qui colle parfaitement à l'ambiance générale. Trente trois ans après, le groupe d'Amiens réédite son maxi 45 tours chez Born Bad. Malgré la chute du Mur de Berlin, le groupe se reforme il y a 9 ans et sillonne les salles avec trois nouveaux albums. Yves Royer raconte.

Comment 33 ans après la sortie de « Guerre Froide », comment avez-vous  découvert le label Born Bad ?

Via le groupe Frustration avec qui on a fait des concerts, lors de deux festivals. Born Bad fait un vrai travail de défricheurs en balançant des groupes dont personne ne veut au départ et qui sortent d’on ne sait où. La démarche est courageuse.

Et pourquoi l’envie de rééditer ce disque ? Est-ce une idée personnelle ou l’attente était telle que ce projet est apparu comme une évidence ?

Apparemment c’est un vrai collector, alors que moi je n’en ai qu’un seul exemplaire. C’est sûr que pour le trouver aujourd’hui… faut s’accrocher. Nous même on avait pensé à le rééditer sur notre label Flashbacks Futures mais Born Bad avait un plus gros réseau de distribution. JB [Wizzz] a voulu faire ça pour le disquaire day. Il y a plein de jeunes gens qui nous on découvert sur des compilations. Ca prouve que le disque n’a pas trop vieilli. On a été surpris quand on a appris qu’un label allemand Genetik avait réédité le maxi il y a quelque temps, on n’était pas au courant. C’est suite à ça qu’on a découvert que dans les soirées new wave le titre Berlin passait souvent. On ne pensait pas une seule seconde à l’époque faire quelque chose qui pourrait devenir culte.

Et le choix du format 45 tours aujourd’hui…

Oui Born Bad voulait le faire à l’identique. Ce qui m’étonne c’est qu’on refasse du vinyle, c’est une drôle d’idée commercialement parlant. En 2007 on a sorti un album en CD et en vinyle, et le vinyle ne s’est pas vendu. Il y a juste quelques fans qui ont les moyens de se procurer l’objet. En plus il faut le matériel. Je trouve que c’est un peu de la poudre au yeux. Tout est numérisé aujourd’hui. Pourtant je ne suis pas connecté aux nouvelles technologies. Je ne vais pas sur les réseaux sociaux. Je sais juste que Guerre Froide a une page Facebook mais je ne m’en occupe pas.

Petit retour en arrière… Comment naît Guerre Froide ?

C’est une vieille histoire. On est issu du punk, et on en est sorti en ayant envie de faire un peu autre chose. On a suivi toute la vague new wave, cold wave, post punk. Le bruit, certes, mais on voulait se démarquer. Avec Fabrice Fruchart on a créé le groupe et Glibert Deffais, à la boite à rythme, a eu l’idée du nom puisqu’on est tous nés à une époque où la guerre froide était bien présente. On cherchait un nom français un peu provoc.

Et puis il y a ce fameux concert au BJ’s d’Amiens le 11 novembre 1981 au soir.

C’est l’époque où j’avais encore deux groupes en même temps, Stress et Guerre Froide. C’est parti un peu en sucette le soir, les gens n’appréciaient pas trop ce qu’on faisait avec Guerre Froide. Ils préféraient le coté plus punk, plus rentre dedans de Stress. Suite à ce concert on a édité le live sous forme d’une cassette un peu à l’arrache. C’était notre deuxième concert seulement. Je me souviens du précédent, c’était un set de six titres et le public avait tellement aimé qu’on avait rejoué le set dans la foulée.

Vous entrez en studio à Choisy-le-Roy en novembre 81. Vous avez peu de temps, un week-end.

Le producteur, Sylvain dit Perlin, avait très peu d’argent, donc peu de temps en studio. Sinon on aurait enregistré plus de morceaux. Bref, ce sont des titres qu’on traînait avec nous et qu’on jouait sur scène. Sauf Mauve et Peine Perdue qui étaient des nouveautés. Sylvain nous a beaucoup aidé. C’était un copain de Gilbert Deffais, et il appréciait ce qu’on faisait, il voulait créer son petit label, Stechak Product, il avait un peu de sous. Il recevait plein de cassettes dont celle de Trisomie 21 et il a décidé de sortir leur maxi qui s’est très bien vendu. Nous on n’a pas été célèbres, mais Trisomie oui.

Guerre froide cover HD

Avec le recul, quand on voit certains titres et la situation de l’époque en Europe… Aviez-vous un engagement politique sérieux ? Ou était-ce uniquement une toile de fond pour jouer votre musique ?

On jouait un titre sur scène qui s’appelait Pacte Germano-Soviétique, donc oui ça avait une certaine consonance. Mais nous n’étions pas engagés politiquement, aucune carte, d’aucun parti. On est issu de familles marquées très à gauche. Mais on n’était pas plus anar que ça. Peut être un peu Trotskiste. Mais c’était une engagement plus spirituelle qu’autre chose.

G : Racontez nous l’histoire de Demain Berlin

Pour ce titre effectivement il y avait un petit rappel historique mais c’est surtout un hommage à Marlène Dietrich. Je cite des paroles de L’Ange Bleu. C’est un texte que j’avais écrit quand j’avais mon trio punk Génocide. On faisait beaucoup de reprises punk comme les Ramones et les Saints. Sur un album des Saints il y avait juste ce titre Messin With the Kid. Je ne comprenais rien à cause de l’accent australien. Donc je me suis dit « tiens, je vais faire d’autres paroles à la place ». La nouvelle version de Demain Berlin est quasi identique de celle de l’époque qui s’appelait Berlin 81. Au départ le texte était en Anglais puis j’ai eu l’idée de le chanter en Français, en Anglais et en Allemand. Je trouvais ça très européen.

Cherchiez-vous à composer des morceaux susceptibles de plaire à la plus grande audience, sans pour autant faire une musique commerciale ?

On ne voulait pas faire de compromis comme Radio Romance… Eux se sont fait complètement avoir. On ne cherchait pas spécialement à plaire à un large public mais on avait déjà un petit groupe qui nous suivait en Picardie, dans le nord et dans l’est de la France. A Paris ça commençait un peu à prendre, il y avait ce type, de Rock et Folk qui nous avait écrit.

Les groupes dont parlait Actuel étaient plus rock que nous.

Quel accueil fut réservé à ce 4 titres ?

Le disque est parti assez rapidement, Sylvain faisait le commercial un peu partout. On avait peu de moyen, c’était vraiment « do it yourself ». On a frôlé la réédition sauf qu’on a splitté avant ! On s’est séparé un peu trop tôt sinon il aurait pu se passer quelque chose en terme de carrière. On avait du stock niveau morceaux, plein de nouveaux titres à proposer. On avait un album quasiment en préparation.

Étiez-vous nombreux à jouer ce genre de cold wave très synthétique en France ?

Non. Les groupes dont parlait Actuel étaient plus rock que nous. Comme Marquis de Sade, Starshooter. J’aimais beaucoup ce qu’ils faisaient mais ça restait toujours un groupe classique, basiquement rock. Nous on était plus proche de Human League. Plus synthétique. On était plus proche d’une scène européenne que française, c’est peut être pour ça que ça n’a pas marché au départ. On avait un petit côté alien en France. Ce n’était pas ce que la masse écoutait.

Aviez-vous le sentiment d’appartenir à une nouvelle scène musicale française ou plus largement européenne ?

Il y avait Kas Product qui était connu à l’époque, ce sont nos aînés dans ce domaine là, au niveau boîtes à rythme et synthétiseurs. Mais on n’avait pas vraiment de relation. Internet, le téléphone mobile n’existaient pas. On manquait de liens entre nous. On n’avait pas rencontré Kas Product alors que là on a fait deux concerts avec eux !

Vous qui êtes issus du punk, quels sont vos influences en 1980 ?

Wire, Cabaret Voltaire, Orchestral Manoeuvres In The Dark, ces gens là. Tout ce qui sortait dans ces années là, on achetait tout, on écoutait tout pour ainsi dire. On était influencé mais on voulait faire vraiment un truc à nous. J’ai décidé de chanter en Français, et ici c’était un peu un challenge. On cherchait à faire une musique qui ne sonne pas anglo-saxonne et je pense qu’on a reussit à s’en éloigner. On ne voulait pas trop d’effets, de reverb. Pas quelque chose  à la Joy Division, que j’adorais pourtant.

A notre époque, il y avait deux blocs c’était plus simple.

Que s’est-il passé depuis ce disque jusqu’à la reformation il y 9 ans ?

Avec le premier guitariste on a fait un groupe qui s’appelait Pour L’Exemple, un sous Guerre Froide. A Berlin j’avais découvert la musique industrielle. Ce qu’on faisait était plus bruitiste que musical. Puis à partir de 92, j’écrivais des textes dans mon coin, mais musicalement il ne se passait plus rien.

Et 33 ans plus tard vous revenez en trio.

Manu notre manager actuel, qui est maintenant un ami, a rencontré Fabrice Fruchart pendant un concert des Young Gods. Il lui a soumis l’idée d’une reformation. J’avais des textes, alors pourquoi ne pas les mettre en musique ? On a croisé Samuel Druon qui nous a dit « ça m’intéresserait de faire partie de l’aventure » et on est devenu un vrai trio. Donc on se reforme en avril 2006 et on fait un album en avril 2007.

Vous retrouvez-vous dans la scène musicale française ou européenne actuelle ?

Oui on retouve des groupes inspirés par ce qu’on faisait dans les années 80 comme Lescop ou Aline. Il y a Charles de Goal aussi qui date de la même époque que nous et qui d’ailleurs a marché bien plus que nous. On s’est reformé en même temps et on fait des concerts ensemble. Encore une fois il y a Frustration. Ils ont chopé quelques trucs des années 80 et les améliorent.

L’époque vous inspire-t-elle ?

Aujourd’hui je suis préoccupé par ce qui se passe sur la planète entière. A notre époque, il y avait deux blocs c’était plus simple. Aujourd’hui c’est très complexe. Il y a des gens dont on ne connait pas leur position sur l’échiquier politique, ce n’est plus très clair. En Amérique du Sud il se passe des choses très intéressantes en terme de redistribution. En Europe j’ai l’impression qu’on se perd dans cette histoire de dette. L’Allemagne est un très mauvais exemple. L’austérité est terrible, ce n’est pas du tout l’exemple à suivre. On fonce dans le mur et on n’en connait pas la fin. Je ne suis toujours pas encarté, mais moralement je me sens concerné. Je suis de plus en plus antireligieux. La religion, quelle qu’elle soit, est la pire chose qui puisse exister sur terre. J’ai fait un texte là-dessus qui s’appelle Non, contre tous les charlatans religieux.

La scène est-t-elle toujours aussi importante ?

On vient de jouer dans le cadre de l’exposition Des Jeunes Gens Modernes. On a joué en Italie, à Bruxelles. Je n’imagine pas la musique sans la scène.

Et sinon, écoutez-vous des groupes actuels ?

Oui je suis content de voir une nouvelle scène française avec des groupes comme Lescop, Frustration, Jessica 93.

Guerre Froide // Reedition vinyle « Guerre Froide » // Born Bad
http://shop.bornbadrecords.net/album/s-t-3

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